
Des bulldozers écrasant impitoyablement les habitations ; les familles regardant – les larmes aux yeux – leurs maisons transformées en un champ de ruine reflétant cette image macabre de l’Après Guerre ; un bonhomme qui ordonne, d’un ton d’un président, l’expulsion vite fait des habitants qui vivent les derniers moments dans ce qu’ils appelaient autrefois un foyer ; des populations dont le seul mot d’ordre étant de « partir » même si ne sachant aucun endroit où aller ; des rizières qui émerveillaient la ville mais que l’on ne reverra plus car seront remplacées par des routes goudronnées ; des poussières à perte de vue dont l’origine germe des transports des terres servant à remblayer les surfaces à aménager.
La construction de la rocade est/nord-est d’Antananarivo s’effectuera coûte que coûte qu’importe les répercussions négatives des expropriations sur les 1059 familles recensées. Un projet présidentiel qui fera la fierté du régime nonobstant des indemnisations qui tardent à venir et le fait que l’État ait dû modifier le tracé initial pour que la maison d’un ministre, sise à Ambohimahitsy, ne soit pas concernée par les expropriations au détriment des rizières des riziculteurs qui produisent annuellement du riz.
« La construction de cette rocade est déjà prévue par le Plan d’Urbanisme Directeur de 2006. Mais faute de planification urbaine, l’État a recours aux expropriations », explique Gérard Andriamanohisoa, Directeur Général de l’Aménagement du Territoire (DGATE). Financée principalement par l’AFD et la Banque Européenne d’Investissement d’un montant de 24 000 000 Euros de prêts, la rocade est/nord-est mesure 8 km200 sur lesquels des habitants vont devoir plier bagages pour des indemnisations tardives et unilatérales.
Absence de communication
Les bailleurs du projet suscités ne participent point ces indemnisations des expropriés du projet selon le M2PATE. Mais d’après la loi n°2016-013 autorisant la ratification de la Convention de Crédit relatif au financement du projet de prolongement de la rocade, « les compensations aux populations » font partie des composantes du projet financées par lesdits 24 000 000 Euros de prêts. Interrogée sur cette question, l’AFD a refusé toute communication « au risque de commettre un délit d’initier et de créer un incident diplomatique ». Par rapport à cela, le DGATE a bien précisé que « c’est l’État malgache qui prend en charge toutes les indemnisations découlant de ce projet ». Pour ce faire, une partie des budgets du M2PATE pour les années 2015, 2016 et 2017 (en attente de la Loi de Finances Rectificative de cette année) sert à indemniser les expropriés. Sur la base des enquêtes préalables de la Commission Administrative d’Évaluation, 20 milliards d’Ariary doivent être réunis pour cela. Interrogé sur les sommes déjà engagées pour les dédommagements, le Directeur Administratif et Financier du M2PATE a nié, lui aussi, toute communication qualifiant la situation de « délicate ». Mais une chose est sûre, le déblocage de ces sommes prend beaucoup de temps faute de planification et les indemnisations n’ont été esquissées, pour le Fokontany d’Ikianja, dans la commune d’Ambohimangakely, qu’en septembre 2016.
Ikianja, un Fokontany indemnisé
Pendant ce temps, sur les 1059 familles recensées qui sont touchées par les expropriations, seules celles du fokontany d’Ikianja – concerné par la première phase du projet – ont été totalement indemnisées. Le chef du secteur Ankadiefajoro répondant au nom de Charles a accepté de s’entretenir avec nous avec les fiches de renseignements et de notifications en mains. « Dans mon secteur, 14 toits sont concernés et tous ont été dédommagés. En tant que responsable, je reçois des notifications comme celles-ci selon lesquelles telle personne a reçu tel montant ».
Les 11 autres attendent
Niary Rabarison, chef de service Suivi et Évaluation auprès du BPPAR (Bureau des Projets de Promotion et d’Aménagement des Régions) indique, sans précision, que « presque la totalité des personnes affectées par la première phase a déjà récupéré les bons de caisse auprès du BPPAR ». Pourtant, dans les autres fokontany concernés par les travaux de la première phase, comme celui d’Ambohimahitsy, les propriétaires de rizières et de terrains sont laissés pour compte jusqu’aujourd’hui. De surcroît, le chef du fokontany en question, Jean Liva, contrairement à Charles, ne connait pas véritablement les détails des opérations qui touchent son quartier. Et pire ! Il n’en fait pas le suivi.
Quitter les lieux. L’attente est donc longue surtout que le montant fixé individuellement en fonction des biens expropriés ait été tranché unilatéralement par l’État. Pourtant, tous devraient quitter les lieux pendant ce mois de Septembre car le piquetage va commencer. Quid de ceux qui n’ont pas été indemnisés jusqu’à maintenant ? «Les bailleurs ne commenceront le projet que lorsque toutes les indemnisations auront toutes été réglées », selon Gérard Andriamanohisoa, le DGATE. Les sources institutionnelles (le M2PATE, la Direction des Domaines et le BPPAR) d’avancer que « les documents fonciers de ceux qui n’ont pas encore reçu leurs indemnisations concernant les terrains et les rizières ne sont pas en règle. Pour ce faire, ils devraient les régulariser auprès des Domaines ». Mais pour les habitants, ce n’est qu’un prétexte.
Un service des Domaines pointé du doigt
Noro, Nary, Hélène, Jeanine, Zety et Georgette – propriétaires des rizières concernées par la construction de la rocade Est/Nord-est – ont fait part de leur agacement. « A chaque fois qu’on finit de rassembler les documents que le service des Domaines demande, il nous dit de fournir d’autres papiers », s’insurgent-ils. Pour eux, l’État serait (et le conditionnel est de rigueur) en train de les berner. « Le service des Domaines est loin d’être satisfaisant. Il trouve toujours le moyen de nous faire perdre notre temps », fustige Noro. Mais un autre problème voit le jour. « J’ai un terrain concerné par les travaux de construction à Ambohimahitsy mais quand je me suis rendue auprès du service des Domaines, ce dernier a argué qu’il n’y aucun document foncier y afférent en sa possession », affirme Thérèse. Une autre victime qui répond au nom de Mamy déplore le fait que « le document foncier auprès des Domaines soit déchiré ». Entre-temps, des profiteurs arrivent à trouver un gagne-pain juteux : l’arnaque.
Entre-temps, un réseau de faux et usage de faux s’est créé
Razanany, une dame du troisième âge habite le quartier d’Ankosirano dans le fokontany d’Ambohimahitsy. Pour son cas, sur les 21 ares de sa rizière, 10 ares sont touchés par la rocade pour lesquels elle n’a pas encore reçu d’indemnisations. Dans la résolution de son problème, d’autres personnes arrivent à l’arnaquer. « J’ai été dupée par un certain monsieur Rado qui s’est dit être du service des Domaines. Il m’avait dit de réunir les paperasses nécessaires et de le joindre à Alasora, auprès du service des Domaines. Quand j’y suis entrée, le responsable m’avait informé que le traitement de mon dossier est pris en charge uniquement par le M2PATE. Quand je l’ai appelé, et commencé à le coincer, il a raccroché le téléphone. C’est à partir de ce moment que j’ai su que c’était un arnaqueur. Il voulait me soutirer de l’argent », déplore madame Razanany. Le même Charles, chef secteur du fokontany d’Ikianja suscité, appuie les affirmations de Razanany. « Les intermédiaires font leur loi. Ils arrivent à attirer plus de clients à qui ils demandent 50 000 Ariary alors qu’au niveau des Domaines, les documents fonciers ne sont pas cher payés »
Un super ministre protégé, les habitants dépossédés
Cette fois, les riziculteurs exposent des témoignages écœurants qui racontent leur calvaire illustrant à quel point l’État met de côté les principales préoccupations du quotidien.
« Ne touchez pas à ma maison ! »
Cette phrase, c’est celle d’une personnalité très proche du chef de l’État actuel, un super ministre qui habite le quartier d’Ambohimahitsy. Sur la base des témoignages des riziculteurs précités, le ministre aurait « ordonné » de dévier le tracé qui devait passer par sa maison. Pour que celle-ci ne soit pas rasée, il a donc demandé que les huit mètres à partir de sa clôture soient épargnés. « Pendant que nous nous préoccupons pour notre sort, le ministre reste tranquille car sa maison n’est pas atteinte par les travaux », dénonce Noro. Propos appuyés par Nary et Georgette : « c’est vraiment triste que ce soit toujours le « petit peuple » qui en est le cobaye et qui ne peut rien contre ceux qui ont le pouvoir ». Affaire à suivre.
Dossier réalisé par Aina Bovel