
Les artistes malgaches et Internet, c’est une histoire de train raté. En effet, le milieu culturel malgache tente maintenant de se mettre au niveau des exigences de cet outil mondialisant.
Dans le secteur de la musique, à Madagascar, seuls les braves ou les fêlés osent encore sortir un album CD. La raison est que les artistes et les groupes ont peur de l’outil Internet. Comment peuvent-ils espérer faire des retours sur investissements, puisque dès que le produit sort, il est démultiplié comme des galettes et offert comme du pain. « Nous sommes sur un album, mais nous nous demandons encore si vendre en ligne est rentable actuellement », a un jour fait savoir Beranto du mythique groupe de rock Ambondrona.
Comme lui et sa bande le pensent, Internet est passé par là. Sans frein, sans loi et surtout sans frontière. Le schéma de base est très simple. Un individu se procure l’album tout frais d’une chanteuse, par exemple, et extrait chaque piste sur un espace de stockage. Pour satisfaire tous les fans de l’artiste, cet individu partage les morceaux sur les réseaux sociaux. Et il a le choix. Comme diffuser les chansons sur la plateforme de partage YouTube. Pour que chacun puisse à son tour les télécharger gratuitement. Cerise sur le gâteau, même un petit jeune de 13 ans peut le faire dans le cybercafé du coin. Ensuite, les titres se partagent de smartphone en smartphone par une simple connexion Bluetooth.
Partage libre. A côté de cela, la chanteuse aura beau crier au piratage, elle ne fera que constater les dégâts. Voilà l’enjeu qui attend les producteurs musicaux malgaches actuellement. Pourtant, le pays est encore en retard en matière de couverture Internet. A Madagascar, les internautes se trouvent en majorité dans les grandes villes. Cela va de soi. Tandis que le taux d’accès au web ne dépasse guère les 10 %. Soit une totalité d’environ 4 millions de personnes qui arrivent déjà à faire vaciller une industrie musicale qui pèserait par an, selon de récentes études, plus de 500 millions d’ariary. Il fut presque logique que la musique soit la première victime du réseau mondial.
Pour Herrick Andriamitaha, docteur en communication pour le développement, et enseignant à l’université : « La majorité des artistes à Madagascar ont été surpris par l’avènement des nouvelles technologies. Ils n’ont pas été informés à temps. Du coup, ils n’ont pas pu élaborer à l’avance des stratégies d’envergure pour faire face à cette déferlante. Les producteurs ont été dépassés. Que ce soit dans la musique, la peinture, la photographie… »
Un brin résigné. Mais le spécialiste en communication et en relations publiques reconnait tout de même qu’« il y a actuellement des communautés de pratique virtuelle, des réseaux d’amateurs d’art passionnés de partage. Comme les groupes d’amateurs de métal ou de kalon’ny fahiny. Dès lors, nous pouvons retrouver de très anciens morceaux numérisés qui reviennent au goût du jour. Mais nous ne parlons pas encore de commerce ni de marché, c’est tout simplement de la passion. Et nous en sommes là en 2018. »

Le règne des réseaux sociaux. Ainsi, Facebook, Instagram, Google+ et d’autres sont devenus les nouveaux étals du milieu artistique malgache. Les réseaux sociaux sont désormais inséparables des créatifs du pays. Des esquisses sur une planche de bande dessinée, accompagnées de quelques mots en effet d’annonce, peuvent déjà servir de publicité. Le coût est moindre par rapport à une annonce sur les supports conventionnels mais la portée peut en quelques secondes dépasser les frontières. Dans tout cela, le cinéma semble prendre quelques aises.
A l’instar de Rianando Ludovic Randriamanantsoa, une référence de la nouvelle génération du septième art malgache. « Internet m’a apporté des choses. Par exemple, je tiens un blog. Ensuite, quand nous avons tourné un film intitulé ’Vanille à Madagascar’, des producteurs australiens m’ont directement appelé car ils ont visionné le produit que nous avions mis en ligne sur YouTube. Ils m’ont demandé de collaborer avec eux pour une production qu’ils voulaient faire à Madagascar. Sur Internet, il y a aussi des appels à collaboration ou des fonds disponibles, nous pouvons y participer ». Apparemment, le septième art malgache a pu rapidement sortir la tête de l’eau. Sans doute ses longues années de silence et sa réapparition au moment propice ont été des facteurs décisifs.
Sans le dire, Rianando Ludovic Randriamanantsoa a mis le doigt sur un point essentiel : le contenu. Peu d’artistes se soucient de leur image virtuelle. Peu possèdent un site web professionnel. Même le minimum requis, un compte Facebook digne de son statut d’artiste. Beaucoup pense que diffuser quelques clips, quelques œuvres sur Internet suffisent à attirer les bailleurs ou les consommateurs. Loin de là, faire son marketing artistique sur les réseaux sociaux et la Toile nécessite un savoir-faire. Comme le community management, les webmasters et d’autres métiers liés au web. Et il faut l’accepter, c’est du « marketing » digital.
Topographie des « j’aime » sur Facebook
Un petit tour sur Facebook a permis de savoir qui sont les groupes, les artistes, les lieux culturels… qui engrangent le plus de fidèles. Il ne s’agit pas d’un classement mais d’une mini topographie du paysage « Facebookien ».

MUSIQUE :
- Mahaleo – 126 197 « j’aime »
Décidément, ce groupe mythiquea su traverser les âges. Sa page officielle est l’une des plus visitées et des plus aimées sur Facebook. Loin devant les jeunes artistes du moment.
- Ambondrona – 75 432 « j’aime »
Autre groupe de légende, les rockers d’Ambondrona peuvent se targuer d’être les plus suivis sur Facebook. Il ne faut pas oublier que la formation peut remplir un Coliseum d’Antsonjombe de 30 000 places à ras bord.
- Rakroots – 62 165 « j’aime »
Symbole de la nouvelle génération de la musique malgache, celle qui est appréciée par les ados et les minettes du lycée. Rakroots fait un bon score sur Facebook.
- Dadi Love – 70 880 « j’aime »
Il est le nouveau roi de la variété, Dadi Love affiche un des plus grands nombres de « j’aime » dans sa catégorie. Les photos de son récent mariage ont été visionnées des centaines de fois.
ART :
- Is’art Galerie – 9 508 « j’aime »
L’Is’art Galerie à Ampasanimalo est un lieu incontournable de l’art contemporain tananarivien. Avec plus de 9 000 « j’aime », il est difficile de ne pas se dire que c’est déjà un exploit.
- Tahala Rarihasina – 240 « j’aime »
Situé en plein centre-ville, le bâtiment qui abrite Tahala Rarihasana est un centre névralgique de l’art malgache, puisqu’il abrite, entre autres, les bureaux du musée d’art et d’archéologie.
- IKM Antsahavola – 7 669 « j’aime »
Nouveau venu dans le paysage artistique malgache, l’IKM à Antsahavola a rapidement gagné des galons auprès des internautes amateurs d’art. Ce score mérite des félicitations.
CENTRE :
- Ivo-kolo CEMDLAC – 296 « j’aime »
La situation de ce lieu, qui est assez apprécié des organisateurs de musique métal de la capitale, ferait envier n’importe quel promoteur culturel. Sauf que sur Facebook, il est un petit poucet.
- CGM Analakely – 1 728 « j’aime »
Il fut un temps où le CGM, ou Goethe-Zentrum, à Analakely était un haut lieu d’un grand bouillonnement culturel. Plusieurs artistes de renom ont fait leurs débuts sur sa scène.
SCENE :
- Piment Café – 2 606 « j’aime »
Pionnier des cabarets à Antananarivo, le Piment Café est un incontournable des nuits de la capitale depuis plus de 15 ans.
- Jao’s Pub – 5 439 « j’aime »
Tenu par la famille Jaojoby, avec comme maître des lieux le roi du Salegy, le Jao’s Pub s’ouvre à tous les genres musicaux.
Un petit test sur Google :
En faisant une recherche par mots-clés sur ce moteur de recherche le plus utilisé au monde, il est temps de tester la valeur de la musique malgache sur Internet.
Mots-clés 1 : Musique africaine
Aucun site web ou référence sur Madagascar n’apparait dans les quinze premiers résultats de la recherche. Sauf sur le portail Music in Africa, qui, en surfant dessus, parle de la musique malgache.
Mots-clés 2 : African music
En choisissant un terme anglophone, force est de constater que Madagascar n’apparait presque nulle part. Il faut faire défiler une longue liste de résultats pour trouver enfin le résultat espéré.
Résumé : Par ailleurs, le portail Music in Africa se retrouve toujours dans les cinq premiers résultats de recherche. Ce site doit donc être ciblé par les artistes pour améliorer leur visibilité.
Mots-clés 3 : Music Madagascar
Le résultat est plus consistant. Une petite pincée au cœur quand on constate que la musique malgache possède sa page sur Wikipédia, l’encyclopédie numérique la plus consultée au monde.
Mots-clés 4 : Musique Madagascar
En tapant le mot-clé en français, c’est presque le même topo qu’avec le mot-clé en anglais, puisque le sujet est présent sur Wikipédia. Par ailleurs, quelques blogs d’amateurs avertis sont signalés sur la liste.
Résumé : Ces mots-clés sont des termes génériques, mais en affinant les recherches par artiste, par exemple, la pauvreté du contenu sur l’art malgache se fait constater.
Maminirina Rado