
Les acteurs culturels du pays attendent toujours à ce que la culture soit valorisée et mise au premier plan dans toute politique de développement. Les actions du nouveau président de la République, qui qu’il soit, sont attendues dans ce domaine.
« Je n’ai pas beaucoup de chose à dire à ce sujet puisque tous ceux qui se sont succédé ont toujours ont ignoré la culture », lance Mendrika Rasolomahatratra, batteur du groupe Solomiral. A la question, quelles devraient être les priorités de celui qui sera le nouveau Président de la République dans ce domaine, ce musicien de plus de trente ans de carrière n’espère rien. Il se peut qu’il ait raison, puisque depuis toujours, le budget annuel du ministère de la Culture ressemblait à celui d’une équipe de foot de troisième division en Europe. Pourtant, à Madagascar, crise ou non, l’art a été un générateur d’emploi à ne pas négliger.
Hemerson Andrianetrazafy, artiste plasticien, historien d’art et membre de l’Académie malgache pousse le bouchon encore plus loin. « La priorité devrait concerner tout ce qui fait l’individu : une personne avec des valeurs, une personne d’esprit, un bon citoyen… ». Intégrer des concepts culturellement essentiels, comme l’identité, dans la politique culturelle n’a jamais été mis en avant par les dirigeants malgaches depuis l’indépendance. Au niveau de l’enseignement, le programme scolaire ne contient presque pas de référence à cette notion. A titre d’exemple, les recherches des archéologues concernant l’histoire du peuplement de Madagascar confirment l’existence de personnes vivant déjà dans la Grande Île, il y a 500 ans av JC. Pourtant, aucun manuel du primaire ou du secondaire ne le mentionne. Ce que regrette quelques peu, Ken Thierry Andrianaharinjato chanteur du groupe Mage 4. « Les cultures étrangères ne sont pas mauvaises, mais nous devons aussi nous retourner vers le passé pour que nous n’oublions pas complètement nos valeurs culturelles ».

L’essence de la culture. Souvent, le rapprochement de facilité entre art et culture annihile toute autre perspective. Voilà sans doute la raison pour laquelle le ministère de la Culture bénéficie d’un budget de PME. Penser la culture dans son aspect anthropologique ou identitaire, voire politique, n’aurait jamais effleuré les dirigeants du pays. Avançant sur cette idée de la relation entre culture et gestion de la cité, la notion de nation n’est jamais loin. Selon Anne Marie Thiesse, chercheuse au CRNS dans la communication « La nation, une construction politique et culturelle », le culturel ne serait pas un simple faire valoir. « Toutes les nations ont été construites à la fois comme des corps politiques et comme des communautés culturelles. La dimension politique de la nation est universelle, elle prend cependant corps dans un espace géographique identifiable. Ce qui suppose le recours à des critères culturels particularisants. C’est donc en fait le culturel qui sert à délimiter la communauté politique ».
L’affirmation que Madagascar est un riche vivier culturel, que ce soit en tradition, en art musical… ne se calque pas sur la réalité sur le terrain. A se demander si cette richesse ne serait qu’un mythe pour idéaliser l’enfermement insulaire. La grande question reste : est- ce que Madagascar possède vraiment un potentiel culturel et artistique pouvant être exploité ? « A Madagascar, il n’y a pas de politique culturelle. Cette richesse existe bel et bien, mais il n’y a pas d’infrastructure adéquate, on fait semblant de nous occuper du secteur. Le marché, et bien, il n’existe presque pas. Il nous faut nous convaincre que la culture est capable de relancer l’économie. Tout le monde doit en être convaincu, à partir du Président de la République, le Gouvernement, le Sénat, l’Assemblée Nationale… pour que cela aboutisse à la mise en place d’une vraie administration culturelle et à des infrastructures », souligne Eric Rasoamiaramanana, activiste culturel et promoteur artistique.
Pour le comprendre, il suffit de compter le nombre de cabarets et petites salles qui ont été mis en activité ces cinq dernières années. Mais un manque de structure solide reste toujours d’actualité dans le secteur culturel. Pour Andry Johanesa Razanadrato, diplomé d’un master en science de l’information et de la communication, « mettre en place une balise pour chaque domaine artistique » semble être une priorité. « Cela peut commencer par la création d’un conseil d’art national, après déterminer des règles de conduite pour les artistes. Cela ne prendra pas la forme d’un office comme l’OMDA mais ce sera un véritable conseil. Cela se fait largement dans le domaine économique, il suffit de le transposer dans la culture ».
Etre responsable. Pour Mashmanjaka Tsirefesimandidy, un des meilleurs artistes urbains et toaster du pays, le regard se tourne plutôt vers les responsables et les décisionnaires. « Il faut penser à ériger un statut particulier aux artistes, puisqu’ils peuvent apporter une solution, et qu’ils sont eux-mêmes une solution pour développer l’art. Il faut donner plus de visibilité et sa place aux métiers de la création, ce secteur est peu considéré. Donc, mettre à leur disposition une plate-forme d’expressions de leur savoir-faire ». Un vaste chantier qui est à mettre en œuvre en tenant compte des priorités urgentes comme la pauvreté, l’insécurité et le pouvoir d’achat.
Ce manque d’infrastructure et d’initiative est souvent pointé du doigt par quelques artistes, le bédéiste Tojo Alain Rabemanantsoa, qui a déjà réussi à illuminer le festival d’Angoulême de ses œuvres, n’y va pas par quatre chemins. « Les ministères qui se sont succéde n’ont jamais œuvré pour la culture, juste du bavardage. On devrait chercher les talents à la source et leur apporter du soutien, évidemment, c’est le ministère de la Culture qui devrait s’en occuper ». Lui qui a mis des années avant de vraiment goûter aux retombées de son art. Lui et quelques dessinateurs malgaches ont été repérés par des producteurs étrangers. Sinon, leur talent aurait difficilement traversé les frontières. Tel est souvent l’issue de secours des artistes malgaches, tenté de se faire repérer par les bailleurs étrangers. Parfois aux risques de se soumettre à la main- mise de ces derniers sur le contenu artistique ou les messages à passer.
Le moment est venu de ne plus tâtonner pour le bien du secteur culturel. Penser culture comme levier de développement devrait se faire à la base, depuis le vécu des citoyens et des groupes humains. D’autant que les malgaches peuvent s’adapter aux vents extérieurs. Cela se confirme par leur adaptation à la culture numérique.
Maminirina Rado