Cela fait un mois que les régions touchées par le coronavirus sont en confinement. D’un côté, bon nombre de gens ne respectent pas les mesures sanitaires indiquées par l’Etat. De l’autre, de nombreuses entreprises se trouvent en difficulté, voire en cessation d’activité à cause de l’arrêt de toutes les activités économiques. Fano Andriamahefazafy, un économiste et enseignant chercheur à l’Université d’Antananarivo, nous livre dans une interview son opinion face à la situation qui prévaut dans le pays.
Quel est votre constat sur les deux périodes de confinement à Madagascar ?
Le respect des mesures de confinement est une fonction décroissante du temps, de la perception de la gravité de la maladie – nombre de cas, zéro mort, remède disponible – et des contraintes économiques des différentes entités – ménages, entreprises, etc.
Quels sont les impacts pour les ménages et les entreprises ?
Une grande partie des ménages perçoivent des revenus variables. Le ralentissement ou l’arrêt de la plupart des activités réduit fortement le niveau de vie des citoyens. Les plus vulnérables, qui ne disposent pas d’épargne ou de capital social pour les secourir financièrement, sont les plus touchés. C’est pourquoi, depuis quelques jours, nous percevons cette impression de relâchement par rapport aux mesures de confinement. C’est pareil pour les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises (PME), et pour les activités exercées dans le secteur informel, avec un risque élevé de destruction d’emplois et un important « effet de dominos ». L’exemple de la restauration est emblématique, avec les effets négatifs pour les producteurs d’oeufs, les éleveurs de volailles, les maraîchers, etc.

Quelles solutions proposeriez-vous pour faire face au coronavirus ?
Le confinement ne sert qu’à ralentir la propagation et à préparer des mesures à appliquer dans la vie quotidienne. Que nous le voulions ou non, il va falloir apprendre à vivre avec ce virus, tant qu’on ne trouve pas de remède ou de vaccin. Après un mois de confinement, il est temps de l’arrêter dans sa forme actuelle. Laissons les secteurs qui ont pu fonctionner jusqu’à midi continuer leurs activités jusqu’à la fin de la journée, ou jusqu’en début de soirée, soit un retour à un fonctionnement normal. En revanche, il faut renforcer les mesures de prévention, telles que le port obligatoire des masques, la mise en place des barrières sanitaires et l’application de la distanciation sociale. Pour les activités spécifiques impliquant un rassemblement comme l’enseignement, le transport public, les cultes, la restauration/hôtellerie et les spectacles, une concertation avec les acteurs concernés devrait avoir lieu. Le but est de décider d’une manière participative des mesures à prendre, par secteur, et d’envisager une reprise progressive des activités pour ces secteurs à partir de la semaine du 27 avril ou du 4 mai 2020. En fait, il faut éviter de décréter des mesures « impossibles » à appliquer et à faire respecter.
Quid des industries en cessation d’activité ?
Il faut les laisser reprendre leurs activités avec les mesures de prévention identiques appliquées dans le secteur bancaire ou la grande distribution. Il faut privilégier le transport organisé pour le déplacement quotidien du personnel. La meilleure solution vient toujours de la concertation entre les acteurs concernés. En fait, nous avons maintenant deux périodes de référence, celle sans confinement et celle avec confinement. Les décideurs ont ainsi du recul lorsqu’ils considèrent les différents paramètres, sans aller jusqu’à une analyse coûts-bénéfices des mesures. Il n’y a qu’à constater les offres de service de livraison qui fleurissent depuis quelques jours. Toutes les entreprises doivent ainsi pouvoir reprendre progressivement. Quant au secteur de l’hôtellerie et de la restauration, des mesures spécifiques de santé sont à instaurer. Il faut se réinventer et s’organiser au fur et à mesure. Ce que nous voyons depuis une dizaine de jours dans la capitale plaide pour ce déconfinement progressif. J’insiste sur les mesures concertées de prévention pour les secteurs d’activité impliquant un rassemblement. En outre, je crois en la capacité d’adaptation et d’innovation de notre tissu économique.
Quel est le rôle de l’Etat dans tout cela ? Et à quoi doivent servir les financements extérieurs qu’il vient d’obtenir ?
Nous devons disposer de fonds pour soutenir l’équilibre macro-économique, notamment celui de la balance des paiements et du budget de l’Etat. Nous avons également besoin de fonds de relance pour combattre la récession. Il s’agit, entre autres, du financement des mesures par la dette intérieure, tel que l’emprunt obligataire social estampillé « Lutte contre le covid-19 » et les crédits d’impôts pour les entreprises afin d’accompagner la relance de leurs activités. L’Etat peut, entre temps, financer des investissements ciblés avec d’éventuelles suppressions de charges, moyennant une certaine condition comme le maintien de l’emploi et la déclaration conforme vis-à-vis de l’administration fiscale. Ces mesures de relance doivent ensuite contribuer à l’effort de la formalisation des acteurs informels. Il faut également soutenir les entreprises et les institutions financières vulnérables en leur accordant un financement direct, ou une ligne de crédit spécifique, avec des garanties et des taux d’intérêts subventionnés. Mais il faut prioriser les mesures en faveur des entreprises à haute valeur ajoutée pour le marché local et les exportations. Les financements extérieurs devront servir à financer de telles mesures. Le financement de la dette extérieure n’est pas en reste.
Le secteur privé réclame-t-il un fonds d’aide directe ? Quel est votre avis ?
J’opte surtout pour des aides sélectives et conditionnées, avec des critères de sélection à déterminer dans la concertation et la transparence. Nous pouvons citer entre autres le manque à gagner, la vulnérabilité et la menace sur l’emploi ainsi que les conditions sous forme de contreparties socio-économiques comme le maintien de l’emploi, la formalisation et la redevabilité fiscale. Cela peut ainsi être une aide directe et un crédit à rembourser avec un taux d’intérêt très faible. Et pour les exportateurs, il faut s’attendre à une contraction de la demande mondiale en produits « non prioritaires ». Il faut ainsi anticiper, s’adapter et se diversifier autant que possible. La production des masques « grand public » par les entreprises franches est déjà une bonne chose. C’est une manière pour l’État de soutenir les emplois. En fait, il est temps d’inventer un autre mode de société, de renforcer notre tissu industriel et promouvoir le « vita malagasy » dans les achats de l’État et des consommateurs en général. Mais l’autre enjeu, c’est l’équilibre de notre balance commerciale avec l’arrêt du tourisme et la baisse de l’exportation de certains produits, et ce, même si les importations vont également baisser. Il faut se méfier notamment des mesures de relance sans précautions puisque cela va impacter significativement la demande des produits importés et affecter par la suite le taux de change.
Recueillis par Navalona R.