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jeudi, décembre 12, 2024
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AccueilCultureLovatiana Juliana : «Je me considère féministe et engagée»

Lovatiana Juliana : «Je me considère féministe et engagée»

La littéraire par excellence
Les femmes d’Antsiranana s’éveillent

Elle est  Maître de conférences à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines à l’Université d’Antsiranana où elle est Responsable de Mention en Master « Littérature et Interculturalité » et Responsable des Parcours « Littératures Francophones » et « Ethno-littérature ». Dr Lovatiana Juliana a écrit sur  des articles de genre en question, littéraire ou non, notamment sur Ambatomanga, cris entre discours et engagement chez Michèle Rakotoson (2023), ou bien Discours de nouvelles voix d’Afrique émergente pour une construction textuelle des écritures féministes et masculinistes de littérature malgache francophone postcoloniale (2022).

Midi Madagasikara : Dans l’ensemble de votre parcours, être femme et universitaire ne devait pas être chose courante, comment êtes-vous arrivée sur les bancs de l’Université ? Quelles étaient vos origines familiales ?

Lovatiana Juliana : Je suis née à Sirama-Ambilobe, d’une famille originaire d’Ampampana (Ankazokony-Ambanja). Mon père était fonctionnaire et agent du service des Impôts et ma mère femme au foyer. Ce qui a beaucoup joué dans le fait que j’ai suivi des études universitaires, c’est sans doute que tous deux n’avaient été au bout du cursus proposé par l’école coloniale. Mon père avait obtenu le brevet et ma mère son certificat d’études primaires après un cycle franco-malgache, et ils n’ont pas intégré les études supérieures. À la fin de ses études, mon père vers 17-18ans, avec son instituteur, l’inspection académique lui proposait de s’inscrire au lycée. Faute de moyen financier, il ne pouvait pas continuer ses études. D’autant plus sa mère avait refusé ce départ qu’il entreprenait un trop long voyage pour s’éloigner d’elle. Alors, grâce à un concours de l’Etat, il était devenu fonctionnaire de l’Administration financière au service des impôts. Il est évident que ce père avait des ambitions pour ses enfants. Par conséquent, il nous encourageait tous et toutes, à entreprendre des études universitaires, à les poursuivre le plus loin possible. Et c’est notre fierté !!

M.M : Pour les garçons comme pour les filles ?

LJ : Comme pour les filles. Je viens d’une famille nombreuse, avec beaucoup plus de filles que de garçons. Nos parents nous ont poussés à faire des études. Avec ma mère, les séries de dictées se programmaient tous les jours. De son côté, mon père lisait énormément. Je me souviens, dans notre bibliothèque, des romans malgaches et des romans policiers. Il avait toujours des piles de livres. Et il y avait un livre de la collection de Guy Des Cars, un auteur dramatique français, que j’ai découvert très tôt, intitulé La Révoltée (1992). Mon père me lisait des extraits qui retracent l’histoire d’une jeune fille de la haute société qui tue son père et au fur et à mesure que la lecture se poursuit, le mystère autour du meurtre s’épaissit. Alors, notre famille préconise qu’aller à l’école soit un indice de promotion sociale. Très jeune, j’avais conscience que c’était un privilège et qu’avec mes frères et sœurs, on n’avait pas le droit à l’échec. Ma mère, comme mon père, n’aurait jamais toléré que nous abandonnions nos études, ni avant la fin du lycée, ni avant la fin de l’Université.

M.M : Et pourquoi la littérature ?

LJ : La littérature, j’avoue y être arrivée un peu par la lecture. À mon entrée à l’Université d’Antsiranana, au Département d’Etudes françaises de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines en 2000, avec des étudiants.es de tout horizon, nous étions moins nombreuses en tant que filles à l’Université car « Étudier les Lettres » était déjà notre étiquette. Donc, nous étions obligées de réussir parce que tout le monde semblait nous attendre au tournant. L’enseignement de Lettres et Langues, à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines à l’Université, était une discipline complexe. Fort heureusement, grâce au dévouement de nos enseignants, j’étais motivée car c’était vraiment magnifique de les écouter décortiquer les idées ; nous avons tous été séduits. En Licence, nous avons eu de très grands professeurs, nationaux et internationaux avec lesquels, nous ne pouvions que continuer dans cette voie en Maîtrise et en DEA (Avant le basculement du système LMD « Licence Master, Doctorat »). Je crois que ce sont ces différents éléments qui ont déterminé mon choix de la littérature. Avec elle, j’avais une très grande ouverture d’esprit et d’interdisciplinarité dans mon état de recherche actuellement.

M.M : Vous avez soutenu une thèse en Littératures francophones ?

LJ : Je me suis inscrite, en 2012, à L’Ecole Doctorale « Langues, Littératures, Civilisations Etrangères et Dynamiques de la Modernité » (ED LALICE-DM), rattachée à l’Université d’Antsiranana. Puis, en mars 2015, j’ai soutenu ma thèse de Doctorat sur L’intertextualité du personnage de la réfutation chez Raphaël Confiant et Jean-Luc Raharimanana. Ce qui m’a conduite dans des recherches postcoloniales. Depuis, j’interviens dans le domaine du genre dans la littérature francophone liée au développement économique, social et politique qui régissent la thématique des «Figures féminines (in)visibles dans la littérature malgache francophone au défi de la réciprocité du genre».

M.M : Vous vous considérez comme féministe ?

LJ : « Mars au féminin » : Une initiative personnelle, avec l’appui technique de l’Alliance française de Diégo-Suarez en collaboration avec la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université d’Antsiranana. Il s’agit de promouvoir les femmes, scientifiques ou non, à chaque Journée internationale des droits des femmes (08 mars), aux côtés des hommes qui œuvrent dans la même conviction de répondre au défi de développement actuel. Cette année, nous avons pris le thème de « Femmes au défi de la recherche scientifique et de l’enseignement».  Donc, je me considère féministe et engagée puisque les inégalités sexuées, dans le monde académique n’en sont pas moins touchées par elles à tous les niveaux. Notons que au début des années 1980, des lois ont été mises en place pour interdire les discriminations liées au sexe. De plus, si les inégalités sont désormais bien renseignées, les mesures proactives et contraignantes permettant de lutter contre ces inégalités manquent encore.

M.M : Voulez-vous démentir que certains pensent que les femmes diegolaises ne sont pas instruites et l’autonomisation des femmes reste précaire ?

LJ : À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, l’Alliance française de Diégo-Suarez et la Faculté des Lettres et Sciences Humaines collaborent pour la médiatisation et la vulgarisation de la valeur des conditions des femmes. Cette série de conférence entreprend ici de répondre à un défi double : tracer un tableau détaillé des études féministes et sur le genre sur le plan régional (Antsiranana) et sur le plan national à Madagascar, mais aussi faire un état des inégalités de genre dans l’enseignement supérieur malagasy ou dans le monde de travail. Ce vaste programme s’appuie sur une grande variété de sources : quantitatives et qualitatives, locales, nationales et internationales, universitaires et ministérielles, etc. Il pose en particulier la question de l’institutionnalisation de la recherche et des enseignements sur le genre ainsi que celle des moyens pour lutter contre le « plafond de verre » et les inégalités des chances (principalement subi par les femmes) au sein de l’université ou non. Les auteures proposent ainsi, au fil de débats, des propositions d’« orientations stratégiques » autour de différents axes : le partenariat recherche-pouvoirs publics, les enseignements et leur recensement, la diffusion des savoirs, les inégalités et enfin les violences sexistes et sexuelles.

M.M : D’après vous, notre société est-elle machiste ? 

LJ : L’objectif de ce programme est de mettre en avant que les femmes diegolaises participent à leur émancipation selon leur niveau d’appréhension respective. Notre société est très machiste voire même masculiniste. Notre pays est patriarcal et effectivement, nous sommes toutes actrices du triangle cherchant à faire avancer le droit des femmes à différentes échelles. Au niveau international, nous promouvons des politiques pour l’égalité. Au niveau national, nous proposons des suggestions sur les lois sur la parité. Enfin, au niveau local ou sectoriel, nous nous engageons dans une lutte contre les inégalités dans le monde de l’art et de la culture, comme le font les antennes régionales de l’association Homme/Femme. Les auteures que nous avons approchées soulignent bien que cette initiative est moins efficace chez nous qu’elle ne l’est dans d’autres pays en particulier. Car les organisations de femmes sont sous-représentées dans la mise en œuvre et l’évaluation des politiques d’égalité. Au niveau universitaire, le genre est depuis une décennie un des « grands défis » interdisciplinaires pour le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, en matière de coopération et de développement, mais les appels à projets se concrétisent d’une manière hétérogène en matière de parité.

M.M : Que souhaiteriez-vous dire à la jeunesse malgache, jeunes femmes et jeunes hommes en ce sens ? 

LJ : Sincèrement, nous sommes reconnaissantes de cette opportunité. Nous espérons pouvoir montrer le changement, que les femmes ne soient plus représentées à la seconde place mais soient intégrées aux équipes. C’est la raison d’être de ce programme de série de conférences pour que les hommes et les femmes aillent de pair, ensemble, collaborer pour le meilleur. Pour moi, cette intervention d’aujourd’hui, a permis aux femmes enseignants-chercheurs ou non, aux jeunes hommes et femmes d’être au défi du développement dans d’autres thématiques : académique, artistique, écologique, juridique, politique, médical, entrepreneurial, socio-économique, socio-culturel, socio-historique, et bien d’autres encore. Il est donc intéressant et nécessaire à de multiples égards : par ces nombreux thématiques abordés, par la variété et la richesse des sources prises en compte, et par le détail des exemples développés, que ce soit aux différentes échelles (internationales, nationales, locales) ou dans les différents contextes (politiques, universitaires, associatifs). Il permet en outre de mettre en valeur de nombreux retours du public car c’est un honneur comme toujours d’évoquer quelques mots des sujets du moment, d’innover, de collaborer et d’oser, mots chers à l’Université d’Antsiranana, qu’elle priorise dans son interdisciplinarité. La publication de ce programme permettra en outre de garder une trace de l’état de la situation dès à présent, et rendra plus aisée l’évaluation des évolutions qui devraient avoir lieu dans les années à venir.

Propos recueillis par Iss Heridiny 

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