
« Professionnelle des langues », une qualification méritée, Na Hassi, la poétesse, a accordé une séance de questions-réponses, dans le contexte du mois de juin, mois de la langue malgache. Des idées éclairées et éclairantes.
Midi Madagasikara : Cette question a été maintes fois posée, mais elle semble toujours être d’actualité, est-ce que la langue malgache est un facteur de développement ?
Na Hassi : Cela dépend de la conception même de ce qu’on appelle développement. En tout cas, personnellement, la maîtrise d’une langue, quelle qu’elle soit, est toujours un atout. Et quand on parle une langue, on saura toujours comment l’utiliser à son avantage. Pour un individu, maîtriser les variantes du malgache lui permet par exemple de voyager sur tout le territoire sans cette impression d’être étranger sur sa propre terre. À travers la langue, la communication et la compréhension et une meilleure relation entre les individus peuvent naître. A partager et échanger, on apprend des autres. Par l’idée de barrière linguistique entre nous, les suppositions et les malentendus persistent, nous conduisant à nous distinguer, à nous isoler, voire à nous cantonner.
MM : Vous parlez de « variantes », est ce que le terme « dialecte » pour désigner le « parler » d’un groupe humain à Madagascar a autant cristallisé cette barrière linguistique ?
NH : En apprenant, en utilisant et en communiquant dans ces langues malgaches, nous pourrons avoir une sorte d’appartenance. Selon chacun, chaque terme représente une idée, des vérités ou des circonstances derrière selon ses propres expériences. Pour ma part, le mot « dialecte » a beaucoup divisé dans ma tête. Je préfère le terme variante – qui représente autre chose dans le contexte actuel pour d’autres je l’admets, variante dans le sens où il y a Madagascar, le grand territoire, et ses ramifications linguistiques. J’aime l’idée d’une langue malgache riche de vocabulaires de toute l’île. Par exemple, le mot « miboridana », avec des variantes : mijily, mitanjaka, mibôda, mihanjaka, et bien d’autres, alors qu’en français, du moins celui que je parle et qui me vient à l’esprit là, c’est seulement « nu ». En littérature, cette grande richesse de mots est une aubaine, qui ouvre encore et encore vers d’autres champs de possibilités. Puis, la maîtrise de la langue nous ouvrira vers la traduction. On commence à se développer avec la parution des traductions des livres comme Le Petit Prince, Les Robinsons de l’île Tromelin, L’oragé. Etc. Donc à ce niveau, la maîtrise de la langue malgache et de ses variantes offre de belles opportunités jusque-là peu exploitées. Lait et Miel de Rupi Kaur, un recueil légendaire traduit dans plusieurs langues dans le monde, pourquoi ne pas le traduire en malgache par exemple. Notre souci actuel, de mon point de vue, c’est notre rejet du français par rapport au contexte historique mais aussi notre désintérêt pour le malgache.
MM : Le malgache, la langue et la culture, le malgache et l’éducation, le malgache et l’économie, qu’en est-il ? Il semble que le malgache n’aura jamais sa place dans l’économie mondialisée…
NH : Pour des raisons de « marche vers le progrès », pour les autres langues, on n’en parle même pas. Du coup, nous sommes à la recherche de quelque chose pour être fier et on s’accroche à tout et n’importe quoi. L’extrémisme est dangereux, notre interview est en français, pourtant nous sommes malgaches. Certains peuvent déjà y trouver de quoi titiller.
MM : Vous parlez de « recherche de quelque chose pour être fier », est-ce qu’une langue malgache renouvelée et adaptée ne serait-ce pas une alternative?
NH : Nous sommes dans une phase où nous réapprenons notre langue, rien que l’idée du « Iray volan’ny teny malagasy », ça reflète à quel point nous avons besoin d’un mois pour nous souvenir de la langue de ce pays. Chaque jour, comme notre corps se régénère, notre langue évolue.
MM : Sans doute la peur d’aborder la dimension politique d’une langue, qu’est-ce que vous en pensez ? C’est-à-dire l’aborder dans l’espace public, le débat public…
NH : Cette réflexion s’impose, mais comment bien l’aborder sans basculer dans nos extrêmes ? Les Malgaches sont des gens du débat. À chaque coin de rue, chez l’épicier, dans les bars, partout. Nous aimons débattre mais après, que se passe-t-il ? Que ce soit sur la langue ou les autres sujets difficiles, nous débattons toujours. Le groupe Koloiko sy Hajaiko ny Teniko milite par exemple depuis dix ans sur la promotion, la protection et le partage de la langue malgache. D’autres groupes sur les réseaux sociaux sont actifs aussi. Ce n’est pas le débat qui manque, c’est l’action.
MM : Une politique applicable en quelque sorte ? Qui implique une stratégie mais surtout des moyens ? De plus, l’action implique des acteurs, qui devraient être les principaux acteurs de la « mise en avant » de la langue malgache ?
NH : Je vis dans une ville où le malgache est pratiqué et utilisé au quotidien, partout. Peut-être que ce débat concerne surtout la capitale, parce qu’à quelques kilomètres en dehors du centre-ville, le malgache a toute sa place. Dans les ateliers, les réunions… Tout est en malgache, dans les discussions, tout est en malgache. Même la lecture, les gens que je côtoie lisent les livres en malgache. Et je ne pense pas que mon cercle soit une exception. Car c’est possible à plusieurs niveaux, autour d’autres gens.
MM : Donc, il y a une vision de la langue malgache quelque peu biaisée, alarmiste chez certains ? Selon laquelle la langue malgache est en train de se perdre, etc…
NH : L’orthographe, plusieurs langues font face à cela. Ce n’est pas l’apanage du malgache. La pratique du malgache ne se perd pas pour l’instant, vu comment on parle le malgache partout. Mais effectivement, se ruer vers les écoles d’expression française et ces parents qui ne sont pas secoués, certains sont fiers, que leurs enfants ne parlent pas malgache. Ça mérite réflexion. Une langue s’élargit et s’enrichit elle-même dès qu’elle est pratiquée. Il y a aussi cette réaction que certains peuvent avoir face à toutes les actions de protection. Que ce soit environnement, femme, enfant… Je pense que la langue malgache a toute sa place dans le monde, puisqu’elle est là. Il faut juste faire comme les autres qui ont su utiliser leur langue dans tous les domaines.
Recueillis par Maminirina Rado