En cette veille de la célébration du 60e anniversaire du retour de l’indépendance, l’Ambassadeur du Japon à Madagascar, Yoshihiro Higuchi nous a accordé une interview exclusive pour parler de la situation de la relation diplomatique entre les deux pays et surtout de la crise du coronavirus. Il a profité de cette occasion pour exprimer les félicitations au nom du Gouvernement du Japon et du peuple japonais pour la fête de l’indépendance, en évoquant le fait que le Japon a reconnu l’Etat malagasy en juillet 1960 et a décidé d’ouvrir une ambassade en 1968. Ayant célébré aussi ses 60 ans cette année, Yoshihiro Higuchi parle d’une coïncidence entre l’histoire moderne de Madagascar et sa vie personnelle. Interview.
MIDI Madagasikara (MIDI): Actuellement, le Japon accorde plus d’importance à l’Afrique, et Madagascar figure dans la route maritime du Japon à travers le Port de Toamasina dans la Stratégie Indo-Pacifique Libre et Ouverte. Pourquoi ce choix de Madagascar ?
Yoshihiro HIGUCHI (Y.H): « Le Japon comme Madagascar est un pays insulaire. Le Japon a développé son économie par le commerce extérieur maritime. Le Japon ne dispose pas de ressources naturelles, et a axé sa stratégie de développement sur les commerces extérieurs. La liberté de navigation, la sécurité maritime et les infrastructures portuaires sont très importantes pour le commerce maritime. Madagascar est un nœud de communication important dans l’Océan Indien. Dans le cadre du concept de l’Indo Pacifique libre et ouvert, Madagascar est un pays partenaire stratégique important pour le Japon qui se situe en première ligne de l’IPLO en Afrique. L’amélioration des infrastructures maritimes, la liberté de navigation, la sécurité maritime sont plus qu’importantes pour l’intérêt national de Madagascar, mais aussi pour l’intérêt de la communauté internationale. Nous avons soutenu le projet d’extension du Port de Toamasina avec un budget 430 millions de dollars. Toamasina est le premier port international du pays et nous sommes convaincus que le développement de sa capacité sert énormément au développement socio-économique du pays. Toamasina pourrait être une plaque tournante de la distribution maritime qui connecte l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique-Australe ».
MIDI : A part les travaux d’extensions du Port de Toamasina, quels seront les grands projets que le Japon pourrait financer à Madagascar ?
Y.H : « Nous considérons que la connectivité entre les deux grandes villes à savoir Toamasina et Antananarivo, est primordiale pour le développement économique du pays. Il y a le projet d’amélioration de deux ponts à double voies sur la Route Nationale 2. Il s’agit des Ponts de Mangoro et d’Antsapazana. C’est un projet de don estimé à 24 millions de dollars. Un autre projet à hauteur de 29 millions de dollars concerne l’irrigation du Lac Alaotra qui vise à améliorer le rendement rizicole et assurer la sécurité alimentaire. Le projet concerne 10.000 ha de terrains et 4.500 familles vont en bénéficier. Et il y a aussi le programme de financement de micro-projets gérés par l’Ambassade avec les ONG et les communautés locales. C’est un projet rapide à exécution avec un montant plafond d’environ 80.000 euros par projet destiné à aménager, à construire des écoles, des hôpitaux et d’autres établissements ».
MIDI : Madagascar et le Japon, sont des îles et font face au même problème. Au Japon, l’Etat accorde plus de budget et d’importance dans la surveillance des frontières à travers les gardes côtes, est-ce que la coopération dans ce domaine est envisageable ?
Y.H : « Comme vous le savez, le Japon a le principe de ne pas fournir une coopération militaire directe aux armées étrangères. La garde côtière malagasy appartient à l’armée maritime, par conséquent, il y a certaines limites dans notre coopération. Pourtant, il y a la possibilité de développer une coopération dans le domaine non militaire comme la sauvegarde en mer, la surveillance des pêches, la sûreté de la navigation, l’aménagement du système et le renforcement de la capacité à travers les formations ».
MIDI : Sur le plan économique, quels sont les enjeux, les priorités et les chantiers de l’Ambassade dans les mois et années à venir?
Y.H : « Le Projet Ambatovy est le plus grand investissement du Japon en Afrique. L’entreprise Sumitomo, grande maison de commerce, est le premier actionnaire du projet. En 2018, Ambatovy a produit 30.000 tonnes de nickel. Cette production correspond à 20 % de l’exportation totale de Madagascar à l’étranger en 2018 à hauteur de 3 milliards 100 millions de dollars. Le projet Ambatovy fournit une source importante de devises étrangères pour Madagascar, crée des emplois locaux à peu près 9.000 et a établi un fonds d’investissement socio-économique à hauteur de 25 millions de dollars notamment à Toamasina et à Moramanga. Le projet renfloue également les caisses de l’Etat à travers les redevances et les taxes. C’est un projet bénéfique pour l’économie malgache. Malheureusement avec la crise du covid-19, le projet est obligé de suspendre ses activités. La suspension à longue durée du projet va avoir des répercussions négatives pour Madagascar surtout en matière de devise et d’emploi. Notre souhait est la reprise le plus tôt possible. Madagascar est très riche en ressources minérales et agricoles. L’Ambassade est prête à travailler pour que plus d’investisseurs japonais viennent investir à Madagascar »
MIDI : Est-ce que vous avez des chiffres clés de la relation nippo-malagasy ?
Y.H : « En terme de superficie, Madagascar est la 4e plus Grande Île du monde et 1,6 fois plus grande que le Japon. Sur le plan démographique, la population japonaise est 5 fois plus nombreuse que celle malgache. En 2019, les exportations de Madagascar vers le Japon avoisinent les 210 millions de dollars dont les 168 millions de dollars proviennent du projet Ambatovy. Par contre, les importations malgaches sont estimées à 79 millions de dollars. Madagascar est donc excédentaire en matière de commerce vis-à-vis du Japon. Parmi les importations japonaises, 90 % de la consommation en vanille proviennent de Madagascar et 60 % pour le girofle. Toamasina est le seul port international malgache et traite 90% des conteneurs à Madagascar. Notre projet de coopération vise à doubler la capacité pour le port de Toamasina. On recense 2532 apprenants de la langue japonaise au pays soit le 3e le plus important en Afrique subsaharienne, après la Côte d’Ivoire et le Kenya ».
MIDI : La culture et le sport tiennent une grande place pour le Japon. Est-ce qu’il y a des programmes dans le raffermissement des liens dans ces deux domaines ?
Y.H : « La culture et le sport sont deux domaines importants pour le raffermissement des liens d’amitié. Le peuple malgache est très intéressé par la culture japonaise et les art-martiaux. Beaucoup de jeunes sont passionnés par les Bandes Dessinées japonaises comme les mangas. En 2016, l’Université d’Antananarivo à travers la Faculté des Lettres, a ouvert la filière anglaise-japonaise et en 2019, l’Université a créé la filière japonaise-malgache. Les Jeux Olympiques et Paralympiques étaient prévus cette année à Tokyo et ont été reportés en 2021. Nous espérons voir plus d’athlètes malgaches à cette édition 2021. Nous avons aussi apporté un programme de formation à travers l’envoi de 7 judokas au Japon en 2018. Des volontaires japonais de la JICA ont donné une assistance technique aux équipes nationales de judo et de rugby féminin à VII.
C’est toujours avec un grand plaisir que je rencontre beaucoup de pratiquants des arts martiaux japonais parmi les personnalités, y compris les ministres que je rencontre à Madagascar »
MIDI : Cela fait cinq mois que vous êtes arrivés à Madagascar. Quelles sont vos impressions du pays depuis votre arrivée ?
Y.H : « Je suis à mon 5e mois. Nous avons été bien accueillis à l’arrivée, nous avons tout de suite une impression très positive du pays. Je crois que Madagascar est un grand pays, très varié avec beaucoup de charme et de potentiel. En qualité d’Ambassadeur, j’ai envie d’aller visiter plusieurs endroits, et de rencontrer beaucoup de personnalités afin d’approfondir ma connaissance du pays. J’ai rencontré le Président de Madagascar en février lors de la présentation des lettres de créance. J’ai été très impressionné par la vision, le programme et la volonté politique très ferme du Président de transformer ce pays afin de réaliser le développement économique et social. Je lui ai assuré que le Japon reste toujours à côté de Madagascar pour accompagner les efforts du pays. Mais, je me suis posé une question, Madagascar est un pays riche, plein de potentiel, pourquoi il n’a pas pu réaliser son vrai développement ? Une réponse à cette question n’est pas facilement trouvée, il faut bien réfléchir, le plus important est que le peuple malgache et le gouvernement eux-mêmes puissent trouver une réponse à cette question et unir les efforts afin de le réaliser » .
MIDI : Au Japon, la Covid-19 a été vite maîtrisée. Quelle a été la stratégie du gouvernement japonais pour lutter contre cette épidémie ?
Y.H : « Jusqu’à actuellement, je crois que le Japon a relativement bien maitrisé la propagation du coronavirus car le nombre de cas confirmés et de décès n’est pas trop élevé mais, cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas eu de difficultés dans la gestion de cette pandémie. Je pense, qu’il n’y a pas de réponse cent pour cent correcte à ce type de virus. Le système de la sécurité sociale généralisée, le meilleur accès au service médical, le réseau de service de santé publique à l’échelle nationale, la haute conscience de la population japonaise à l’égard de l’hygiène et de la propreté, la mentalité nationale du respect des règles, c’est-à-dire que les Japonais sont très disciplinés et le contexte général culturel et le mode de vie à la japonaise nous ont peut-être aidé d’une façon complexe. Plus concrètement, le Japon a pris des mesures précoces pour identifier les premiers cas de contaminations et aussi de contrôler les clusters. Le gouvernement a appelé au peuple japonais d’éviter les espaces fermés, les endroits bondés et les contacts étroits. Grâce à la coopération avec le peuple japonais, nous avons pu éviter l’effondrement du système médical. Pourtant, il faut se méfier de la 2e et 3e vague et il faut rester vigilant et prendre les mesures appropriées ».
MIDI : Qu’en est-il de la situation au Japon maintenant ?
Y.H : « A la date du 23 juin, 17926 cas confirmés dont 16203 guérisons et 956 décès ont été répertoriés. Je crois que nous avons déjà dépassé le moment du pic. Ces dernières semaines, le nombre de nouveaux cas est de 50-60 cas par jour ».
MIDI : Est-ce la Covid-19 pourrait affecter les projets de développement entre le gouvernement malgache et japonais ?
Y.H : « La pandémie a un impact négatif dans l’exécution des projets de développement. Le projet de Toamasina et du Lac Alaotra ont été suspendus à cause du départ du personnel et des experts qui étaient obligés de quitter Madagascar. Il en est de même pour le projet des deux ponts sur la RN2. La reprise de ces projets est conditionnée par la maîtrise de la propagation du coronavirus et de l’ouverture des frontières aériennes car nous avons besoin des experts japonais pour leur continuité ».
MIDI : Quel a été l’apport du Japon dans la lutte contre la COVID-19 à Madagascar ?
Y.H : « Le Japon est en train de préparer des projets d’assistance d’urgence pour fournir au ministère de la Santé publique des matériels médicaux de première nécessité, des tests et des vêtements protecteurs destinés au personnel médical. Des équipements tels que radiogrammes, et électrocardiogrammes vont être distribués dans 16 hôpitaux régionaux partout dans l’île avec quelques ambulances. Parmi le budget pour le projet avec UNFPA sur l’amélioration la situation des défavorisés dans le sud, un montant de 250.000 dollar est réservé aussi pour lutter contre la Covid-19 »
MIDI : Comment trouvez-vous la gestion de la pandémie à Madagascar ?
Y.H : « J’aimerais rendre un hommage au Président et au Gouvernement pour leurs efforts acharnés dans la gestion de cette crise sanitaire. Grâce aux mesures prises, ce virus est contrôlé dans une certaine mesure, toutefois on constate la montée des cas confirmés notamment à Toamasina et à Antananarivo. La propagation du virus n’est pas totalement endiguée. On espére que le gouvernement continue à prendre des mesures effectives et efficaces y compris le renforcement du système de dépistage et d’analyse. Un monde après-Covid ne serait plus le monde que nous connaissions avant peut-être, nous sommes obligés de cohabiter avec le virus. Je crois qu’il faut saisir de cette crise pour mettre à jour le système de santé afin qu’il puisse être moins vulnérable, plus costaud et résistant à l’issue de la crise ».
Propos recueillis par Tanjona DEVAUX HARIJAONA