Les nés après l’an 2000 mettent la pression, osent et s’engagent en silence. Loin des jugements générationnels, Iavo Robson et sa sœur Finoana Robson ont bousculé les clichés, les fermiers web 2.0 d’Ankazomanga Atsimo.
« Ici, c’est une zone rouge », prévient Iavo Robson. Après une heure à lui parler avec sa sœur, Finoana Robson, il lâche : « C’est aussi mon havre de paix ». Pour accéder à leur ferme urbaine, traverser des tentacules de couloirs de la parcelle d’Ankazomanga Atsimo est impératif. Y flâner la nuit est fortement déconseillé même pour les promeneurs les plus exaltés. Il faut suivre la ruelle attenante à la pharmacie, prendre un passage sur la droite et s’engouffrer dans un dédale, où le terrain synthétique sert de repère tout en étant la fierté de tout le voisinage. « Je suis né ici, à Antananarivo, j’ai grandi ici à Ankazomanga », lance-t-il. Auquel ajoute sa sœur d’un ton fier, « Nous sommes originaires d’Ankazomanga ». Fils et fille pur jus de la ville des Mille, les deux entrepreneurs descendent de ces anciennes familles tananariviennes sur lesquelles les légendes urbaines des octogénaires disent souvent, « leur maison était longtemps la seule dans ce coin avant que d’autres habitations ne l’entourent », après le boom de l’urbanisation mal négociée des années 70-80. A l’époque royale, le quartier était un fief de redoutables combattants de « diamanga », art martial ancestral, éternels adversaires des pratiquants d’Ambohimanarina. Aussi, passage obligé d’un célèbre prince friand de sport de contact. « Nos arrière-grands-parents vivaient déjà ici », renchérit l’étudiante en entrepreneuriat et ses 17 ans.
Des siècles après, il abrite désormais un joyau insoupçonné, « La ferme de Bena », du surnom de Iavo Robson. Une mince porte aux couleurs usées par le temps sert d’accès. Le père est là. Un fringant bonhomme plutôt effacé, à la voix et aux gestes vifs. Tantôt il surveille un lapin géant des Flandres, curieux et renifleur. Tantôt il rabroue le « chien de garde », Iavo Robson en rigole, « c’est vrai il faut maintenant que je lui trouve un nom ». Le « chien de garde » est un dindon particulièrement teigneux, prompt à gonfler ses plumes et agresser sans ménagement tout nouveau venu. Sa dame est en train de couver, il vit alors un pic de stress. Tandis que Finoana Robson s’enquiquine avec un chiot, un vrai canidé cette fois, qui inspecte avec sa truffe les poches du sac à dos d’un visiteur : Bob, la principale attraction joue les stars. Un faisan argenté à la robe élégante, une queue majestueuse, un genre de masque rouge vermeille lui donne un faux air de justicier. Les pintades, des petites teignes également, ont réussi une échappée à quatre à travers la toiture de la ferme. La matinée est bien animée dans « La ferme de Bena ». Au chaud, les cailles préfèrent profiter de l’intérieur des cages protégées de ce tumulte de basse-cour. Le chouchou d’Iavo Robson est une perruche ondulée, un peu mal en point. Donc, sa bonne santé devient un défi quotidien.
Sur un petit moment de répit, il se met à raconter. « Je me suis plutôt orienté vers l’élevage d’animaux exotiques, la majorité de mes animaux ont été importés de l’étranger ». Comme le poulet de race Wayndotte, venu des Etats-Unis. L’étudiant en agronomie, spécialisé en élevage de 22 ans, est aujourd’hui en troisième année chez Paul Minault. « Ma sœur et moi, sommes nés et avons grandi dans le monde de l’élevage. Je dirai que nos parents sont des ruraux si c’est le bon terme, parce qu’étonnamment ils le faisaient ici à Ankazomanga », poursuit-il. Avec trois enfants, papa et maman ont élevé des poules du terroir et d’autres volailles, jusqu’à pouvoir envoyer un des rejetons à l’étranger. Un élevage modeste que les deux gosses Robson allaient transformer en une petite société familiale en contrat avec un restaurant huppé et en contact avec une enseigne de grande distribution. « Je suis en deuxième année en cursus entrepreneuriat à l’IST Antananarivo, j´interviens dans la transformation des produits de la ferme en produits de consommation », fait savoir Finoana. La famille a préféré régulariser sa « passion ». « La ferme de Bena » paie désormais taxes et impôts. « Souvent, quand nous pensons élevage, c’est souvent avec insouciance qu’on le fait, sans vraiment se prendre la tête. Ceux qui meurent, meurent, ceux qui vivent, vivent. Du moment qu’on peut en vivre, c’est le plus important », met-elle en avant. Changer de posture, il a fallu convaincre les personnes qui ont assuré leurs scolarités grâce à l’élevage rudimentaire : les parents. Les convaincre de passer du rudimentaire à un élevage professionnel. Avec tous les changements et les nouvelles approches en aval. Deux visions du monde qu’il fallait faire converger.
La vache laitière de la ferme, bizarrement intriguée par les écrans de smartphone, en a été témoin. « D’habitude, quand on nourrissait les vaches, on déposait le fourrage sans compter. L’objectif était de la gaver. Avec les études, j’ai compris que c’était possible de rationner en obtenant le même résultat », relate le futur ingénieur d’élevage. Les parents se sentaient un peu bousculés par cette nouvelle méthode. Et de poursuivre. « Plus tard, ils ont compris ». Économiser le fourrage tout en optimisant la croissance des animaux, Iavo Robson dessine petit à petit les contours d’une activité dans les normes. « Maintenant, nous tenons une comptabilité », complète sa sœur. L’affaire est lancée. Dans l’élevage, c’est 50 % de technique et 50 % de bonne étoile. Le cauchemar des deux jeunes entrepreneurs, ce sont les facteurs extérieurs et les imprévus. Un jour, il décide d’importer une soixantaine d’œufs depuis l’Europe. Toujours en avion, pour gagner du temps. En bateau, cela accroît les risques. Avec une moyenne de 7 euros l’unité, la malchance a fait que moins de dix œufs ont éclos. Une véritable catastrophe pour Iavo Robson. « L’élevage est un des métiers les plus risqués. Il n’y a pas d’assurance ni de garantie. Nos principaux collaborateurs sont les animaux, malgré nos meilleures prévisions, une épidémie peut les faire disparaître d’un coup ». Pour une ferme urbaine, la grande question reste aussi la nourriture des bêtes. Le frère et la sœur ont opté pour l’indépendance.
Ils ont acquis un terrain sur lequel ils plantent le fourrage des bovidés, le maïs des poulets… Pour eux, l’objectif est « de nourrir nos animaux pour qu’ils nous nourrissent ». Les débuts étaient pourtant laborieux, surtout pour Finoana Robson, jeune gamine de la ville et ses tendances. « C’était dur, lors des réunions des parents à l’école, ceux des autres arrivaient pimpants en voiture. Les nôtres arrivaient avec du fourrage et de la provende dans les bras », se souvient-t-elle. « J’étais ensuite convaincue que ce métier n’est pas étiqueté pour une catégorie de personnes ». À partir de ce moment, elle s’affirme. Elle se remémore ses jeux d’enfance, avec la dinette et la préparation des beignets. Elle décide alors de se consacrer à la transformation des viandes de lapins, les œufs de caille, le lait… en produits de consommation. Les réseaux sociaux et ses cours de marketing lui facilitent la manœuvre. Les premiers pots de yaourts trouvent clientèle chez les épiciers du voisinage. Elle améliore le « packaging ». Les internautes remarquent ses produits laitiers estampillés « Ma’vokatra », ses brochettes de viande, ses crèmes liquides et d’autres encore. Entre-temps, elle fait des démarches auprès de revendeurs et restaurateurs de la capitale. La ferme de Bena obtient son premier contrat. Les ventes sur commande et en ligne s’accroissent. La deuxième catégorie de clients de « La ferme de Bena » sont les passionnés d’animaux d’ornementation, pas destinés à l’alimentation. Et dire qu’à Madagascar il y a un club de lapin de race. Un de ses futurs projets sera d’importer des perruches et des perroquets introuvables au pays. « Notre ferme ici à Ankazomanga servira de vitrine, nous allons nous installer en périphérie pour plus de commodités », fait savoir Iavo Robson. Un lieu qu’il entend gérer selon les règles de l’art. « En général, les fermes sont interdites de visite. A cause de l’insécurité, mais surtout parce que les animaux sont sensibles, nul ne sait si une personne qui y entre porte des microbes ou une maladie. Seuls les employés peuvent y accéder ».
Ces deux jeunes Tananariviens auront toujours des choses à dire sur leur passion, des amis débarquent pour les sortir un peu de leur bulle. En jeans et baskets, retour à la réalité. La ferme se trouve bel et bien en plein centre-ville. A quelques minutes de là, se trouve la large voie menant vers Andraharo, dans l’autre sens vers Analakely et ses embouteillages. « Avec Google je peux visiter des fermes à travers le monde. Quand un animal me plaît, je contacte tout de suite le propriétaire par Whatsapp. Je lui expose mon cas et si c’est possible, nous faisons les démarches… j’ai envie de dire aux jeunes comme moi, qu’il ne faut pas hésiter à demander, à questionner, personne ne mord quand on lui demande quelque chose ».
Maminirina Rado