- Publicité -
jeudi, mai 1, 2025
AccueilDossiersDossier : Le poète des temps réels : Levelo

Dossier : Le poète des temps réels : Levelo

Levelo, immense artiste et poète immortel, guitariste virtuose et parolier unique de la musique malgache.

Le monde artistique du parolier et compositeur illustre malgache, Levelo, est moderne, ancré sur ses terres, poétique, créatif… Peu loué par le grand public, toutefois reconnu en génie immense par ses pairs, les connaisseurs et connaisseuses. Son héritage confirme le périple de l’âme malgache, sa langue et ses émois à travers les époques.      

Des textes véristes, en miroir des petites vies dans les latérites, au twist amour/désamour. De la dramaturgie à hauteur d’homme à la légèreté textuelle, limpide et vivifiante. Levelo serait peut-être le dernier des grands poètes de la chanson malgache. Le survivant d’une époque féconde, moderne et réceptive au monde, avec les défricheurs, Andrianary Ratianarivo (1895–1945), poursuivis par Barijaona (1926–1971, surmultipliant les figures de styles et baignent leur musique dans une trame « blues », crépuscule d’une liberté à retrouver. Libérer le verbe en premier lieu, Levelo chantait l’âme, celui des « Zanakantitra », de l’Imamo une région trait d’union entre le pays Sakalava, ouverture à la mer, et l’Imerina historique, l’austérité des terres. Emancipation impossible sans reprendre en musique le réel de cet espace et de son temps. « De la douceur ! De la douceur ! De la douceur ! », appelait Paul Verlaine dans « Lassitude ». Quand un peuple séculaire vient juste d’être libéré d’un joug colonial multi générationnel, les séquelles restent entières pour des décennies. 

L’artiste apportait alors ce baume en peignant les constantes de vie, la permanence enfouie dans le malgache. Il rassure, n’explore point mais rappelle que tout n’est pas encore perdu. Ce quelque chose d’inamovible presque éternel. « Voka–bary », Levelo y retravaille la trame sociale à travers la moisson du riz. Le ping–pong narratif et discursif servi par un rythme « faux-lent », l’apaisement collectif, la récompense naturelle du paysan travailleur dans toute sa sobriété, la connexion raffermie des villages… Cet enchevêtrement de tableaux, l’artiste en a fait sa chapelle « Sixtine ». Même topo dans « Mpanarato mody », courte histoire avec toute la flamme poétique et ce twist, « rehefa ela nihafiana ve ny aty e/lakana tsy mba ho sambo hampirehareha ». Il chantait déjà en filigrane les premiers contrecoups de la pêche commerciale dans les années 70. Madagascar subit de plein fouet, en silence, les impacts des gros filets et leurs rafles en milliers de tonnes de poisson par an. Cette industrie accapare plus de 50 % de cette richesse marine en quelques années, les pêcheurs artisanaux se retirent un à un dans le secteur de la crevette. La pêche, style de vie chez les Malgaches, devient survie quotidienne. 

L’essence du quotidien

Levelo n’usait donc pas de supercherie en tant que lanceur d’alerte de ces « habitants des mers ». Pas suffisant pour bousculer l’opinion dans les années 70. La chanson suffit à peine à se faire oublier dans les annales sans fond de la musique malgache comme « Bemolanga » de Mahaleo. Cette douceur, tractée par son jeu à la guitare, la voix sans fard de sa femme Lolona et souvent la valiha joueuse, quelques sons de maracas et de djembé pour apporter du dynamisme, s’accompagne aussi de minimalisme. Comme si l’auteur/compositeur se fichait de la notoriété. Musique de chambre dans ses ultimes retranchements, les « Donak’afo », « Iangolao vaitra », « Mamerovero »… ses titres s’entendent avant tout. Le plaisir que procure ce mis en abîme du refrain dans « Fakitera », une des rares chansons bien inscrite dans son temps de la musique malgache, est un moment unique. « Fakitera nandimby fakitera ô/hizara taratasy ihany fa saingy ferapara ». Marche funèbre pour l’espoir dans les contrées de l’Imamo, le facteur, personnage central de la chanson, rejoint les cieux. La disparition à 34 ans, du porteur des nouvelles, les lettres venues des proches d’autres régions, bouleverse les tourtereaux éloignés. 

Sa bicyclette ne traversera plus les villages. Les infimes rictus du quotidien des Malgaches, Levelo a su en tirer l’essence. Le facteur ne s’en sort pas dès lors en héros, mais en maillon de la chaîne de vie de la communauté. Tout ce qu’il y a de plus moderne. Si les autres chantaient les déclarations enflammées ou l’émoi causé par une formule d’amour. Le chanteur s’est orienté vers le profane, l’existant d’un pays et ses personnages minimes. A la manière de la peinture flamande de l’entre XVème et XVIème siècle, l’artisan est préféré au seigneur, les barbiers aux chevaliers. L’harmonie prend place face aux tumultes, d’où l’appropriation facile par les Malgaches des morceaux de Levelo. Au sortir d’un demi siècle compilant des dates majeures (1945, 1947, 1929, 1972) pour Madagascar, l’époque voulait laisser place à la réflexion et aux idées. Le chanteur avait toute la panoplie nécessaire pour ajouter au classicisme des élans nouveaux plus libéraux. « Aza ràrana ny ankizy raha hanambady/avelao izy e handeha amin’ny sitrapony an/tsy hitanareo ve i Rasoanantenaina », chantait–il dans « Rasoanantenaina ». Et ainsi se construit une chanson culte. Au même rang que les « Diso lalana » d’Andrianary Ratianarivo ou « Ho melohina va ny foko ? » de Barijaona, une liste non exhaustive certes. Elle marque au passage l’apparition de l’âme solitaire. 

Le poète sous–côté 

La musique d’ensemble, symétrique et cadencée (extrait sur Youtube de l’exposition universelle de 1931), est gardée. Levelo utilise quelquefois ses notes de guitare comme des voix de chœur. Sauf que la rondeur, les sursauts improbables, le renouveau des « sentiments tragiques » restructurent les formes. Héritier de cette « mise à jour » de la musique, tananarivienne et centrale notamment, l’artiste finit d’introduire l’individu malgache contemporain. Rappelant au passage que la société est vouée à approprier, à réadapter et à redéfinir. Et cela commence par le soi avant d’atteindre le « tous ». « Benandro », titre rock sur les bords, se démarque par une utilisation massive du « je ». Équilibré par le « nous » prépondérant de « Voandalana », une chanson de bombances et de vêpres par excellence. De ses cinquantaines de chansons, il a toujours fui les lamentations pathétiques et les contemplations banales. Sa manière de se servir de la langue malgache, langue vivante, méritait des histoires théâtrales aux évolutions de chef d’œuvre. Il fallait sans doute imaginer que les auditeurs et auditrices d’il y a quarante ans étaient encore capables de délier les tournures et imaginer les paraboles. « Dire peu mais en dire assez », il appliquait cette formule avec justesse. « Hirahira fanaon’ny Gasy/dobohina hanakoako/tsy natao hameno kibo/izay noana mitsako rivotra fa avy eo tononkira sakafon–tsaina mialavoly… », ce couplet de « Voandalana » dégageait sa perfection à l’écriture.

L’industrie musicale en pleine mutation, l’ère cassette à bande vrombissante, n’a pas assez apporté sa part de reconnaissance à Levelo. Celui dont une chanson telle « Didim-poitra » pourrait figurer dans un sujet du Bac littéraire. Heureusement, ses frères d’armes sont nombreux, encore de ce monde ou pas : Simon Randria, Jonny R’afa, Mika & Davis, le textuel Amiral Killer… le feu poétique est gardé coûte que coûte. 

Maminirina Rado   

- Publicité -
- Publicité -
Suivez nous
409,418FansJ'aime
10,821SuiveursSuivre
1,620AbonnésS'abonner
Articles qui pourraient vous intéresser

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici