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dimanche, décembre 22, 2024
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Sandrine Raveloson – architecte DPLG : « Lorsque le questionnement s’arrête, l’innovation ne peut pas s’épanouir librement… »

Sandrine Raveloson, architecte DPLG, parmi les initiatrices de Tana Design Week.

En parallèle à la semaine Tana Design Week 2023 – du 10 au 17 février à la Gare Soarano – Sandrine Raveloson, architecte diplômée par le gouvernement (DPLG), revient sur le concept « design », tant méconnu sous les cieux malgaches. Ce n’est nullement un adjectif, c’est tout un concept, un monde, un « sens »… Des questionnements continus sur le beau, par ricochet sur l’esthétique malgache.

Midi Madagasikara : D’abord, pour un profane qu’est-ce que le design ?

Sandrine Raveloson : En de mots très simples, le design est l’art de concevoir, puis de fabriquer, des objets fonctionnels, adaptés à leurs usages futurs. Au départ, le design moderne a été rattaché à une conception plutôt industrielle qui ramène à un process réfléchi de préfabrication, d’usinage tout aussi réfléchi. J’ai parlé d’objets, mais en tant qu’architecte, nous pourrions étendre le concept de designer à celui de concepteur d’espaces. Et là, nous rentrons dans le champ d’intervention propre à celui des architectes, qui est bien plus vaste que celui du design d’objet, car il peut à la fois, selon la sensibilité, les besoins et l’expérience du concepteur, prendre en charge des échelles de projets allant de l’objet, de l’aménagement intérieur, architecture d’intérieur diront certains, du bâtiment comme l’architecture propre, du quartier dans l’aménagement urbain voire de la planification urbaine. La base est donc la conception, ancrée dans son contexte, sur toutes les problématiques possibles : techniques, sociales et humaines, matérielles, temporelles, économiques évidemment, etc.

M.M : Le design intègre-t-il l’art dans sa démarche ?

S.R : Je vais répondre selon ma conviction propre, oui, le design peut intégrer l’art dans sa démarche mais pas que. Comme il peut intégrer l’industrie, l’artisanat, la science technique ou sociale d’ailleurs, l’histoire,… autant de champs de possibilités. Selon la démarche et le process personnel de chaque designer/concepteur, selon son domaine d’intervention, son thème de prédilection, son cheminement intellectuel, il intégrera sa réflexion propre dans son travail. Je pense que ce qui est important c’est de comprendre que le design est le fruit d’un travail, d’un cheminement intellectuel puis expérimental, un aller-retour incessant entre la réflexion et l’expérimentation, qui peut aboutir, ou non, à un style reconnaissable, et cela est propre à chacun. J’oubliais la nature. Intégrer la nature, très important aussi, la première source d’inspiration de l’homme et qui revient aujourd’hui, dans un champ plus vaste avec le biomimétisme.

M.M : Est-ce qu’on peut dire que le design est un concept, une science, une technique moderne voire contemporaine avec l’avènement de l’art contemporain ?

S.R : Wow, vaste question. A mon sens, on pourrait considérer le design comme un process intellectuel de création, qui peut concerner différentes disciplines ; nous avons parlé d’art, de science, de science sociale, etc. Et qui tend vers l’innovation ou qui explore divers champs nouveaux, inexplorés ou réinventés, et c’est en cela que le design tient une posture avant-gardiste, depuis toujours, car le design existe depuis longtemps, à l’époque on appelait peut-être cela de l’artisanat… L’artisanat est un savoir-faire qui a tendance parfois à être folklorisé mais est pourtant un savoir-faire indéniable qui mérite d’être innové sans cesse.

M.M : Quelques théories supposent que le design est un concept de la révolution industrielle en série… vers 1940.

S.R : Oui, le concept de design moderne, est né d’une nécessité à une certaine époque de créer et de produire des objets répondant à des besoins contextuels. Mais pouvons-nous affirmer fermement qu’avant la révolution industrielle, le design, en tant que démarche créatrice et créative n’existait pas ? L’homme a créé en tout temps…

M.M : Madagascar aurait perdu son « sens » du design, à cause d’une « folklorisation » ou est-ce que la culture, le savoir, malgache est-il toujours existant ?

S.R : Comme je le disais tout à l’heure, le design est un process constant entre réflexion et expérimentation. Le savoir-faire est bien là, le perpétuer est essentiel, lui garder son sens l’est encore plus. A mon sens, lorsque le questionnement s’arrête, l’innovation ne peut pas s’épanouir librement, et c’est à ce moment, que je parle de folklorisation d’un savoir-faire qui reproduit en ayant perdu son sens. A Madagascar, nous avons la chance de posséder un terroir de savoir-faire riche et de designers talentueux qui œuvrent sur la base de cet ancrage culturel fort, mais pas que, et fort heureusement. Je suis persuadée que cette rencontre impulsera une dynamique importante dans le design malgache contemporain.

M.M : Pouvez-vous développer ce que vous dites par « posséder un terroir de savoir-faire riche », pouvez vous donner quelques exemples ?

S.R : Par exemple, la région Zafimaniry possède le savoir-faire de constructions et artisanat Zafimaniry, les régions des Hautes Terres, le savoir-faire des lamba landy, si on ne parle que de ça. Il me semble que la région Androy aussi, les régions où la matière première en fibres végétales est abondante, développent la vannerie d’une manière magnifique, etc.

M.M : Pour Madagascar, introduire ou se réapproprier le design n’aboutirait-il pas à des questionnements sur notre sens du beau, notre esthétique actualisée ?

S.R : Exactement, vous faites mouche sur le mot « sens », son questionnement est essentiel d’une manière générale. Le sens de l’esthétique mais qui ne peut rester éloignée de la réflexion contextuelle générale.

M.M : Sans oublier le fonctionnel, avec la société de consommation et du commerce mondialisé d’aujourd’hui…

S.R : Vous avez les réponses. Quel est le contexte social, économique, culturel, local et international ? De quelles manières nous positionnons-nous devant toutes leurs problématiques ? L’équation est systémique.

M.M : Mais là vous parlez d’un design particulier, une particularité. Par ailleurs, plusieurs théories évoquent le design en parallèle avec la production industrielle de masse, la production répétitive… Le design ne risque pas de dénaturer le caractère unique des Zafimaniry, des lamba landy, etc. ou pourrait-il au contraire élargir les possibilités de ces « esthétiques » du terroir ?

S.R : Je disais que ces savoir-faire locaux ou régionaux constituaient le terroir malgache, dans lequel les designers peuvent puiser une technique, une esthétique, une âme, que sais-je … et l’intégrer à son cheminement créatif. Il me semble que le designer Domi Sanji a déjà développé une ligne de mobilier « inspiré » de l’esprit Zafimaniry. De même, Madame Zo, la tisserande de talent qui nous a quittés il y a quelques années, avait exploré le lamba landy dans sa production.

M.M : Design et environnement, cela risque de ne pas faire bon ménage… comment rallier les deux ?

S.R : Oui et non. Je dirai que le designer a conscience de son environnement, de son écosystème. Son objectif est la création de produits : objets, espaces, graphiques, innovants et fonctionnels, il puise son inspiration de cet écosystème, que ce soit de sa matière ou pour le résultat, le message qu’il souhaite véhiculer. Dans l’édition 2023 de Tana Design Week, vous verrez des designers qui justement travaillent le réemploi, l’appropriation de ressources bio et géosourcées.

M.M : Le contexte général à Madagascar est la pauvreté, donc, fabriquer, concevoir moins cher et vite est devenu le maître mot de la consommation de masse. Le design ne risque-t-il pas de s’inscrire dans une posture élitiste, réservée ?

S.R : Justement, là réside l’enjeu du designer contemporain œuvrant à Madagascar, la réflexion sur l’usage, la matière première, le procédé de fabrication, le produit fini, son cycle de vie et son recyclage en fin de vie pour une nouvelle utilisation, une démarche circulaire. La conception et l’expérimentation nécessitent un tâtonnement, mais à mon sens, la finalité devrait s’adresser à tout le monde. Le projet que nous développons en collaboration entre Taosaina Lab, dont je fais partie avec Domi Sanji. Et le studio Icai en est une illustration, c’est une école rurale dans les environs de Mahitsy, une démarche inclusive avec les habitants et leurs ressources locales et pour eux.

M.M : Il va de soi que sans une véritable industrie malgache, le design malgache se cantonnait aux tee-shirts, sites web… sauf s’il s’exporte.

S.R : Et je rebondis, nous parlons beaucoup de design et de designer, l’architecte en moi ne peut ne pas insister sur le rôle de l’architecte, l’acteur essentiel de l’architecture, concepteur d’espaces de vie, intérieurs extérieurs et urbains. Adressons-nous aux bonnes personnes pour les bons sujets. Le design comme l’architecture malgache a sa place ici mais également à l’export.

M.M : Par exemple, dans l’industrie automobile, le design y est une grande valeur ajoutée porteur d’une identité nationale. Madagascar n’a que Karenjy. Ces grandes marques qui font la renommée d’un pays, le design ajoute ce plus identitaire qui fait aussi vendre quelque part. Nous n’avons pas d’identité nationale, plutôt d’identité – profil – du possesseur d’une telle marque. La galaxie Ferrari par exemple a ses collectionneurs, ses spécialistes, ses journalistes attitrés. Il en est de même en gastronomie.

S.R : Pour moi, cela constitue d’une responsabilité sociale générale d’intégrer la recherche et l’innovation et donc le design dans nos industries existantes et à créer. L’erreur serait de considérer ces problématiques comme un surcoût. Il faut changer de prisme de vue et anticiper les résultats comme une plus-value à venir. Le design a sa place dans les objets du quotidien, à grande échelle. Le design et l’innovation. Je lance un exemple dont j’ai parlé avec une consœur récemment, il existe une société espagnole qui fabrique du cuir à partir de feuilles d’ananas, en alternative au cuir animal ; une autre société française produit également du cuir à partir de déchets de la viticulture. Pour cela il faut une politique volontaire de la part des entreprises et de tous les acteurs de la chaîne.

M.M : La question à un million de dollars, est ce qu’il existe un produit, un projet malgache qui est à la hauteur de cet esprit d’innovation et de recherche ?

S.R : Je réfléchis, je réfléchis, et je vais mettre mon joker pour le million de dollars car je ne saurais donner un exemple parfait, mais je me lance quand même « Ndao Hanavao ». Un laboratoire d’innovation et de création pour le design social Madagascar. Une initiative locale initiée par Rubis Mécénat en 2018 à Antananarivo. J’espère que cet exemple n’efface pas toutes les autres initiatives qui pointent ou fleurissent déjà et qui ont besoin de soutien.

M.M : Quelles sont vos ambitions ? Créer une école de design a été évoqué pour Tana Design Week ?

S.R : L’objectif non dissimulé de Tana Design Week 2023 est de préfigurer la future école de Design d’excellence qui espère ouvrir ses portes bientôt à Tana. L’ambition au-delà de cette école de design est plus globalement d’ouvrir un campus d’enseignement, reconnu internationalement, dans les métiers de la création. Le design ouvre le chemin, l’architecture prend la suite rapidement, je l’espère sincèrement, nos villes nous le crient à la figure.

Recueillis par Maminirina Rado

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