La décision du gouvernement de suspendre les émissions politiques radiotélévisées provoque de vives réactions.
L’Etat renforce les restrictions durant l’urgence sanitaire. Cette fois-ci, les émissions radiotélévisées sont visées. « Sont et demeurent interdites pour toute la durée de l’état d’urgence sanitaire toutes manifestations publiques et émissions radiophoniques et audiovisuelles, susceptibles de troubler l’ordre et la sécurité publics et de nuire à l’unité nationale, diffusées dans les Régions Analamanga, Atsinanana, Sava, Boeny et Sofia », stipule une décision interministérielle, signée par le ministre de la Justice, le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, le ministre de la Sécurité publique, le ministre de la Communication et de la Culture ainsi que le secrétaire d’Etat chargé de la gendarmerie. « Ces émissions concernent notamment celles comportant des interventions téléphoniques en direct et celles portant sur les débats politiques », précise l’acte.
Miara-manonja. Cette suspension concerne les rendez-vous politiques sur les chaînes de radio et de télévision d’obédience de tous bords. Et celles qui diffusent pour soutenir le pouvoir devraient alors suspendre jusqu’à nouvel ordre les émissions Aoka Hazava de Viva Radio, Anao ny Fitenenana de Free FM, Tambatra Miara-manonja tena izy de l’alliance Viva-Free FM-Alliance FM-Taratra FM-Kolo. D’autres qui se sont spécialisés dans les débats comme Invité du Jour de Real TV, Don-dresaka de Tv Plus, Ca me dit de RTA, et Rivotra de RDJ sont aussi concernés par cette nouvelle restriction. Et les émissions dédiées aux opposants n’échappent pas à la décision prise le 22 avril dernier par les cinq ministres du Gouvernement. Il s’agit notamment du rendez-vous quotidien de Miara-manonja sur les chaînes MBS, AZ et Soa Radio, ainsi que le Kapo-tandroka de I-BC.
Quarantaine. Une telle décision était prévisible et sa publication ne fait que matérialiser la tendance qui était déjà dans l’esprit des tenants du pouvoir depuis le début de la crise de la pandémie. La diffusion malveillante de fausses informations, des « actes de déstabilisation » a été, à plusieurs reprises, soulevés par certains élus proches du pouvoir. Et il y a une semaine, le discours du président de la République sur son appel « à faire cesser toute initiative visant à déstabiliser » et « de soutenir un élan de solidarité nationale pour lutter contre la pandémie », a retenti dans la classe politique. Des réactions se font entendre, mais la décision interministérielle, publiée jeudi dernier, a mis les choses au clair. Le Gouvernement a donc décidé de mettre en quarantaine le débat politique afin de ne pas « nuire à l’unité nationale » et de soutenir l’appel lancé par le chef de l’Etat.
Museler la presse. Mais cette décision a provoqué de vives réactions, des plus acerbes. En première loge, les responsables des émissions suspendues montent au créneau et dénoncent une « atteinte à la liberté d’expression et la liberté de presse dans le pays ». « Nous condamnons fermement cette décision prise par les cinq ministres qui visent à museler la presse et à confisquer le débat en cette période de crise sanitaire », ont martelé les responsables éditoriaux des chaînes MBS, AZ, Real TV et I-BC devant la presse vendredi dernier. Et cette décision n’affecte pas seulement, selon ces derniers, « les droits fondamentaux de chaque citoyen », mais « impacte aussi la situation financière des entreprises de presse qui sont actuellement en train de se relever financièrement des conséquences des mesures de confinement de l’année passée ». Ces derniers décident alors de ne pas en rester là et d’attaquer en justice la décision du gouvernement. Ils interpellent également la communauté internationale et le conseil œcuménique des églises chrétiennes sur le sujet.
Dictature. L’opposition, quant à elle, ne perd pas de sa virulence pour dénoncer « un excès de pouvoir » après la publication de cette décision interministérielle. « Le pouvoir actuel profite de cette situation pour asseoir une dictature qui ne dit pas son nom mais qui est une dictature », a soutenu, samedi dernier, Marc Ravalomanana, leader de l’opposition. « Les mesures prises, qui plus est par décision interministérielle, l’ont été en violation de la Constitution et des lois de la République, et constitue un abus de pouvoir caractérisé », poursuit-il. Le parti Hery vaovao ho an’i Madagasikara réclame « l’annulation de la décision et appelle les citoyens à lutter contre la dictature qui est en train de s’ériger au pays ». Dans d’autres pays qui gèrent également la pandémie, « aucun Etat démocratique n’a jusqu’à ce jour édicté de pareilles mesures visant à museler la presse en portant atteinte à la démocratie », toujours selon Marc Ravalomanana.
Rija R.