Pour le développement du pays, il s’avère nécessaire d’accorder plus d’importance aux travaux d’infrastructures urbaines. Où est-ce que le curseur doit se placer si la Grande Île figure dans le top 10 des pays les plus pauvres du monde ? Une discussion avec Elisé Harimino Asinome, Docteur en Histoire contemporaine, nous éclaire sur le rôle des villes en matière de développement économique du pays.
Midi Madagasikara. Comment se positionne la politique publique en matière d’urbanisme face à l’urgence du développement agricole pour répondre au « politikan’ny kibo », prôné depuis le président Philibert Tsiranana, et qui s’avère d’une grande priorité pour le pays?
Elisé Harimino Asinome. Depuis les années 40, la Seconde Guerre mondiale a entraîné des bouleversements sur différents plans. Un changement est constaté au niveau du concept de la planification urbaine qui se trouve dans le contexte de biais anti-urbain. Dans la période de l’après-guerre, les économistes ayant jeté les bases des théories de la croissance ignorent complètement le rôle potentiel des villes. Cette période est caractérisée, d’après l’expression de l’économiste Rémy Prud’homme, « d’une vision sans ville à une vision anti-ville ». C’est-à-dire, l’idéologie dominante promet davantage une vision pro-campagne, ou plus exactement une vision pro-agriculture.
Cela se justifie par le premier argument reposé sur l’attention particulière portée sur le monde rural, parce que la très grande majorité des travailleurs est localisée en milieu rural et l’essentiel de la production doit se réaliser dans les zones rurales. L’effort doit d’abord porter sur cet essentiel-là, c’est-à-dire sur l’agriculture et la campagne.
Midi Madagasikara. On a tendance à se focaliser sur l’urbanisation, l’agriculture est-elle le dernier souci du gouvernement ?
Elisé Harimino Asinome. La deuxième analyse des économistes du développement concerne la faim et la menace de famine. La création de la FAO vise effectivement à répondre à cette préoccupation planétaire qui est très largement partagée. Ceci explique en partie la focalisation des politiques de développement et d’aide à la production agricole.
Le dernier argument parle de la politique économique de l’après-guerre : les pays en développement, plus particulièrement les anciennes colonies, doivent se cantonner à leur rôle de fournisseurs de matières premières, notamment agricoles, au lieu de devenir des concurrents industriels des pays développés.
En effet, la ville est absente des politiques de l’Etat ayant explicitement préféré la campagne à la ville, et freiné ou cherché à freiner l’urbanisation. Tous les programmes de développement ont ainsi donné la priorité au développement des zones rurales. De plus, pour les dirigeants, le poids des électeurs ruraux pèse lourd et influence les choix.
Midi Madagasikara. La migration vers les villes est vue comme un mal à combattre ou du moins à prévenir, qu’en pensez-vous ?
Elisé Harimino Asinome. L’image négative des villes reste ancrée depuis toujours en Afrique. Les villes sont considérées comme le lieu de politique d’éradication des manifestations « négatives » de l’urbanisation comme la pauvreté, la criminalité, le chômage. Ce qui explique l’effet « biais urbain » en Afrique où le secteur urbain est généralement exclu des mécanismes de financement public. L’urbain n’apparaît guère dans les objectifs de l’aide que ce soit de l’aide multilatérale ou de l’aide bilatérale. De plus, les aides extérieures sont très systématiquement pro-rurales. En effet, les politiques urbaines restent toujours occultées dans les programmes de développement économique. La considération des stratégies urbaines s’avère nécessaire dans les programmes de développement du pays afin que les villes contribuent effectivement au développement économique national.
Midi Madagasikara. Le régime actuel accorde beaucoup d’importance aux infrastructures urbaines, mais beaucoup d’observateurs réclament la priorité au monde rural, que pensez-vous de ce débat ?
Elisé Harimino Asinome. C’est tout à fait normal si les gens ont cette préoccupation. Mais il faut savoir que les infrastructures urbaines ne se réduisent pas seulement à l’installation des bétons. Derrières les travaux de béton, des intérêts économiques peuvent se présenter directement ou indirectement à travers la production de matières premières pour les travaux de construction, le commerce de fournitures et matériels BTP et la création d’emplois.
Les infrastructures urbaines génèrent effectivement des retombées économiques majeures pour les villes. Elles contribuent à stimuler la croissance et développer l’économie du pays grâce aux projets qui visent à rehausser l’attractivité des villes et servir de tremplin à la création de richesses. De plus, elles soutiennent les investissements étrangers en favorisant l’amélioration de l’environnement des affaires. Les centres urbains jouent également un rôle important dans la compétitivité du pays.
Propos recueillis par Iss Heridiny