Le vent de la géopolitique culturelle actuelle souffle vers la quête de l’identité, dû à la pression de la multipolarité des influences et des enjeux. Tout comme beaucoup d’autres peuples dans le monde, les Malgaches sont à la recherche de leur identité, une nécessité mondialisée. Pour cela, il faut connaître l’histoire. La Dr Marie Robertine Rajoelinoro enseignante-chercheuse associée au Centre d’Art et d’Archéologie et à l’Institut des Civilisations Musée d’Art et d’Archéologie a son mot à dire. L’équipe de Midi Madagasikara a eu l’occasion d’interviewer l’historienne.
Midi Madagasikara : Ces derniers temps, sur le réseau social Facebook, autant à la télé qu’à la radio, le public entend parler des aïeux, les vazimba, un sujet qui divise l’opinion. Selon vous, pourquoi ?
Marie Robertine Rajoelinoro : Vazimba reste toujours un terme d’actualité puisqu’il attire la curiosité des Malgaches de niveau intellectuel et d’origine géographique différents. Lorsqu’on aborde l’ensemble des études y afférentes, on se retrouve confronté à une succession de désaccords et de consensus. Il relève des siècles obscurs car situés à une époque au moins antérieure au XVIe siècle pour laquelle, il n’existe pas de sources écrites – ce que nous avons appelé la protohistoire – mais seulement des traditions orales qui ont été remises en question dès les années 1970 par Jean-Pierre Domenichini et Bakoly Ramiaramanana, et aussi par Gilberte Ralaimihoatra-Nicole.
M.M : Vazimba nos ancêtres… Pour certains, vazimba est synonyme de sorcellerie, de malédiction. Le vazimba est-il à la fois les deux?
M.R.R : Ce terme ambigu est relatif à un esprit bénéfique à qui l’on demande bénédiction et protection ; mais aussi à un esprit maléfique qui fait l’objet de peur et de crainte. Ces visions contradictoires viennent de la manière dont les agents de l’administration coloniale et les missionnaires chrétiens ont écrit l’histoire sur l’origine des Malgaches. Sans conteste, le mot vazimba a été manipulé par les agents de l’administration française et les missionnaires européens pour justifier leur présence à Madagascar : ils venaient apporter la « Civilisation » à la « terre obscure ». Les travaux des missionnaires démontrent que le respect et les croyances aux Vazimba ne sont qu’une forme de « superstition » et une religion démoniaque. Abandonner ces croyances traditionnelles associées au Kalanoro exige une conversion à la religion chrétienne…Les descriptions qui relèvent surtout des sources orales et légendaires assimilent les Vazimba à des êtres de petite taille. Ce sont des nains dotés de pouvoirs surnaturels comme la guérison et la malédiction de l’autre. Ils habitent dans les marais, sous les rochers, au bord des rivières, dans les forêts ou dans les grottes. Ce qualificatif désagréable les range dans la catégorie des espèces hors du commun qui les rapproche des lutins légendaires.
M.M : Dans les livres, il y a différentes versions. En tant qu’enseignant-chercheur, que pensez-vous de l’origine des Vazimba ?
M.R.R : Les colonisateurs s’appuient sur les concepts selon lesquels les Malgaches d’origine africaine seraient inférieurs à ceux d’origine asiatique qui auraient eu une forte capacité à s’élever à un niveau culturel analogue à celui de l’occident. Gabriel Ferrand, agent consulaire, insistait sur l’origine africaine des Malgaches et disait que les Vazimba étaient une « race inférieure et primitive, d’origine africaine ». Jacques Dez s’appuie sur « la mutation socio-économique » et explique la possible continuité entre les Vazimba et la population actuelle de l’île. Pour lui, le mot Vazimba désignait « tout individu qui n’a pas dépassé un certain niveau technique caractérisé par l’absence de la connaissance de la métallurgie, de la riziculture et de certaines pratiques d’élevage ». Se penchant sur les sources orales ainsi que sur la littérature anglaise, Rajaobelina attribue aux Vazimba des origines pygmées. Par ailleurs, ces situations dialectiques facilitent l’œuvre des administrateurs coloniaux sur la division des Malgaches. Il en résulte une opposition entre Malgaches d’origine africaine et d’origine océanienne.
M.M : Le débat n’est donc pas encore clos, quelles sont les grandes tendances chez les chercheurs ?
M.R.R : Ralaimihoatra s’associait à la tendance polynésienne et indonésienne par sa peau claire et ses cheveux lisses. Il trouve également une ressemblance entre la culture indonésienne et celle des Vazimba comme le fond de la langue malgache, les pirogues à balanciers, les rizières inondées, les cases en bois équarris ou en branchage construites sur pilotis, les villages à fossés des Hautes Terres, les instruments de musique comme les antsiva ou conque marine, le tambour de cérémonie ou hazolava, le xylophone ou atranatrana, la flûte ou sodina, la valiha ou cithare etc. Face à ces différentes tendances, Jean-Pierre Domenichini développe une nouvelle hypothèse selon laquelle les Vazimba seraient des Austronésiens qui se seraient implantés en Afrique orientale, puis auraient colonisé Madagascar. Il s’appuie sur des éléments bien connus de l’Afrique orientale comme la présence de bananiers, du riz d’origine asiatique, voire du xylophone etc. Pour couronner le tout, Vazimba est un nom donné aux anciens rois.
M.M : Quand est-ce qu’ils ont peuplé Madagascar ?
M.R.R : Devant ces différentes hypothèses sur l’origine des Malgaches, en 2007 le projet Madagascar, Anthropologie, Génétique et Ethno-linguistique (Mage) impliquant une équipe internationale de spécialistes en anthropo-génétique de l’université de Toulouse et des chercheurs de l’Institut des civilisations ICMAA, en l’occurrence Chantal Radimilahy, de l’Université d’Antananarivo, a révélé que tous les malgaches sont issus de deux origines : austronésienne et africaine parlant le bantou. Une branche eurasienne, entre Moyen Orient et Inde, de faible pourcentage a été définie ainsi qu’un motif M23 propre à Madagascar. La composante austronésienne semble apparaître avec des lignées maternelles tandis que la composante africaine a une diversité plus importante tant dans les lignées paternelles que maternelles… À base de démarche paléontologique, une équipe franco-malgache, du CNRS et de l’Université de Majunga, a découvert dans une grotte au Nord-Ouest de Madagascar des traces de découpe sur des os d’hippopotames nains datés d’environ deux milles avant notre ère dont « les traces bien plus anciennes que Dominique Gommery et ses collègues ont trouvées sont localisées à proximité des deux voies les plus courtes pour une colonisation humaine : l’une au Nord-Ouest passant par les Comores pour une colonisation d’origine africaine, l’autre au Nord-Est pour une colonisation d’origine asiatique ».
M.M : Que disent les recherches archéologiques sur les premières occupations malgaches ?
M.R.R : L’archéologie s’appuie sur les traces matérielles laissées par les hommes d’autrefois et elle a démontré que la colonisation de l’Île a commencé par les côtes vers les Hautes Terres : sites récemment peuplés, vers le IXe siècle de notre ère à Ambohimanana, découvert par D. Rasamuel. Les côtes, surtout les embouchures étaient les premiers endroits occupés par les Vazimba, endroits favorables aux bateaux…Dans l’extrême Nord de l’île, dans la gorge d’Andavakoera à Lakaton’i Anja, deux morceaux de charbon ont donné des datations qui renvoient au premier millénaire – 1680 BP. ± 65 ans : Cal 250-590 ap J.-C. et 1300 BP ± 80ans : Cal 640-970 après Jésus Christ. Nosy Mangabe est occupée du VIIIe au Xe siècle avec les plus anciennes traces des circuits économiques, objets importés trouvés sur place, des poteries connues aux Comores, des perles indiennes et des céramiques chinoises ; des scories de fer en grande quantité, d’objets et de fragments en chloritoschiste ou vato didy et de poteries. Dans la baie d’Antongil, le village de Sandrakatsy, du VIIIe et Xe siècle, dans la rivière Mananara Nord témoigne aussi du travail du fer et du chloritoschiste.
M.M : Le commerce, mais aussi, le fer, le riz, la poterie, quelles sont leurs influences sur les trajectoires historiques à la « population » malgache ?
M.R.R. : Ces circuits commerciaux intègrent l’île dans le réseau commercial du Sud-Ouest de l’Océan Indien. Du VIIIe siècle à la moitié du XIVe siècle, Mahilaka, au Nord-Ouest est un comptoir commercial et une plus ancienne ville partiellement islamisée. C’est le plus ancien port dont les preuves sont constituées d’une fondation de mosquée, des nombreuses céramiques, d’outils métalliques et de verreries importées. Irodo, au Nord-Est date du IXème siècle avec de rares céramiques importées de type sassano-islamique, de nombreux fragments de chloritoschiste, des structures de fonderies de fer et des scories de fer. Deux sites à Lakaton’i Anja ont révélé des restes humains associés à des céramiques sgraffito, poterie islamique du IXème siècle. Au Sud-Est, Maliovola est le plus ancien site de la côte Est daté du IXe au XIIIe siècle dans lequel les habitants cultivaient les rizières sur le bord de la rivière Efaho, culture de marais ou « tany an-droka »… Il y en d’autres qui ne sont pas évoqués ici mais il faut s’appuyer sur des traces matérielles pour aboutir au premier peuplement de la Grande Île puisque les traces écrites font défaut : « Un peuple sans écriture est-il un peuple sans histoire ? ».
Propos recueillis par Iss Heridiny