
Les raisons de relire « Mitaraina ny tany », littéralement « La terre implore », d’Andry Andraina sont nombreuses. Ce roman fictionnel écrit en 1957, dix ans après les événements de 1947 et trois ans avant cette indépendance de 1960 de plus en plus discutable ces derniers temps, se déploie sur fond d’immersion sociale, rage de liberté et personnages à hauteur d’homme.
Une histoire contemporaine en somme. Une sorte de récit prémonitoire de Madagascar, maladie, pauvreté, société sans pitié, dirigeants sans âme… autour de la famille Randrasana. Sur laquelle, le sort s’acharne. Bien que « Mitaraina ny tany » débute comme sur une terre miraculeuse. Entre la plume bucolique et l’incision de chirurgien, l’auteur est un docteur agrégé, la tension d’une révolte inassouvie se ressent dans le tréfonds de l’âme du lecteur ou lectrice.
Révolte contre la vie, mais surtout contre cette oppression coloniale. La prudence narrative sur ce point, tel un traumatisme enfoui, se ressent car Madagascar se trouvait encore sous le joug du colonialisme raciste et français lors de l’écriture de ce livre. Choisir l’adaptation fictionnelle en est aussi sans doute un signe. En 1957 aussi, les collaborateurs avec la France, surnommés les « Kintana fito », étaient encore de ce monde.
Puisque le vécu d’Andry Andraina, témoin malheureux des exactions et du sadisme des colons, s’y retrace. Sans porter de jugement victimaire sur les agissements de ces zélateurs. Bien qu’il ait tout le droit d’être victime. Autant dire à un déporté juif d’oublier les camps nazis. Pour mieux trouver une explication, l’écrivain s’est étalé sur le temps. Le destin tragique de la famille Randrasana va se jouer sur une quarantaine d’années. À se dire si ce « Mitaraina ny tany » mérite une adaptation cinématographique.
Contemporain, puisque les signes d’une société meurtrie, prête et poussée à se cannibaliser, en proie à un manque de liberté et d’épanouissement identitaire légitime, se retrouvent plus que jamais à Madagascar. Plus sournois ces dernières années. Andry Andraina, à travers une plume, efficace et sans fioriture, se projette alors dans le chaos du choc des cultures. Les fioritures, il les laisse à sa « mise en scène » classique et posée, probablement ayant inspiré les théâtres radiophoniques malgaches.
Tantôt mouvementé, tantôt marchant sur le temps tel un géant avec ses grands pas. Le génie de l’auteur a été de réussir à emmurer 40 années de damnation familiale dans le cultissime « Mitaraina ny tany ».
Maminirina Rado