
Ce dossier aidera à mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette « nouvelle » forme d’entrepreneuriat relevant de l’Economie Sociale et Solidaire.
Apparu en 1980, le terme entrepreneuriat social désigne un concept relativement récent et encore en plein développement, tant dans le monde scientifique que dans le monde des affaires. La mondialisation impliquant une combinaison inquiétante de crises politico-économiques, sociales et environnementales, l’entrepreneuriat social apparaît comme étant une réponse incontournable face aux problématiques socio-environnementales semblant presque insolubles. En effet, il arrive à séduire certains tenants du pouvoir, mobilise divers investisseurs tout en améliorant la vie de bon nombre de bénéficiaires.
Terminologies et définitions. L’entrepreneuriat social est composé de « entrepreneur » et de « social ». Le premier renvoie au management dans la recherche du profit économique et le second est associé à un monde non marchand. L’entrepreneuriat n’a jusqu’à ce jour aucune définition officielle, mais se caractérise par l’initiative privée au service de l’intérêt général. Ce qui explique la pluralité de ses définitions.
- Comme son nom l’indique, l’entrepreneuriat social est avant tout de l’entrepreneuriat. C’est-à-dire que ses fondements se basent sur un modèle économique viable incluant la prise de risques, la production de biens et/ou services répondant à un besoin du marché, la production de valeur et le développement économique. Cependant, l’entrepreneuriat social possède une finalité sociale et/ou environnementale le poussant à dépasser la valeur économique en créant une valeur sociale et/ou environnementale, c’est ce qui le différencie de l’entrepreneuriat dit classique.
- L’entrepreneuriat social englobe les initiatives économiques mises au service de l’intérêt général. La finalité est alors essentiellement sociale et/ou environnementale et la plus grande part des bénéfices est réinvestie au profit de cette finalité.
- « L’entrepreneuriat social, ce n’est pas de la charité ni de la philanthropie. C’est un système qui a pour but de résoudre les problèmes des populations au quotidien sans faire de dividendes. Tous les bénéfices que nous générons servent à améliorer leurs conditions de vie » Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix 2006.
L’entrepreneuriat à l’occidentale :
L’approche occidentale de l’entrepreneuriat social en propose trois types avec leurs définitions respectives :
- L’entrepreneuriat social vocationnel défini par « Social Entreprise Knowledge Network » (SKEN) de la « Harvard Business School » comme « Toute forme d’entreprise, d’une société commerciale ou d’entités du secteur public engagé dans une activité ayant une valeur sociale ou dans la production de biens et ou services ayant eux-mêmes une finalité sociale ».
- L’entrepreneuriat social coopératif, impulsé en 1991 par l’Etat italien consistant en des coopératives de solidarités sociales apportant aux citoyens italiens des services sociaux et sanitaires de qualité dans un contexte économique difficile ( la récession).
- L’entrepreneuriat social commercial, issu de la conception du business et du management à l’anglaise, définit l’entrepreneuriat social comme suit : « toute activité commerciale ayant essentiellement des objectifs sociaux et dont les surplus sont principalement réinvestis en fonction de ces finalités dans cette activité ou dans la communauté, plutôt que d’être guidés par le besoin de maximiser les profits pour des actionnaires ou des propriétaires »
L’entrepreneuriat à l’ orientale :
De par ses spécificités culturelles, le monde oriental avance une approche particulière de l’entrepreneuriat social. Citons notamment :
- Le « Social business » de Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix pour avoir créé la Banque des Pauvres. Le « social business » est une entreprise sociale ne versant aucun dividende, où les investisseurs sont autorisés à récupérer leur mise initiale, mais tous les bénéfices sont essentiellement investis pour le fonctionnement du « social business ». Le but ultime est de lutter contre la pauvreté.
- Le « Bottom of the pyramid » qui conçoit la pauvreté placée au bas de la pyramide de Maslow comme un marché porteur que les entreprises devraient percer pour se développer économiquement tout en aidant à l’éradication de la pauvreté.
- En se référant au cas de l’Asie de l’Est, l’on pourrait définir l’entrepreneuriat social comme toute entreprise basée sur une vision harmonique et spirituelle du monde, liée au Bouddhisme ou au courant de pensée de Confucius. L’entrepreneuriat social est impulsée en Asie de l’Est par l’absence d’une société civile opérationnelle, des crises économiques et des cataclysmes naturels cimentant la solidarité et enfin, une dynamique sociale forte, encore très ancrée dans les mentalités.
Nous constatons ainsi qu’en matière de définitions, l’entrepreneuriat social est riche de diversité, notamment en raison de l’importance de la dimension culturelle dans la façon d’entreprendre. Effectivement, on n’entreprend pas de la même manière en France, en Angleterre, ou au Japon.
Les trois dimensions de l’entrepreneuriat social
L’entrepreneuriat social a ceci de particulier qu’il est fondamentalement rattaché à trois mondes distincts :
- Le monde marchand lui conférant sa dimension économique. Effectivement l’entrepreneuriat social implique une prise de risques dans une production continue de biens et de services et la création d’emplois rémunérés.
- Le monde social lui donnant sa dimension sociale, car l’entrepreneuriat social se fixe pour objectif explicite de rendre service à la société dans la résolution de problèmes sociaux et/ou environnementaux. Il s’agit d’une initiative privée au service de l’intérêt général impliquant une distribution encadrée des bénéfices.
- Le monde des institutions lui conférant sa dimension politique. En effet, l’entrepreneuriat social pour être efficace, devrait collaborer avec les institutions publiques. Cette dimension politique se manifeste également dans le mode de management participatif prônant l’autonomie et la prise de décision collective impliquant tout individu concerné par l’activité et ce indépendamment de la détention de capital.
Caractéristiques:
Bien que les définitions de l’entrepreneuriat social soient multiples, voici néanmoins des points communs permettant de le caractériser :
- Le management collectif et participatif
Les entrepreneurs sociaux visent avant tout à concilier valeurs de solidarité et performance économique. Or, force est de constater qu’il s’agit parfois d’un dessein contradictoire, étant donné que les valeurs sociales et le profit économique entrent souvent en conflit. C’est la raison pour laquelle les entrepreneurs sociaux cherchent à gérer leur entreprise en produisant de la valeur sociale tout en réalisant des bénéfices. Le management collectif et participatif incluant une pluralité de parties prenantes demeure le meilleur moyen d’y arriver. Ces parties prenantes incluent le plus souvent des institutions comme les collectivités territoriales décentralisées, les partenaires sociaux tels que les associations, ou encore le mécénat comme les investisseurs philanthropes. Bien que convergeant vers un intérêt commun- l’intérêt général de la communauté d’implantation- les objectifs des parties prenantes peuvent se révéler spécifiques ; raison pour laquelle elles travaillent en étroite collaboration et dans un fort esprit de coopération, voire d’interdépendance.
- Le profit comme un moyen et non une fin
L’entrepreneuriat social, quel que soit son statut juridique met son efficacité et son développement économique au service de l’intérêt général. Se mettant au service de sa communauté d’implantation, il cherche alors à créer de la valeur sociale par le biais de la production d’une valeur économique. Le profit s’y conçoit ainsi comme un moyen et non une fin en soi.
- La volonté de servir la communauté locale
L’entrepreneuriat social promeut localement le sens de la responsabilité sociale. Les valeurs économiques produites créent ainsi une valeur sociale se révélant double, allant dans le sens des individus et de la collectivité.
- L’autonomie
L’entrepreneuriat social se caractérise aussi par la production autonome de biens et/ou services. Une autonomie s’acquérant surtout dans la viabilité du projet grâce à diverses sources de financements et/ou de partenariats.
- Une prise de décision collective, indépendante de la détention de capital
Le management collectif et participatif, mode de gouvernance des entreprises sociales, implique le partage des droits à la prise de décision pour toutes les parties prenantes du projet indépendamment de leur part de capital.
Défis à relever :
- Une gestion participative inclusive
Encore appelé management démocratique, le management participatif prévoit la participation active de toutes les parties prenantes de l’entreprise sociale, qu’il s’agisse des membres, des clients, ou des partenaires. Dépassant les clauses juridiques, cet état d’esprit est réellement inscrit dans les démarches des entrepreneurs sociaux. Leur réussite réside en effet dans le partage efficace d’informations et de prise de décision ainsi que la mise en place d’un large réseau savamment entretenu.
- La création d’un label « entreprise sociale »
Force est d’admettre que chercher à concilier profit économique et créations de valeurs sociales ne se fait pas sans quelques frustrations et même des échecs cuisants. Cela explique notamment le fait que le management des entreprises sociales ne soit pas toujours en adéquation avec leurs principes et idéaux de départ. Selon certains entrepreneurs sociaux européens, la création d’un label « entreprise sociale » pourrait remédier à cet état de faits. La création d’un tel label est d’ailleurs actuellement étudiée au niveau européen.
- La conception et la mise en place des enseignements dédiés
Bien que l’entrepreneuriat social soit déjà enseigné dans les grandes écoles françaises de commerce et d’autres universités, ce n’est pas encore le cas dans les formations économiques, juridiques ou de gestion. Or, pour former des acteurs performants en la matière, un enseignement dédié, à la fois pratique et théorique est nécessaire. Les étudiants seront ainsi aptes à comprendre et utiliser les dimensions sociales, politiques et économiques de l’entrepreneuriat social. Il leur sera plus facile d’appréhender et de manœuvrer les règles du jeu de chaque contexte auquel ils feront face, pour y élaborer des stratégies efficaces et innovantes, à la fois économiquement viables et socialement positives.
Dossier réalisé par Luz Razafimbelo