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samedi, mars 15, 2025
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L’étude féminine à Madagascar : Un champ de recherche exclusivement réservé aux femmes?

La Journée des femmes qui consiste à mettre en avant la lutte pour les droits des femmes et contre les inégalités hommes-femmes a été célébrée pour la première fois le 28 février 1909 aux Etats-Unis à l’appel du parti socialiste d’Amérique. Chaque année, à la date du 8 mars, les femmes malgaches saisissent cette opportunité pour faire passer leur message à travers différentes manifestations.

Evolution de l’étude sur les femmes à Madagascar

Le Dr Asinome Harimino Elisé, enseignant-chercheur à l’Université de Toliara et chercheur associé à l’Institut Ralaimongo d’Histoire et d’Etudes Politiques (IRHEP), nous apporte les premiers éclaircissements sur l’évolution de l’étude sur les femmes à Madagascar.

Les écrits concernant les femmes datent d’avant la colonisation, notamment grâce aux récits d’explorateurs et de missionnaires chrétiens, qui ont permis d’approfondir notre compréhension des conditions féminines, les profils de certaines femmes, les apports significatifs et les influences de ces certaines figures féminines dans la société au XIXe siècle. Il convient de souligner, entre autres, les récits de voyages d’Ida Pfeiffer, exploratrice autrichienne ayant consacré des témoignages à la figure de Ranavalona Ire, au cours du XIXe siècle.

Par ailleurs, l’étude du rôle des femmes représente un domaine complexe qui soulève des interrogations diverses que ce soit sur les aspects économiques, politiques, sociaux et culturels, touchant à des thèmes tels que les parcours de vie, la représentation sociale des figures féminines, leur relation au pouvoir, ainsi que leur influence sur l’ensemble de la société. En effet, ces thématiques, bien que connexes, permettent de tracer trois grandes périodes historiographiques concernant l’étude du statut des femmes depuis la colonisation.

Première période

Cette période est caractérisée par des travaux de recherche portant sur les femmes, essentiellement orientés vers les besoins des sciences coloniales. Sous l’égide du Général Gallieni, l’administration coloniale a favorisé dans la première moitié du XXe siècle, la valorisation des savoirs liés à la colonie, en menant des recherches axées sur l’inventaire et le développement des connaissances coloniales. Dans ce contexte, au-delà des revues scientifiques axées sur l’empire colonial, le Bulletin de l’Académie Malgache (BAM) représente une tribune essentielle pour la publication de recherches portant sur diverses disciplines des sciences coloniales, telles que la géographie, l’histoire et l’économie. S’agissant des femmes, la recherche sur les coutumes à Madagascar dévoile des documents qui traitent du rôle religieux des femmes malgaches et analysent également la situation sociale des femmes ainsi que la question de maternité.

Deuxième période

La période après l’indépendance se distingue par l’émergence du mouvement de revendication identitaire et les efforts de valorisation des institutions traditionnelles. À partir de l’Indépendance, des études ont été menées portant sur le droit coutumier ainsi que sur la place des femmes au sein des traditions malgaches. Les conditions féminines suscitent un intérêt croissant parmi les chercheurs issus de diverses disciplines, telles que l’ethnologie et le droit. Que ce soit dans un contexte académique ou professionnel, il est à noter que les quelques femmes intellectuelles malgaches se sont penchées sur la place de la femme au sein du droit coutumier malgache. De plus, des intellectuels malgaches ayant occupé des postes de direction au sein du gouvernement de la Première République se saisissent d’opportunités telles que les conférences et les publications académiques pour mettre en lumière la situation des femmes dans leur communauté et défendre leurs droits. Signalons au passage que la recherche sur les enjeux liés aux conditions féminines a captivé l’attention de plusieurs chercheurs, tant masculins comme Gustave Mondain, Paul Radaody-Ralarosy et Henri Raharijaona, que féminins, notamment Louise Marx et Zaïveline Ramarosaona.

Cette période est aussi marquée par l’événement survenu en mai 1972 qui a permis au pays de connaître un regain de dynamisme sur le plan socio-culturel. Les Malgaches ont exprimé la nécessité de valoriser les institutions traditionnelles. Ainsi, les chercheurs s’interrogent sur l’implication des femmes dans le processus de valorisation des structures traditionnelles comme le fokonolona. D’ailleurs, durant la première période socialiste, l’engagement pour la promotion du rôle des femmes au sein de la société malgache a attiré l’attention des chercheurs.

Troisième période

C’est à partir des dernières années de 1980 qui se distingue par l’apparition du phénomène « militantes et chercheuses féministes », tant sur le plan international qu’à Madagascar. Cette période, marquée par l’émergence de la science engagé et féministe, coïncide avec l’ouverture aux idéologies occidentales dans les pays qui étaient précédemment alliés au bloc soviétique. La montée en puissance des groupes de pression, incluant des associations et des ONG, se manifeste par leur engagement envers l’amélioration de la condition des femmes, ainsi que par leur volonté de remettre en question les dynamiques de genre dans plusieurs domaines d’activité : économique, social, culturel et politique. Ainsi, nous constatons l’émergence des études de genre et de l’histoire sociale féminine, développées par de jeunes chercheuses assez ambitieuses et tellement engagées dans les disciplines de l’histoire, de l’anthropologie et de la socio-linguistique.

Rôle des femmes malgaches aux efforts de développement du pays, de la période coloniale à la deuxième République

Lynda Nicole NOME-NANAHARY, Docteure en Histoire contemporaine et chercheuse associé à l’Institut Ralaimongo d’Histoire et d’Etudes Politiques.

L’essor économique de Madagascar ne saurait être réalisé sans l’engagement véritable des femmes, qui occupent des fonctions cruciales dans les dynamiques de développement économique et social du pays, depuis l’époque coloniale jusqu’à aujourd’hui. Dans la période allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’en 2002, des faits remarquables ont été constatés, corroborant cette affirmation, tant en milieu rural qu’en milieu urbain à Madagascar. On a constaté une forte implication des femmes dans la mise en œuvre des stratégies de développement économique et social à Madagascar.

Les années 50, une période de prospérité économique

Entre 1946 et 1958, Madagascar a bénéficié, à l’instar des autres régions françaises d’outre-mer, des subventions du Fonds d’Investissement pour le Développement Économique et Social (FIDES) ainsi que des prêts accordés par la Caisse Centrale d’Outre-Mer (CCFOM). Le régime colonial a établi un plan décennal visant à transformer la vie quotidienne de la population malgache par l’optimisation du rendement économique du pays, en introduisant des équipements économiques et sociaux modernes destinés à moderniser le secteur agricole et à développer des infrastructures hydro-agricoles. Cette initiative se concentre sur l’accroissement de la production rizicole et d’autres produits agricoles, afin de renforcer le pouvoir d’achat des paysans.

En outre, le pays a amorcé une dynamique de croissance économique depuis les années 1950 et continue de bénéficier des soutiens financiers, notamment à travers le lancement du programme appelé plan triennal de 1959-1961. Ce programme considéré comme intermédiaire s’inscrit dans la continuité des efforts entrepris au cours des années 1950, agissant comme un lien entre le plan décennal et le plan quinquennal de Tsiranana, établi entre 1964 et 1967.

Les transformations depuis les années 1970

Sous la deuxième République, Didier Ratsiraka a propulsé la Nation sur le chemin de la Révolution socialiste. Dans sa stratégie de développement, le dirigeant de l’époque ambitionne de veiller à ce que les fondements d’autonomie, d’équilibre et d’harmonie sociale soient intégrés et valorisés dans le pays.

Dans les zones rurales, les femmes ont joué un rôle actif dans la mise en œuvre des diverses politiques de développement, contribuant ainsi de manière significative à leur exécution. Effectivement, dans la partie Est et Sud-Est de Madagascar, les femmes se consacrent à la cueillette du café et du girofle au sein des concessions appartenant aux colons. À la fin de la période de récolte, elles s’engagent aux côtés de la compagnie Marseillaise pour procéder au tri des grains de café défectueux, en amont de l’exportation.

Cette pratique a perduré après l’Indépendance au cours des différentes républiques ultérieures. Dans le contexte de la malgachisation du système économique du pays, la société ROSO a succédé à la compagnie Marseillaise. À Manakara, les femmes se consacrent toujours dans les activités de cueillette et de tri du café au service de cette entreprise nationale.

Par ailleurs, la région de l’Alaotra connaît à l’époque, un afflux important de travailleurs saisonniers migrants. Cette situation peut être attribuée à la pénurie de main-d’œuvre locale ainsi qu’à l’évolution des méthodes de repiquage. Les femmes sont les premières à se manifester pour occuper des emplois saisonniers. Elles sont engagées dans des activités de repiquage et de coupe, avec éventuellement du sarclage, de la mise en meule et du battage.

Dans les Hautes Terres centrales, les femmes se distinguent aussi par leur énergie et leur engagement dans le domaine du développement rural. Leur influence est notable dans les zones de Manjakandriana, d’Ambatolampy et dans la région Betsileo. En raison de ce dynamisme, elles portent également un intérêt particulier à la migration saisonnière dans la région d’Alaotra. Ce groupe de femmes tire parti du décalage des saisons agricoles dans les Hautes Terres centrales pour aller exercer une activité professionnelle dans les zones rizicoles.

Cependant, ces femmes subissent des conditions de vie assez éprouvantes, et ce, depuis les différents régimes allant de la colonisation aux républiques malgaches. Elles emmènent leurs enfants dans les concessions agricoles pour la récolte du café, ainsi que dans les rizières pour participer aux travaux de repiquage et de coupe du riz. Motivée par son activisme politique, Céline Ratsiraka a lancé la promotion des Ankaninjaza, une initiative dédiée à la prise en charge et à l’occupation des enfants des femmes ouvrières engagées dans le développement du monde rural à Madagascar.

Les femmes dans la sphère politique à Madagascar : une dynamique émergente ?

Faramalala RATSARATOETRA, Docteure en histoire sociale et contemporaine, chercheuse associée à l’Institut Ralaimongo d’Histoire et d’Etudes Politiques

Selon l’opinion publique, le domaine politique est fréquemment perçu comme un espace principalement destiné aux hommes, entraînant un désintérêt marqué des femmes pour cette sphère. À Madagascar, le rôle des femmes est principalement axé sur la procréation, l’éducation des enfants et les tâches domestiques. Cependant, la politique continue d’être principalement un territoire masculin. Néanmoins, elles s’engagent pleinement dans les affaires nationales et demeurent résilientes devant des situations mettant en péril l’intégrité de la famille et de l’ensemble de la communauté.

Leur engagement dans les mouvements politiques est également nourri par un profond souci de justice. Les femmes représentent une composante essentielle de la vie sociétale. Elles bénéficient des mêmes droits que les hommes et participent activement, aux côtés de ceux-ci, au développement du pays. De plus, elles rencontrent de nombreuses obligations tant sur le plan professionnel que dans leur vie familiale. Néanmoins, cela ne les empêche pas de s’intégrer et d’évoluer dans l’espace public et au sein de divers secteurs d’activités, incluant l’agriculture, l’industrie et divers types de services.

De plus, les femmes ont un enjeu à défendre à cet égard, ce qui explique leur participation proactive à l’arène politique en général et au mouvement social en particulier. L’engagement des femmes dans les affaires nationales englobe divers aspects tels que le militantisme, l’exercice du droit de vote et la participation aux élections. En tant que citoyennes actives, elles ont la capacité d’influencer des décisions politiques majeures et, dans certains cas, de contraindre le gouvernement en place à revoir sa position sur des enjeux qui les touchent directement.

Les femmes et la place du 13 mai

Dans le contexte de différents événements socio-politiques, peu importe leur style vestimentaire ou ce qu’elles représentent, les femmes se mobilisent sur la place du 13 mai pour faire entendre leurs voix. Dès la matinée, elles viennent nombreuses à l’avenue de l’Indépendance pour être au courant des événements, pour entendre les discours des grévistes, en un mot, pour être à la page des actualités du jour. Elles affichent leur présence étant des actrices à part entière  du changement et du développement du pays. Leur vœu est simple : « que la situation change » dans le pays  et dans leur propre vie. »

Imposée comme un point central des enjeux sociopolitiques dans la capitale, cette avenue se positionne comme un espace stratégique essentiel pour mener des initiatives de déstabilisation ou de renversement du régime. Tout commence et tout s’écroule à partir de cet endroit comme disent les hommes politiques du pays. Les événements de 1972, 1991, 2002 et 2009 en sont les preuves tangibles. Peu importe les motivations de ces crises, il est indéniable que les femmes et les enfants constituent les premières victimes.

Les femmes et le pouvoir dans l’espace politique tananarivien

Très investies dans le paysage politique d’Antananarivo, les femmes défendent des idéologies distinctes et s’affilient à des organisations politiques, qu’il s’agisse de celles qui soutiennent le gouvernement ou qui s’opposent à lui. En effet, que ce soit dans le contexte des élections ou lors de leur participation à des manifestations, les femmes démontrent un fort dynamisme et enregistrent des succès notables. Il arrive que les personnalités politiques se servent de l’image de ces figures féminines, les plaçant au centre de l’attention. Elles sont positionnées au premier rang lors des rassemblements politiques. Des postes stratégiques sont également attribués à ces femmes afin d’optimiser les résultats lors de l’élection.

Toutefois, une fois au pouvoir, ces femmes, qui ont été des alliées dans la lutte, sont fréquemment mises à l’écart au profit de ceux qui n’ont pas participé activement au mouvement. Une fois leurs voix acquises, ils ont d’autres priorités que la participation des femmes, et c’est seulement vers la fin de leur mandat que les dirigeants se préoccupent à nouveau d’inclure des femmes dans les instances dirigeantes. Même si elles y obtiennent un siège, elles restent reléguées au second plan.

Depuis le tournant des années 2000, une nouvelle génération de femmes actives s’affirme progressivement dans la sphère politique nationale. Combinant leur expérience sur le terrain et leur engagement militant, ces femmes intègrent progressivement des rôles décisionnels, même à des niveaux locaux. Elles manifestent un dynamisme certain au sein des institutions étatiques et contribuent à l’émergence d’une nouvelle génération de femmes engagées, prêtes à participer activement aux affaires nationales, notamment sur les plans sociopolitique et économique.

Dossier réalisé par Julien R.

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