
Autour de 1 200 personnes ont péri lors des attaques durant la journée du 7 Octobre 2023 dans le sud d’Israël y compris les otages qui ont été tués. Une grande majorité était des civils. 18 mois après, il reste encore des otages aux mains du Hamas dont Israël réclame la libération. Nous étions au cœur de ces zones victimes des attaques terroristes.
Les traces des attaques restent intactes au kibboutz de Beeri
Un petit coin de paradis terrestre niché dans le désert du Néguev, à seulement quatre kilomètres de la bande de Gaza. Pour ses 1200 âmes, c’était un havre de paix, une communauté soudée où la vie s’écoulait, douce et fraternelle. Mais le 7 octobre 2023, l’aube s’est levée sur l’apocalypse. L’enfer a déferlé sur ce village qui ne demandait qu’à vivre.

Ce jour-là, la barbarie a montré son visage le plus hideux. Une horde de 350 terroristes du Hamas, animée par une fureur aveugle, a franchi la ligne qui sépare la vie de la mort. Ils ont envahi les allées fleuries, les maisons accueillantes, semant la terreur et le chaos. Le bilan est atroce, une blessure qui ne se refermera jamais : 101 vies fauchées sans pitié, 44 des nôtres arrachés à leurs familles, emportés comme otages.
Aujourd’hui, Beeri n’est plus qu’un village fantôme. Se promener dans ses rues est une épreuve. Le silence y est assourdissant, seulement brisé par le bruit du vent qui siffle à travers les ruines. Le paysage n’est plus que désolation. Des maisons éventrées, calcinées, dont les murs portent encore les cicatrices de la haine. Des toitures arrachées, des poutrelles de métal tordues comme des jouets d’enfant, des monceaux de tuiles brisées jonchant le sol. À l’intérieur des foyers dévastés, le spectacle est insoutenable et témoigne de la violence de l’instant. Tout est noir, couvert de cendre et de suie. C’est un effort de l’imagination que de deviner la vie d’avant.

Et pourtant, la vie était belle à Beeri. On se sentait en sécurité, malgré la proximité de la menace. Même si le kibboutz situé dans le désert de Néguev est à quelques km de la bande de gaza, grâce au Dôme de fer, le système israélien de protection aérienne, jamais aucune roquette en provenance du territoire palestinien n’était tombée sur les maisons ni n’avait blessé quiconque. Tout est bien pensé au sein, à l’appel des sirènes, chacun se rendait dans son abri aux fenêtres blindées ou dans le bunker situé aux abords des chemins.

Jeremy Abendanon, rescapé de l’attaque du 7 octobre 2023
Son regard est encore hanté par les événements du 7 octobre. Il a survécu, par miracle, alors que la mort frappait à sa porte, littéralement. Nous le rencontrons, silhouette frêle devant les vestiges de sa maison, le corps ici mais l’esprit encore prisonnier de ce jour maudit. L’émotion est palpable, sa voix se brise, mais il doit raconter. Pour que nul n’oublie.
« Il était 6h30 du matin. J’étais dans la maison avec ma femme et mes deux enfants. Puis, le bruit. Les premières alertes. Des terroristes avaient envahi le kibboutz. Sur le groupe WhatsApp de la communauté, c’était la panique totale. Les messages tombaient comme des couperets, les terroristes sont entrés dans la zone et tirent partout, Ils tuent les gens !’

Le message de ma voisine a achevé de nous plonger dans le cauchemar. Elle a écrit : ‘Ils ont tué ma fille… ils viennent d’assassiner mon mari.’ Il n’y avait plus de doute possible. C’était un massacre. Nous nous sommes précipités dans la chambre forte, notre dernier rempart. À 9h40, une explosion a fait trembler notre porte. C’étaient eux. J’ai entendu leurs cris, leurs coups sourds et répétés. J’ai su qu’ils essayaient de forcer l’entrée. Dans un geste désespéré, j’ai poussé une chaise contre la poignée, une protection dérisoire contre une haine si puissante. Ils ont essayé encore et encore. Puis, voyant que la porte tenait bon, ils ont employé la ruse la plus cruelle. Ils ont mis le feu à un rouleau de papier toilette pour essayer de nous asphyxier et nous obliger à ouvrir la porte. Je n’avais pas le choix, je devais éteindre les flammes, encore et encore. Cette scène macabre a duré une éternité, jusqu’à 15 heures. Sur WhatsApp, un souffle d’espoir : l’armée arrive ! Mais l’espoir fut de courte durée. Les terroristes étaient 350, nos soldats trop peu nombreux. Ceux qui étaient à l’étage ont fauché nos libérateurs. L’attente, l’angoisse, le silence revenu, plus terrible encore. Ce n’est qu’entre 18h30 et 19h que de nouveaux combats ont éclaté. Les soldats se battaient pour nous, pour nous arracher à cet enfer. Enfin, à 21h, le bruit assourdissant d’un tank nous a annoncé la fin du calvaire. Nous étions libres.
Mais quelle liberté ? Dehors, c’était la désolation totale. Une vision d’apocalypse. Des cadavres partout. Avec une nouvelle détonation, nous nous regroupons à 30 dans une chambre forte d’une voisine, entassés dans un abri de 3 mètres sur 3. C’est là, au milieu des pleurs et du chaos, que ma femme, qui était enceinte, a commencé à avoir des contractions. Elle a accouché à l’hôpital. Le prénom de l’enfant signifie ‘Lumière’. »

Les mémoires des otages partout en Israël
Marcher en Israël aujourd’hui, c’est croiser des centaines de regards qui vous supplient depuis des affiches. Du nord au sud, de l’est à l’ouest, dans les villes comme dans les campagnes, le pays tout entier est un mémorial à ciel ouvert. Les visages de ceux qui ont été lâchement assassinés et, surtout, de ceux qui sont encore prisonniers à Gaza, sont partout. Leur retour n’est plus seulement un espoir, c’est une prière nationale, un cri silencieux qui recouvre les murs et que chaque bouche murmure.
Leur présence hante le voyageur avant même qu’il ne pose le pied sur la terre sainte. Dès l’aéroport de Paris, leurs portraits vous interpellent. À l’arrivée à l’aéroport international David-Ben-Gourion de Tel-Aviv, ce sont des rangées entières de photos d’hommes, de femmes et d’enfants, ceintes de ce ruban jaune devenu le symbole d’un espoir qui refuse de mourir.

Sur les autoroutes et les routes nationales, le spectacle est le même. Des familles, des amis, des anonymes se tiennent debout, dignes dans leur douleur, brandissant les portraits de leurs chers disparus avec un unique message, universel et déchirant : « BringThemHomeNow » ou « Ramenez-les à la maison ».
Le cœur battant de cette attente insoutenable se trouve à Tel-Aviv. Là, en face du musée des Beaux-Arts, ce qui était une simple place est devenu la « Place des Otages ». Nuit et jour, elle vibre d’hommages, de prières et de rassemblements pour les captifs du Hamas. C’est ici que la terrible réalité des chiffres frappe de plein fouet. Sur les 53 otages qui seraient encore aux mains de leurs geôliers, à peine une vingtaine serait encore en vie. Une statistique glaçante qui se lit sur les visages graves des passants.
Pour que le monde n’oublie jamais, pour que chacun puisse ressentir, ne serait-ce qu’une fraction de leur calvaire, une reconstitution de tunnel a été construite sur la place. On y pénètre comme dans une tombe. C’est une immersion dans l’horreur de leur quotidien : l’obscurité, le froid, l’exiguïté. Une expérience terrifiante pour faire comprendre l’incompréhensible : les conditions de détention inhumaines de ceux qui, depuis des mois, sont coupés du monde et de la lumière. Un rappel brutal que derrière chaque photo, il y a une vie suspendue, une famille brisée et une nation qui attend, le souffle court.

La place du festival de la Nova en « symbole »
Il y a des lieux où la terre a trop reçu de larmes pour oublier. Le site du festival Nova en fait désormais partie. Ce 7 octobre 2023, à quelques encablures à peine du kibboutz de Beeri, attaqué aussi, par le Hamas, la jeunesse du monde entier s’était donné rendez-vous. La musique électronique pulsait, les cœurs battaient à l’unisson, les corps dansaient pour célébrer la vie dans une communion joyeuse et insouciante. C’était une ode à la vie.
En l’espace de quelques minutes, le fracas de l’apocalypse. Le son des basses a été brutalement étouffé par les rafales haineuses des terroristes du Hamas. Le rêve a viré au cauchemar éveillé. La fête s’est noyée dans le sang. Le bilan est une hécatombe : 365 morts en pleine insouciance, 44 autres âmes arrachées à la fête, kidnappées. Pour ceux qui tentaient de fuir la folie meurtrière, le piège était parfait, mortel. La route 232, unique échappatoire, était devenue une souricière contrôlée par les assaillants. Actuellement, on la surnomme la route de la mort.

Aujourd’hui, sur le site du drame, la musique s’est tue à jamais. La fête a laissé la place à un silence lourd, un recueillement infini. Ce qui fut une piste de danse est devenu un sanctuaire, un symbole poignant de cette jeunesse sacrifiée sur l’autel de la barbarie. Le long des chemins de terre, des centaines de photos vous dévisagent. Ce sont leurs visages, ceux des sœurs, des amis, des familles qui étaient venus danser jusqu’au bout de la nuit et qui sont allés, tragiquement, jusqu’au bout de leur vie. Pour que chaque âme ne soit pas oubliée, un arbre est planté. Au centre de ce champ de douleurs, une grande scène a été aménagée en hommage au DJ Kido, l’un des artistes qui animait la fête. Sur sa console de mixage, là où ses doigts faisaient danser les foules, reposent aujourd’hui des pierres, symboles funéraires poignants. Chaque pierre, posée là par un proche, est une larme qui ne sèche pas, un requiem déchirant pour une fête qui ne devait jamais s’arrêter.

Cimetières de voitures pour rappeler les vies
Pour l’État hébreu, la sacralité de la vie et le devoir de mémoire constituent des piliers fondamentaux de l’existence nationale. Une réalité tangible et tragique se matérialise dans le sud du pays, sur la route « 232 », un axe routier devenu tristement célèbre qui mène vers Sderot, non loin de la bande de Gaza. Sur le bas-côté, un cimetière de voitures à ciel ouvert a été aménagé, exposant les carcasses de plus de 1 850 véhicules endommagés et calcinés. Ces tôles froissées et noircies sont les vestiges silencieux de l’attaque sanglante du 7 octobre 2023.

Chaque véhicule représente une histoire brisée, un ou plusieurs destins fauchés. Ce lieu de désolation est devenu un point de recueillement pour des visiteurs venus du monde entier, désireux de rendre hommage à la mémoire des nombreuses vies innocentes perdues. Parmi les récits qui émergent de ce champ de ruines, l’histoire d’une ambulance a particulièrement ému l’opinion. Un père et sa fille en fauteuil roulant, piégés sur le site du festival Nova, avaient trouvé refuge dans ce qui devait être un véhicule de secours. Selon les témoignages recueillis, les assaillants se sont acharnés, faisant en sorte que nul ne puisse s’échapper de l’habitacle, scellant ainsi le sort tragique de ses occupants. Un drame qui illustre avec une poignante acuité l’horreur de cette journée.
Dossier réalisé par Tanjona Harijaona