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lundi, mai 12, 2025
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Art contemporain : Emilie Blue, peintre dans un havre hors du temps

Emilie Blue, de son nom d’artiste, entourée de ses portraits, fruits de ses voyages.

Tantôt à la Réunion, tantôt au Caire, tantôt à Paris… Emilie Blue voyage jusqu’au jour où elle a retrouvé son « chez elle » : Mahajanga. Entretien avec une vraie professionnelle du street art.

Parlez-nous de votre parcours personnel, enfance, premier contact avec l’art, le déclic, pour aboutir avec votre parcours professionnel …

D’après ma famille, j’ai toujours eu un crayon ou un pinceau entre les mains. Mon père me surnomme « Picasso » depuis mes cinq ans! Ça a toujours été une évidence pour moi. Je passais mon temps à dessiner et j’ai eu la chance d’être plutôt encouragée par mon entourage. J’ai passé un Bacc option arts plastiques, puis j’ai enchainé sur des études d’art et d’architecture en France et en Italie. J’ai exercé en tant qu’architecte d’intérieur pendant une dizaine d’années dans plusieurs pays, j’ai également enseigné les arts plastiques au Bénin, à Mayotte et à Madagascar. Et puis en 2018, il y a eu de belles rencontres, d’heureux hasards, une succession d’opportunités s’est présentée. Une première expo solo à Madagascar, puis une deuxième, puis une résidence artistique, et une autre… j’ai donc décidé de laisser de côté mes différentes activités professionnelles pour me consacrer exclusivement à la peinture. Probablement une des meilleures décisions de ma vie ! Depuis plus de deux ans maintenant j’ai la chance de vivre et de voyager grâce à la peinture.

Quand vous évoquez Mahajanga, vous parliez de « chez vous », si l’art vous fait voyager, pourquoi cet attachement particulier à cette ville ? Et est-ce qu’elle a apporté des « influences » à votre expression artistique – dans les couleurs, les compositions, etc. ?

Je me définis vraiment comme une artiste voyageuse, et comme je le dis tout le temps, « plus je voyage et plus j’aime Mahajanga ». Ma première rencontre avec la Grande Île date de 2004. Ça n’a pas tout de suite été un coup de foudre pour être honnête. Mais au fil du temps je prenais vraiment du plaisir à revenir et j’ai fini par tomber sous le charme désuet de cette ville qui semble hors du temps. Il y a eu comme un déclic, une évidence « c’est là que je veux vivre ! ». Je me suis donc installée définitivement à Majunga en 2012 et c’est là que j’ai créé mon atelier. Un endroit qui me ressemble et où je me sens bien pour peindre et me ressourcer avant de reprendre la route.

Majunga m’a bien évidemment inspirée, je lui ai d’ailleurs dédié une immense fresque intitulée « Queen Mahajanga » l’année dernière, elle est visible dans le jardin de l’Hôtel du Phare. Je dirais que Madagascar, en général, a vraiment été bien plus qu’une source d’inspiration, ça a été un véritable levier pour la suite. Je travaillais essentiellement sur des œuvres abstraites avant, mais les visages, les sourires, les regards des malgaches m’ont donné envie de faire des portraits et de retranscrire les expressions.

Je me balade avec mon appareil photo en permanence, toujours prête à immortaliser une rencontre pour la travailler en atelier ensuite. C’est ainsi que les pêcheurs de « Petite Plage » et leurs enfants ont été exposés à la Fondation H en février dernier sous le regard amusé d’Orelsan, que les vendeuses de poissons se sont retrouvées dans une célèbre galerie de la rue Rivoli à Paris ou que le visage d’un gamin de mon quartier s’est retrouvé exposé au Caire pendant la dernière Coupe d’Afrique des Nations.

Mahajanga, est-ce que pour vous, c’est une ville d’artistes, de pêcheurs, de voyageurs… qu’est-ce qui fait sa particularité par rapport aux autres villes du pays ?

Justement! C’est tout ça à la fois. Mahajanga est une ville étonnante par sa diversité. Autant ethnique que religieuse ou sociale. Tout le monde se côtoie et évolue ensemble au quotidien. C’est peut-être pour ça que je m’y sens aussi bien. J’ai rarement vu ça ailleurs!

Par contre les artistes ont tendance à fuir les provinces, Majunga n’est pas en reste. Tout le monde tente sa chance à Tana, c’est bien compréhensible, et le reste du pays se transforme peu à peu en véritable désert culturel. C’est vraiment dommage. Avec quelques amis artistes nous tentons de faire bouger les choses localement. Mais c’est très difficile.

Et donc, multiplier les portraits, est-ce une manière de ressortir l’âme d’un peuple, de lui rendre hommage ?

Je ne m’étais jamais posé cette question. Je ne travaille pas exclusivement sur des sujets malgaches. Mais effectivement, on peut voir ça comme un hommage. Depuis toujours je me nourris de mes voyages dans mon travail, et plus particulièrement des gens que je rencontre.

Je suis fascinée par la diversité des visages, des coiffures, des parures, des codes vestimentaires propres à chaque région du globe. Tous mes voyages sont des prétextes pour étudier et observer les particularités de chaque peuple. Madagascar en fait bien évidemment partie Dans un monde où toutes les différences ont tendance à disparaître au profit d’une sorte d’esthétique commune universelle, je m’efforce de mettre en valeur la diversité. C’est ainsi que j’ai pu dormir chez les « femmes plateau » de l’ethnie Mursi en Ethiopie en 2018, ou que j’ai rencontré des femmes Amazigh en Tunisie et au Maroc en 2019 pour une série de toiles sur les tatouages faciaux.

Tous ces portraits font partie de la collection « Colorful People ». Une sorte d’hommage universel ?

Vos traits, vos jeux de contraste… font penser à des techniques utilisées dans la bande dessinée, des années ‘40/’50… Sortant surtout la présence des personnages, plutôt que ses expressions, sa personnalité… Est-ce que vous avez finalement trouvé l’équilibre entre l’abstrait et votre expression artistique  d’aujourd’hui ?

Je ne pense pas avoir trouvé l’équilibre, je suis toujours en perpétuelle recherche. Mon style est identifiable mais il évolue encore énormément. Heureusement ! J’aime me mettre en danger et essayer de nouvelles choses. J’adore les collaborations avec d’autres artistes, c’est toujours enrichissant. Et Madagascar regorge de talents !

Certaines influences artistiques sont volontaires d’autres moins. Mes études d’art ont forcément influencé ma pratique. Mais effectivement la bande dessinée et les arts urbains également puisque j’ai grandi dedans. Je suis aussi une passionnée de photographie et de musique – j’ai fait cinq années de musicologie, deux domaines qui ont aussi un impact fort dans mon travail. Toutes ses influences se mélangent et créent mon univers artistique.

Question moins cérébrale, à part Mahajanga, quelle ville de Madagascar vous attire ? Vous inspire ?…

J’ai encore beaucoup à découvrir! Madagascar est une île incroyable qui regorge de trésors. Un super terrain de jeu pour une traveler comme moi! J’ai particulièrement adoré Diego. Les gens, les paysages… et le surprenant dynamisme culturel pour une ville aussi isolée! On peut d’ailleurs toujours y voir la fresque géante que nous avions réalisée en 2018 avec les artistes Nino, Mozer et BM lors du festival Stritarty. Un super moment d’échange et de partage! La preuve que les initiatives locales peuvent résonner jusqu’à l’international et que l’art peut être un levier pour Madagascar puisque cette œuvre collective va paraître dans un ouvrage sud–africain dédié au street art en Afrique.

 Ok… Une question qui risque de ne pas vous plaire…

Ah? Ça me plait déjà !

Est-ce que vous ne pensez pas que c’est parce que vous êtes une « vazaha » que vous êtes bien accueillie à Mahajanga ?

Je dirai même plus! Parce que je suis une femme Vazaha ! Mon profil et mon parcours interpelle beaucoup ici. Ça pousse les gens à s’intéresser à moi et à me poser des questions. Comme je suis de nature souriante et très sociale, tous ces échanges aboutissent sur des choses parfois incroyables. J’en ai bien conscience. Je dois beaucoup à cette île et j’essaie de faire de mon mieux pour lui rendre tout ce qu’elle m’a apporté.

Recueillis par Maminirina Rado

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