
La boule de nerf du rap, KVR, ou Claraille Hanitriniaina, vient de signer un ovniesque mixtape du nom d’« Arangaranga ». Il faut attacher les ceintures pour l’écouter sans sérénité.
Dans une société fragmentée, aux mœurs en apparence déclinantes, surgit la jeune rappeuse KVR, sortie des ruelles d’Ambohimahitsy. Elle a signé, ce 24 juillet, un mixtape au doux titre d’« Arangaranga ». Tel un coup de « flingue » en l’air sorti en pleine bagarre de rue, ce produit surprend les tripes, en rendant hagards les protagonistes. Dans l’ensemble, il dépeint en profondeur la vision de la génération « pré-adulte » tananarivienne contemporaine.
Pour résumer l’esprit qui anime cette rappeuse à la salive brûlante, il faut voir à travers le morceau intitulé « Solon–kapoty ». Sa théorie y est simple. Comme le plaisir de la chair combiné à l’indolence de la jeunesse est parfois surprenant, neuf mois après, un petit innocent ramènera l’ivresse du désir au réalisme des organes humains. Alors, pris de panique, le jeune monsieur dans un élan peu chevaleresque accuse la petite gazelle, devenue d’un coup une maman, de l’avoir harponné. Pire même, que la progéniture dans son ventre n’est pas de lui mais le fruit d’un « savoir–faire » de traînée. Du coup, elle finit seule et enceinte.
KVR s’est sentie obligée de prendre la défense de ces mères célibataires. Sans leur trouver des excuses de sainte-nitouche ni leur faire subir rien que les prolégomènes chastes de la bonne société. « Je ne te demande pas la bague/mais seulement le coût d’une capote », annonce-t-elle dans le refrain. Le coût du regret. Puisqu’avant, elle rappelle au fameux gars qu’il ne voulait pas se protéger, « ça te gène disais–tu/et que c’est meilleur sans/écervelée comme j’étais, j’ai alors succombé à tes caresses ».
Digne mais têtue. Dans « Solon–kapoty », elle promet d’élever dans la dignité cet enfant rejeté par son paternel. D’être une mère modèle et de tirer des leçons du passé pour les transmettre à la nouvelle génération. Dans ce titre, il faut aussi se faire avec les mots crus de la rappeuse, dont certains, commençant par « L », se trouvent tout de même dans le dictionnaire académique. Ce n’est pas vraiment cette saillie verbale des rues d’Antananarivo qui séduit dans cette chanson. Ce serait plutôt l’apport d’une vision adaptée.
Si dans les années ’60, Mahaleo compatissait aux lamentations d’une pauvre femme et ses cinq enfants délaissés pour une autre, dans « Adin–tsaina », un demi–siècle plus tard, KVR préfère tout simplement envoyer ce mâle « se faire foutre », en assumant l’entêtement d’une jeune mère célibataire dans « Solon–kapoty ». Rien n’est intemporel, même les idées d’une génération. Ce qui renvoie au morceau « Vely bois rond », toujours dans le mixtape « Arangaranga ». Une perle rare dans le rap malagasy de ces dernières années.
Bluesy, écorché, anarchiste, passionné… Dans la veine de la culture hip hop exportée des afro descendants conscients des ghettos américains, « Vely bois rond » maintient toujours ce réalisme magnétique de KVR, titillant ici les sommets de la poésie. Soutenue par cette « instru » un peu hors du temps, vintage et synthétisé, comme tirée des dernières « samples » de l’ère des K7. L’atmosphère sonore de ce disque? Il faut alors savoir écouter la jeune femme. Cela faisait un moment que la planète hip hop malagasy n’a pas produit une telle oeuvre artistique.
Trash. « Pas besoin de beaucoup de questions/acceptez tout ce qui vous arrive/ce n’est que votre grande gueule qui vous a cassé la figure/Vous savez bien que la (belle) vie n’est pas faite pour vous/elle est faite pour les nantis/Elle est destinée à ceux qui sont riches/Pas pour vous, pauvres à faire vomir… petites marionnettes ». Sans doute, KVR a ce besoin indomptable de parler au nom des petites gens, des laissés-pour-compte, des rebuts du système. De cette façon, il fallait oser. Et de continuer en refrain. « Ici Satan et les anges se mêlent/tous aussi malins et intelligents les uns que les autres… c’est cela le coup de bois rond ».
Les rues sont sales et violentes dans la capitale, KVR préfère alors décaler tous ces discours humanistes politisés à outrance sous le sceau de la « fraternité » ancestrale. En préférant montrer le fascinant drame de la génération pré- adulte tananarivienne. Un drame actuel et réel. Ce ne sera pas la chanson « Virijiny tsy vanona », littéralement « La vierge foutue » qui la fera mentir. En tout, « Arangaranga » comprend 14 morceaux, « Jiolahim–bavy hoy izy », « Artista tsy afaka », « Tongava saina »… avec un bonus en sus.
Maminirina Rado