
Écrire l’histoire de Madagascar telle qu’elle est mais pas telle que nous sommes, c’est l’objectif de l’archéologue et historienne Andriamanantena-Rajoelinoro. L’équipe de Midi Madagasikara a eu l’occasion d’interviewer cette érudite malgache.
Midi Madagasikara. Madagascar, la Grande île du sud-ouest de l’Océan Indien. Des questions assaillent les passionnés d’Histoire. Est-elle réellement un carrefour culturel ou une île égarée ?
Dr.ANDRIAMANANTENA-RAJOELINORO.
Madagascar est inscrite dans un véritable réseau de commerce maritime de l’Océan Indien et dans une aire culturelle austronésienne (Sud-est asiatique) : Taïwan (berceau de la famille de langue austronésienne), Formose, Malayo-Polynésie central et océanien. L’île de Taïwan était le berceau de la famille austronésienne, Philippines, Madagascar, Timor, actuelle Indonésie et l’île de Pâques… Les premiers Austronésiens qui touchèrent Madagascar, arrivèrent dans une nature riche en ressources qu’ils avaient l’habitude d’exploiter et ils avaient établi dans l’Océan Indien un réseau commercial qui faisait la négoce des plantes médicinales, condimentaires et aromatiques : la « route du cinnamome », de la cannelle. En ce qui concerne les embarcations, on associe la pirogue à balancier aux peuples « malayo-polynésiens » sans oublier les embarcations de multiples formes et d’envergures différentes des peuples austronésiens.
Midi Madagasikara. Ces peuples qui habitaient dans des pays situés à plus de 10 000 kilomètres de la Grande île, comment sont-ils arrivés ici sains et saufs ? Une pirogue ne peut pas traverser une telle distance ?
Dr.ANDRIAMANANTENA-RAJOELINORO
Les bateaux étaient construits à l’aide de « vintanina », (Calophyllum inophyllum L.) pour favoriser la chance et le destin. Ces embarcations étaient loin d’être des pirogues à balancier mais plutôt des grands bateaux cousus capables de transporter une centaine d’hommes. Arrivés à Madagascar pour le cabotage et pour renouveler les vivres, ces Austronésiens, Vayimba « ceux de la forêt » en proto-Barito du Sud-est, de la langue austronésienne, occupaient les embouchures, endroits favorables aux bateaux, raison pour laquelle les sites princiers, en mémoire des ancêtres, vazimba ou Andriana taloha, se trouvent à côté des embouchures.
Midi Madagasikara. L’Afrique est à 400 km de la Grande île, n’y a-t-il pas une trace africaine dans la culture malgache ?
Dr.ANDRIAMANANTENA-RAJOELINORO.
En effet, les Vazimba seraient des Austronésiens qui se seraient implantés en Afrique orientale, puis auraient colonisé Madagascar. Le conflit tendanciel entre « origine africaine » et « origine océanienne » des Vazimba, n’est pas, pour le moment, l’objet de notre contribution. En contraste, nous sommes en connaissance de cause que « l’origine africaine » cache une « idéologie civilisatrice » des Blancs par rapport à l’origine océanienne où la navigation et le commerce maritime (soie, épices, condiments, bois précieux…) y était en expansion.
Midi Madagasikara. Jusqu’à maintenant, certains se posent la question, qui sont les premiers venus à Madagascar ?
Dr.ANDRIAMANANTENA-RAJOELINORO.
Les migrations à l’intérieur de la Grande île se faisaient des côtes vers l’intérieur, c’est pourquoi les sites archéologiques des Hautes Terres sont tardifs (XIe-XIVe siècle AD) par rapport à ceux des côtes. En tant que peuple marin, l’art de la navigation est propre aux Malgaches d’origine austronésienne ; le verbe « ramer », « pagayer » est synonyme du « voizo, vezoy », ce qui donne le nom de l’ethnie vezo du Sud-ouest et le mode de vie des pêcheurs (les rameurs ou les Vezo). Par conséquent, il faut replacer l’histoire de l’Imerina dans ce contexte pour éviter toute tendance à la subjectivité et à l’histoire sélective. Les Hautes Terres sont qualifiées de la dernière étape des migrations venant des côtes, c’est pourquoi les dialectes des côtes sont proches de l’ancienne langue austronésienne que ceux des Hautes Terres. Le passé de ces premiers « Tompon-tany », les Vazimba ou les propriétaires du sol (par opposition aux conquérants) est endormi dans le sol ou effacé de la mémoire collective alors qu’effacer une part de l’histoire ou « brûler ses témoins visibles » ne signifie que « mutiler » sa mémoire et son existence dans le temps.
Midi Madagasikara. Comment expliquer aux générations futures qu’un peuple avait ses rois et reines si les témoins comme les résidences, les trônes et mêmes les couronnes ont disparu ?
Dr.ANDRIAMANANTENA-RAJOELINORO.
Brûler les traces du passé efface une part de l’histoire que l’on ne veut plus transmettre aux générations futures. Le passé des Vazimba d’Analamanga en est témoin : l’histoire d’Ambohimitsimbina (Analamanga) est anéantie au profit d’Analamasina (l’actuel Rova). Nul ne connaît l’implantation du premier Rova à Ambohimitsimbina auprès duquel les Vazimba-Antehiroka instauraient leur pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que parler du « Vazimba » renvoie à la superstition, aux forces maléfiques, aux créatures hors du commun…et non aux hommes normaux. Pourtant, ces Vazimba ont apporté leur savoir-faire d’origine austronésienne comme l’organisation de l’espace, le culte des ancêtres, l’activité de subsistance, la transformation de la nature pour leur besoin quotidien. Pourquoi certains d’entre nous ne veulent pas être issus de leurs descendants ? Force est de remettre la vraie histoire des Malagasy fondée sur des preuves concrètes.
Midi Madagasikara. Bon nombre de citoyens ne connaissent pas vraiment l’histoire de notre pays. Est-ce un secret ?
Dr.ANDRIAMANANTENA-RAJOELINORO.
Réécrire l’histoire de Madagascar en fouillant leur racine sous-terre, des témoins veulent avouer nos secrets ! C’est grâce à ces témoignages par exemple que la Mission Archéologique et Paléontologique de la Province de Mahajanga (MAPPM) sur les grottes d’Anjohibe peut situer la première implantation humaine à Madagascar vers 2370/3000 Av-J.C.
Propos recueillis par Iss Heridiny