
L’État de droit peut se définir comme un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Cette notion, d’origine allemande (Rechtsstaat), a été redéfinie au début du vingtième siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures. Un tel système suppose, par ailleurs, l’égalité des sujets de droit devant les normes juridiques et l’existence de juridictions indépendantes.
Le respect de la hiérarchie des normes. L’existence d’une hiérarchie des normes constitue l’une des plus importantes garanties de l’État de droit. Dans ce cadre, les compétences des différents organes de l’État sont précisément définies et les normes qu’ils édictent ne sont valables qu’à condition de respecter l’ensemble des normes de droit supérieures. Cet ordonnancement juridique s’impose à l’ensemble des personnes juridiques. L’État, pas plus qu’un particulier, ne peut ainsi méconnaître le principe de légalité : toute norme, toute décision qui ne respecteraient pas un principe supérieur seraient en effet susceptibles d’encourir une sanction juridique. L’État, qui a compétence pour édicter le droit, se trouve ainsi lui-même soumis aux règles juridiques, dont la fonction de régulation est ainsi affirmée et légitimée. Un tel modèle suppose donc la reconnaissance d’une égalité des différents sujets de droit soumis aux normes en vigueur.
L’égalité des sujets de droit. L’égalité des sujets de droit constitue la deuxième condition de l’existence d’un État de droit. Celui-ci implique en effet que tout individu, toute organisation peuvent contester l’application d’une norme juridique, dès lors que celle-ci n’est pas conforme à une norme supérieure. Les individus et les organisations reçoivent en conséquence la qualité de personne juridique : on parle de personne physique dans le premier cas, de personne morale, dans le second. L’État est lui-même considéré comme une personne morale : ses décisions sont ainsi soumises au respect du principe de légalité, à l’instar des autres personnes juridiques. Ce principe permet d’encadrer l’action de la puissance publique en la soumettant au principe de légalité, qui suppose au premier chef le respect des principes constitutionnels. Dans ce cadre, les contraintes qui pèsent sur l’État sont fortes : les règlements qu’il édicte et les décisions qu’il prend doivent respecter l’ensemble des normes juridiques supérieures en vigueur (lois, conventions internationales et règles constitutionnelles), sans pouvoir bénéficier d’un quelconque privilège de juridiction, ni d’un régime dérogatoire au droit commun. Les personnes physiques et morales de droit privé peuvent ainsi contester les décisions de la puissance publique en lui opposant les normes qu’elle a elle-même édictées. Dans ce cadre, le rôle des juridictions est primordial et leur indépendance est une nécessité incontournable.
La séparation des pouvoirs et justice indépendante. Pour avoir une portée pratique, le principe de l’État de droit suppose l’existence de juridictions indépendantes, compétentes pour trancher les conflits entre les différentes personnes juridiques en appliquant à la fois le principe de légalité, qui découle de l’existence de la hiérarchie des normes, et le principe d’égalité, qui s’oppose à tout traitement différencié des personnes juridiques. Un tel modèle implique l’existence d’une séparation des pouvoirs et d’une justice indépendante. En effet, la Justice faisant partie de l’État, seule son indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir son impartialité dans l’application des normes de droit. L’État de droit suppose l’existence d’un contrôle de constitutionnalité.
Classement du « World Justice Project »
Selon l’Indice sur l’Etat de droit pour l’année 2016 publié à Washington par « World Justice Project », Madagascar occupe la 90e position dans un classement de 113 pays. L’indice de WJP mesure les performances des pays étudiés sur la base de 44 indicateurs répartis en huit facteurs de base. La Grande Ile a ainsi été mesurée sur les performances dans la corruption, l’application des règlements et la justice civile. Dans le volet absence de corruption, Madagascar se retrouve au 102e rang sur les 113 pays classés. Même classement dans le domaine de l’application des règlements tandis qu’en matière de justice civile, la Grande Ile se positionne à la 100e place. En matière d’ordre et de sécurité, Madagascar se pointe à la 51e place malgré l’insécurité grandissante et le phénomène « Dahalo » qui a frappé le pays en 2016 et à propos de la justice criminelle, Madagascar se case au 76e rang et fait moins dans la rubrique Gouvernement ouvert, où il se trouve à la 80e position. En ce qui concerne les droits fondamentaux, la Grande Ile se fixe à la 84e place. La tête du classement est occupée par le Danemark, la Norvège et la Finlande qui occupent le trio de tête. La Grande Ile devance, néanmoins, de quelques classements les lanternes rouges que sont l’Afghanistan, le Cambodge et le Venezuela. Une spécificité de l’indice WJP est qu’elle prévoit un classement des États par rapport aux autres pays de sa région et de son niveau de revenu. Pour la région Afrique subsaharienne, Madagascar se glisse donc au 10e rang, juste derrière la Côte d’Ivoire et devant le Libéria. Vu le niveau de son Produit intérieur brut (PIB), Madagascar est aussi inscrit par l’indice sur l’État de droit WJP dans le classement des pays à faible revenu. « Une application efficace de l’État de droit permet de limiter la corruption, de combattre la pauvreté et la maladie et de protéger les populations des injustices qu’elles soient à petite ou grande échelle. Elle sert de fondation aux communautés de paix, d’opportunité et d’égalité, en catalysant le développement, l’établissement d’un gouvernement responsable et le respect des droits fondamentaux », indique l’organisation WJP.
Des signes d’un Etat de non droit
***Le 22 mars dernier, des « Sojabe » de Toliara et les familles des policiers du Commissariat de Toliara ont érigé des barrages sur la route nationale pour empêcher le transfert de leurs proches à Tana. Un seul prévenu a été présent au tribunal d’Anosy le jour de l’audience. 39 policiers du Commissariat de Toliara sont soupçonnés d’avoir participé au lynchage à mort du Premier substitut du Procureur du Tribunal de première instance de Toliara, Rehavana Michel. Les faits se sont déroulés en décembre 2014. Le procès prévu avoir lieu au mois de mars dernier a été reporté sine die. Jusqu’ici, aucune sanction n’a été prise à l’encontre des auteurs de ce meurtre d’un magistrat. Et ce, même si le lynchage s’est déroulé sous les yeux de nombreux témoins. Une vidéo de cet acte de barbarie a même circulé dans les réseaux sociaux à l’époque.
***En 2015, la Justice a ouvert une enquête contre le député Mara Niarisy élu à Ankazoabo Sud soupçonné à l’époque d’être impliqué dans une affaire de vols de bovidés dans sa circonscription. Le Bureau permanent de l’Assemblée nationale n’a pas donné suite à une demande de levée d’immunité formulée par le gouvernement dirigé à l’époque par le Premier ministre, le Général Jean Ravelonarivo. Jusqu’ici, et ce depuis qu’il a décidé de se ranger dans le camp du parti au pouvoir, le député élu sous les couleurs du MMM reste dans l’impunité. Pourtant, à l’époque lors d’une rencontre entre le gouvernement et l’Assemblée nationale, l’ancienne ministre de la Justice, Noëline Ramanantenasoa a annoncé que lors de la perquisition, des bovidés appartenant à d’autres éleveurs, des fiches individuelles de bovidés en trois exemplaires comportant des cachets de l’Assemblée nationale, des armes à feu, des cartouches de munitions, des tenues de combat et des amulettes ont été découverts dans sa maison. Pour cette affaire, les députés qui ont formé un front uni derrière Mara Niarisy, ont engagé un bras de fer contre l’Exécutif.
***Le 19 février dernier, une quarantaine de policiers issus de la Force d’intervention de la police de Mahajanga ont effectué une expédition punitive dans la Commune d’Antsakabary, District de Befandriana Nord pour venger la mort de deux de leurs frères d’armes. 487 maisons d’habitation ont été incendiées durant leur passage dans six « fokontany ». Cet incendie a par ailleurs provoqué la mort d’une femme âgée qui était brûlée vive dans sa maison. Jusqu’ici, aucune sanction n’a été prise contre les responsables de cet acte de barbarie, ne serait-ce qu’une sanction administrative pour calmer la tension engendrée par cette affaire en attendant les résultats de l’enquête. Aux yeux des observateurs, la Grande famille de la Police nationale souhaite, une fois de plus encore, favoriser le corporatisme au détriment de l’Etat de droit.
***Pas plus tard que la semaine dernière, le Sénateur Riana Andriamandavy VII a organisé une manifestation de gros bras et des « zanak’i Fianara » devant le local du Bureau indépendant anti-corruption pour contester l’arrestation de la Conseillère spéciale à la Présidence, Claudine Razaimamonjy. Des jets de pierres et de bouteilles ont même été perpétrés à l’entrée du Bianco. Le gouvernement s’est d’ailleurs immiscé dans cette affaire, notamment par l’intermédiaire du ministre de la Justice qui a convoqué la presse à 23 heures du soir pour faire pression sur le Bianco et réclamer la libération immédiate de cet opérateur économique. Une initiative que bon nombre d’observateurs considèrent comme « contraire à l’Etat de droit et aux principes de la séparation des pouvoirs ».

Un engagement présidentiel
L’Etat de droit est considéré comme la principale caractéristique des régimes démocratiques. Il prévoit une Justice équitable appliquée à tous les citoyens. Il ne devrait y avoir ni arbitraire d’un quelconque pouvoir public ou privé, ni loi du plus fort. Ce qui ne semble pas être le cas pour Madagascar où les dirigeants et les élus, ainsi que certaines catégories de la population bénéficient encore de l’impunité. L’opposition continue encore de dénoncer le non-respect de la Constitution et des droits fondamentaux tels que la liberté d’expression et l’indépendance de la Justice. Le principe de la hiérarchie des normes est aussi bafoué. Pourtant, le 25 janvier 2014, dans son discours d’investiture, le nouveau président Hery Rajaonarimampianina s’est engagé à satisfaire « l’exigence de justice, car depuis bien trop longtemps, le peuple malgache a le sentiment de vivre dans un monde d’iniquité où les droits ne sont pas les mêmes pour tous… Nous allons rétablir la confiance dans l’Etat, qui passe par la restauration de l’autorité de l’Etat. Elle s’appuiera sur un socle fondamental constitué des trois piliers de notre programme : la Sécurité, la Justice et la Lutte contre la Corruption. Notre Etat est garant des libertés individuelles et doit être capable de protéger tous nos concitoyens. Rétablir la confiance de l’Etat c’est aussi assurer la sécurité des personnes et des biens en toutes circonstances. En ville comme à la campagne, de jour comme de nuit. Cela signifie que nos compatriotes auront droit à une vie paisible, sans agression, pour vivre de leur propriété sans crainte d’être volés ou spoliés… Rétablir la confiance de l’Etat, c’est aussi réformer la Justice de l’Etat. La Justice devrait être accessible à tous et égale pour tous. Nous devrons lutter contre l’impunité et restaurer la confiance des Malgaches et des étrangers dans notre Justice… La lutte contre la Corruption sera une de mes principales priorités… La culture de l’impunité est révolue et je m’engage à organiser une lutte sans merci contre tous les détournements de biens et de deniers publics ; contre tout enrichissement illicite, tout racket ou encore toute utilisation abusive des biens publics. Le rétablissement de l’autorité de l’Etat conduira au retour de l’Etat de droit et mettra un terme définitif au cycle de crises et favorisera notre croissance économique ».