Mireille Razafindrakoto, François Roubaud, et Jean Michel Wachsberger, chercheurs de l’IRD (Institut de recherche pour le développement) se sont penchés sur les causes et les acteurs responsables de la pauvreté à Madagascar. Leur publication, ayant presque fait le tour du monde, a été commentée par le Pr Mamy Ravelomanana, lors d’une présentation au Panorama.
L’énigme. Madagascar est le seul pays au monde n’ayant connu aucune guerre et qui soit resté pendant ses 57 ans d’indépendance en proie à un inexorable déclin continu: la comparaison avec la moyenne du PIB (Produit intérieur brut) par tête de l’Afrique subsaharienne est édifiante. Les peuples d’Asie auxquels les Malgaches se plaisent à se comparer nostalgiquement – ascendance oblige – se situent désormais dans une autre dimension.
Le paradoxe. Chaque fois qu’un semblant de croissance est amorcé, une crise politique renvoie le pays dans les affres de la récession.
L’analyse de ces chercheurs couvre trois décennies interprétant les données de plusieurs enquêtes statistiques selon deux principales grilles d’analyse de l’économie politique et l’économie institutionnelle. Selon eux, le cas malgache ne colle pas avec les schémas traditionnels : la corruption, bien que désormais endémique, se révélait bien moins élevée il y a quelques années que dans bien des pays africains ; la violence ressentie comme croissante depuis la crise politique de 2009 reste en dessous de la moyenne mondiale ; les tensions religieuses et les clivages ethniques sont bien plus prononcés sur le continent africain.
Explications. Les auteurs relèvent trois explications majeures à cette trajectoire surprenante et tragique. En premier lieu, une structure sociale pyramidale, segmentée sans mobilité sociale pérennisée par une reproduction sociale systématisée. Cette structure est présente dans le subconscient et la représentation collective : le Président est perçu comme Le « Ray aman-dreny » auquel aucun devoir de redevabilité n’est exigé. Elle est également vécue au quotidien dans les milieux professionnels et sociaux : avoir une ascendance aristocratique est toujours considéré comme un avantage. 0,1 % de la population constitue l’élite, le mot doit être compris au sens de la sociologie. Les auteurs relèvent par exemple un pourcentage de membres de clubs de service plus faible que dans les pays africains. La classe moyenne urbaine et les paysans totalement marginalisés se retrouvent au bas de la pyramide. Les auteurs rapportent également que cette élite se complaît dans le confort d’une croissance relativement faible en comparaison d’autres pays africains, car elle en accapare une part conséquente. Voir le voisin rester dans une pauvreté crasse rend cette richesse toute relative, mais également plus jouissive. Elle se contente de rentes au sens économique du terme et exerce une forme de violence latente, pernicieuse et sourde sur le reste de la population.
La seconde explication de la descente aux enfers de l’économie malgache est l’atomisation de la population. La population est fragmentée, la mobilité géographique faible et la majorité paysanne confinée dans des petits hameaux quasi-inaccessibles. L’avantage de la possession d’une langue commune, absente dans la plupart des pays du continent, aurait dû favoriser l’émergence d’une Nation. Si le sentiment national existe bien, l’atomisation sociale restreint la légendaire solidarité malgache, vestige d’un passé désormais révolu, au cercle de la famille et aux intérêts les plus proches. Elle favorise la concentration du pouvoir entre les mains d’un cercle de courtisans gravitant autour du Président. Le jeu des acteurs luttant pour le pouvoir se déroule exclusivement dans la capitale en dehors des périodes d’élections.
L’atrophie des corps intermédiaires et plus particulièrement la disparition progressive de la classe moyenne constitue le dernier élément du puzzle. Surtout présente en milieu urbain, la classe moyenne est en effet le terreau sur lequel ont germé en d’autres endroits et en d’autres temps la consommation de masse et la production de masse, premiers jalons du processus de développement.
Options. Le déclin économique de Madagascar ne fait aucun doute et les faits statistiques le confirment. Les auteurs proposent trois scenarii pour boucler ce tableau apocalyptique en ce qui concerne l’avenir : le chaos dont F. Roubaud estime que le lent voyage au bout de l’enfer amorcé n’en est qu’une forme, une autre étant une révolution à la française ou à la Mengistu dans l’ Ethiopie des années 80; la restructuration élitaire, qui bien qu’elle laisse en plan comme quantité négligeable la masse des paysans, semble la plus probable, ayant la préférence de l’élite et des « vested interest » étrangers ; une restructuration démocratique prenant en compte dans le jeu d’acteurs les paysans et l’avènement d’une classe moyenne urbaine. Ce dernier scenario nécessite des réformes hors de portée dans l’immédiat. (A suivre)
Antsa R.