Des relations avec la Chine et le socialisme à la sauce chinoise, en passant par la politique, l’Ambassadeur de Madagascar en poste à Beijing nous a accordé une interview exclusive à San Li Tun, le quartier diplomatique où se trouve notre ambassade dans l’Empire du Milieu.
Midi Madagasikara : Beaucoup de pays africains réorientent leur coopération vers la Chine. Qu’en est-il de Madagascar ?
Jean Louis Robinson
« Je tiens d’abord à dire que vous êtes le premier journaliste malagasy à venir ici depuis mon installation en 2019 et je vous en remercie pour cela. Nos relations avec la Chine datent de 50 ans. A l’époque de l’Amiral Didier Ratsiraka, les deux pays ont officialisé l’établissement des relations diplomatiques entre Antananarivo et Pékin le 6 novembre 1972. Bien avant cela, vers le 13e siècle, les commerçants chinois qui empruntaient la Route de la Soie ont déjà fait le va-et-vient à Madagascar. Plus tard, plusieurs infrastructures dans le pays, entre autres et non des moindres, la RN2, le Palais des Sports et de la Culture ont été construites par la Chine. Médecin de formation, je dois souligner que ce pays a beaucoup œuvré en matière d’infrastructures de santé à l’instar des CSB et du Centre hospitalo-universitaire à Anosiala qui est même devenu un centre de référence anti-Covid depuis la pandémie. La Chine a aussi apporté un appui en termes de ressources humaines dont les « médecins aux pieds nus » qui ont sauvé des vies dans plusieurs zones enclavées de Madagascar. Sur le plan culturel, il y a le centre Confucius à Antananarivo et dans d’autres villes comme Toamasina pour l’enseignement de la langue et de la culture chinoises. Sans oublier la propagation du kung-fu un peu partout dans l’île, qui illustre le dynamisme des relations entre les deux pays et les deux peuples ».
M.M : Quelle est la place de Madagsacar par rapport au grand projet « One belt, One road » qui commence à se concrétiser dans plusieurs pays d’Afrique ?
JLR
« Le commerce bilatéral ne cesse de s’améliorer avec l’importation des produits ménagers et les textiles à des prix abordables. On enregistre une valeur nette de 930 millions USD en 2020 et le chiffre est progressif. Mais je dois dire que cela ne suffit pas. Les pays africains cherchent un meilleur équilibre pour un commerce équitable. La mise en place des industries dans les pays qui coopèrent avec la Chine va dans ce sens. Pour Madagascar, cela correspond très bien à la vision de l’IEM et des accords de principe sont en cours pour leur finalisation. A titre d’illustration, un centre d’artisanat malgache dans la province de Shaoshan (ville natale de Mao Zedong) est en phase de création. J’y ai déjà effectué plusieurs visites de reconnaissances et les deux pays se sont même accordés sur la mise en place prochaine d’un Consulat général. En matière commerciale, la réalité est parfois choquante en voyant des litchis invendus et jetés dans les poubelles ou encore de la vanille vendue ailleurs à des prix bradés. En Chine, ces produits d’exportation sont rares et très convoités. Il suffit de les industrialiser pour les mettre en vente. Mais avant tout, il faut réviser certaines législations nationales notamment le code douanier et le code minier. Pour la Chine, elle cherche un type de relation « win-win ». Avec le projet « One belt, One road » initié par le président Xi Jinping, les enjeux sont énormes pour Madagascar qui a déjà signé les accords de principe. Ce projet coïncide tout à fait avec la vision IEM. La situation géographique de Madagascar fait de la Grande Ile, une plaque tournante du commerce international. Avec la Route de la Soie, il est tout à fait possible d’exporter non seulement en Chine mais aussi en Afrique, nous sommes d’ailleurs membre du SADC. Nous avons tiré des leçons du passé sur les relations « floues » avec certains pays développés notamment en matière d’exploitation minière. Nous recevons juste les miettes en termes de revenus mais nous sommes obligés d’accepter face aux besoins du pays qui sont immenses. Avec la Chine, le principe « gagnant-gagnant » cadre avec l’aspiration du pays mais il faut rester quand même vigilant. A mon humble avis, sur chaque projet, il faut compter sur un retour d’investissement d’au-moins 50 % pour être gagnant ».
M.M : Sur le plan politique, on vous qualifie de « mpamadika palitao » en devenant l’un des fervents défenseurs du régime en place à Madagascar
JLR
« Ecoutez, si je n’ai pas pris la sage décision de faire profil bas après la présidentielle de 2013, il y aurait eu certainement un bain de sang dans le pays. Les agents de renseignements ont estimé à près de 3000 morts si je campais sur ma décision et emmenais mes partisans dans la rue. Plus jamais cela, le pays a besoin de stabilité. Médecin de formation, je sais combien les gens souffrent en cas d’affrontements. J’aimerais souligner ici que je ne suis pas du tout un « mpamadika palitao ». Je n’ai pas retourné ma veste, j’ai juste choisi mon camp. Le président Ravalomanana m’a soutenu et non présenté en 2013. Nuance. Il a apporté son soutien à ma famille politique. Entre nous trois dont vous savez les noms, il y avait des pourparlers, bien avant la présidentielle. Bien que confidentiel, je dois quand même vous dire que les protagonistes étaient unanimes à reconnaître que la pays n’avait pas besoin d’une nouvelle crise postélectorale. Pour être sincère, tout a été discuté à l’avance. Après l’élection, j’étais libre de choisir mon camp. Le président Andry Rajoelina avec sa vision IEM m’a convaincu et il est tout à fait naturel que je lui apporte mon soutien dans la réalisation de ses 13 Velirano ».
M.M : Logiciel électoral, concertation nationale. Quel est votre avis par rapport à ces questions qui alimentent la polémique ?
JLR
« Ce fameux logiciel a déjà été utilisé en 2013 et ses résultats ont été avalisés par la Cour électorale avec la Ceni. Les résultats ont indiqué que la victoire est revenue au candidat Hery Rajaonarimampianina. Maintenant que le même logiciel sera utilisé pour la prochaine élection, je me demande pourquoi les partisans de l’opposition le contestent. Je ne comprends pas leur logique. Le pays a besoin de sérénité pour avancer et éviter de revenir à un éternel recommencement. Il faut aider le président dans la réalisation de son programme. Il faut arrêter les critiques gratuites et non constructives mais avancer des propositions concrètes. Sur la concertation nationale, j’ai remarqué que ce sont surtout ceux qui ont perdu sur tous les tableaux qui en sont les initiateurs. Cela donne déjà une idée de ce qu’ils manigancent derrière. En tout cas, il ne leur appartient pas d’en décider mais au régime si les dirigeants le veulent. Pour moi, cette concertation reflète un coup bas politique et un retour en arrière par rapport à un plan déjà établi. La plus sage décision dans un état démocratique comme le nôtre, est d’attendre les élections, c’est-à-dire le verdict des urnes ».
Propos recueillis par Didi R.