
Groupe phare du « tsapiky » actuel, le genre musical du sud de Madagascar, « Mahafaly Mihisa » est aussi un repère historique de ce dernier. Fruit d’un grand écart entre Madagascar et l’Afrique soutenue par une empreinte vocale austronésienne.
Face au naturel déconcertant de Marcel Voriandro, fondateur du groupe « Mahafaly Mihisa » créé à Betioky en 2013, on est tout de suite frappé par sa réponse. « Nous avons fait de la musique parce que la vie était difficile, nous ne trouvions pas de travail et il fallait nourrir notre famille ». Voilà, en une phrase comment cette formation musicale, faisant actuellement vibrer les puristes du « tsapiky », a décidé de se lancer sur scène. Par la plus fondamentale des nécessités alimentaires.
Il est difficile de ne pas rester sur sa… faim quand on entend pour la première fois un titre de la bande, tel « Tea valy malain-dranto ». Comme un vent qui s’engouffre en été, gaillard et entêté. Pour la simple raison que « Mahafaly Mihisa » tente de revenir à un « tsapiky » originel, celui qui a vraiment explosé dans les années ‘80/’90. Avec ce goût immodéré aux solos de guitare, dont le jeu est hérité du « kabôsy » et du « marovany », avec un accordéon ici et là. Mais aussi issu des genres musicaux traditionnels comme le « kinetsanetsa », « mangenake… ». Ensuite, le « pecto » et le « lulu » s’y sont greffés, les pendants mondialisés de cette musique.

Mondialisation assumée. Pour faire court, le « tsapiky » est le fruit d’un mélange de musiques traditionnelles/rituelles pratiquées dans le sud. Avec des styles africains, plus instrumentaux, que les mélomanes « toliarois » ont adopté et surnommé à leur manière. Le cheminement de ce genre musical a débuté depuis l’existence des 45 tours. Sans oublier l’apport des radios lusophones et anglophones africaines, ces stations de l’autre côté du canal de Mozambique captées à Toliara. « Trois mois avant Antananarivo, on savait déjà que les Beatles s’étaient séparés », aimait s’amuser l’immortel Rafl, guitariste mythique du rock band Doc Holiday. Il a passé une partie de sa jeunesse dans la Cité du Soleil.
« Mahafaly Mihisa » tente de remonter ce temps où la gloire de cette musique divisait et rassemblait à la fois les foules. Puisque des bandes de quartier se défiaient à la danse sur fond de « tsapiky ». Tandis que la musique, renouvelée, réintégrait de plus en plus les cérémonies traditionnelles, comme un retour à l’envoyeur. Genre fenêtre de la mondialisation, il n’y a pas mieux. « Avant, dans les rassemblements traditionnels, les musiciens jouaient du ‘kabôsy’. Ensuite, avec l’avènement des batteries et des guitares électriques, tout a changé », rappelle Marcel Voriandro.
Le pari de la formation semblait porter ses fruits. De Bezaha Sud à Bekily et jusqu’à Tsihombe, ces localités oubliées des nobles, avec leur lot de famine annuelle, « Mahafaly Mihisa » a conquis un très large public. Celui qui cherche l’authenticité, à l’heure où le vacuum laissé par l’uniformisation tend à gagner le paysage malgache, pour ne citer que l’effet « itune ». La formation a déjà une réputation notoire dans tout le sud malgache. « Nous avons un petit souci actuellement, est- ce que nous allons suivre le rythme des mandry am-pototse ? A côté nous avons d’autres projets », se demande Marcel Voriandro.
« Mandry am-pototse ». Etant donné qu’il n’y a pas de charts dans cette région, ces rassemblements « mandry am-pototse », qui veut dire littéralement : dormir au pied, servant de baromètre à succès. Lors des funérailles, les familles font appel aux groupes les plus réputés pour animer des nuits de veillée, plus festives que tire-larmes. La raison serait des plus simples, une musique entrainante et amusante incite plus l’assistance à rester. Certains hommages au défunt peuvent durer une semaine, voire plus. « Mahafaly Mihisa » est dans le top 3 des groupes les plus sollicités. A la manière des meilleures troupes de « Hira gasy » en période de « famadihana ».
« Étonnement, notre style a réussi à attirer des amateurs. De plus, nous faisons plus dominer la danse des épaules – où dihy soroka – Dans nos chansons, nous parlons presque de tout. L’amour, l’amitié, la loyauté… », souligne Marcel Voriandro.
Cependant, il est difficile d’évoquer ce groupe sans parler de la voix de la chanteuse Nina. Une comète, rappelant cette chaleur du sud, enveloppante avec une puissance naturelle libératrice. Dans les octaves et la justesse, rien à redire, sans doute une des meilleures voix du « tsapiky » à l’heure actuelle. Entre les rythmes et les solos de guitare tantôt organiques, tantôt furtifs, sa voix fière s’écoule. En l’écoutant, on est tenté de faire les liens austronésiens lointains encore vivaces avec cette partie de Madagascar. Pour cela, il suffit de tendre l’oreille à quelques titres Indonésiens ou Malaisiens et faire la comparaison.
Si à Toliara, « Mahafaly Mihisa » ravage les scènes, le groupe veut maintenant ratisser large. Une carrière plus « classique », avec des productions clips, disques et compagnie. Sortir de leur fief du sud pour s’attaquer à d’autres régions plus au nord.
Maminirina Rado