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jeudi, juin 19, 2025
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Médiation politique : Quel avenir pour le FFKM ?

Le FFKM (Fiombonan’ny Fiangonana Kristiana eto Madagasikara), ou Conseil œcuménique des Églises chrétiennes de Madagascar, joue un rôle majeur dans la vie sociopolitique du pays depuis sa création en 1980. Réunissant les principales confessions chrétiennes — l’Église catholique romaine (EKAR), l’Église luthérienne (FLM), l’Église réformée (FJKM) et l’Église anglicane (EEM) —, le FFKM ne s’est jamais contenté d’un rôle strictement religieux. Très rapidement, il est devenu une force morale, un médiateur national et un acteur politique incontournable. Depuis plus de quatre décennies, le FFKM s’est imposé comme un acteur incontournable de la médiation politique à Madagascar. Son engagement pour le dialogue, la paix et la justice sociale en a fait une institution respectée, bien que confrontée à des défis croissants : polarisation politique, instrumentalisation religieuse, perte de confiance dans les médiateurs traditionnels. Si son rôle est aujourd’hui plus discret qu’à ses débuts, le FFKM demeure l’une des rares structures à disposer d’un capital symbolique et moral permettant, le cas échéant, de recréer des ponts entre des acteurs profondément divisés. La pérennité de son rôle dépendra de sa capacité à réinventer ses méthodes, à garantir une posture impartiale, tout en s’adaptant aux nouvelles exigences de la gouvernance démocratique.

L’engagement politique du FFKM durant les années 1990 :Le FFKM naît dans un contexte post-colonial où Madagascar cherche à forger une identité politique stable. Il a officiellement vu le jour le 20 janvier 1980 après des années de rapprochement œcuménique. Dès ses débuts, il se donne une mission élargie à la sphère publique : défendre les valeurs chrétiennes, la justice sociale et les droits fondamentaux. Cette orientation le pousse à intervenir régulièrement dans les affaires nationales, notamment lorsqu’il perçoit des menaces sur la démocratie ou les droits humains.

En effet, ses deux congrès, d’août 1982 et de septembre 1987, dirigés respectivement par J. Lequerre Rajoelisolo (FJKM) et Martin Rakotovao (EEM) mais aussi Jean Rubis Andriantsoa (FLM) et le Rev. Adolphe Razafintsalama (EKAR), ont permis aux Eglises de faire part de leurs inquiétudes au sujet des dérives du régime Ratsiraka et de l’installation au pouvoir de l’arrogance, de la corruption et du népotisme, avec en contrepartie la dégradation des valeurs morales, traditionnelles, le mal-vivre et le mal-être de la population. Depuis, le FFKM, dirigé par le Rev. P. Razafintsalama (EKAR), se présente comme un vrai contre-pouvoir. Il va agir non pas tant comme adversaire du régime, mais comme un vecteur de la société civile dont les institutions politiques doivent tenir compte.

Le tournant des années 1990:La décennie 1990 marque un tournant crucial dans l’engagement politique du FFKM. Madagascar, alors sous le régime autoritaire de Didier Ratsiraka, est confronté à une grave crise politique, économique et sociale. En 1991, alors que Madagascar est plongé dans une impasse politique et une contestation populaire croissante, le FFKM prend une posture résolument politique en soutenant ouvertement la transition vers la démocratie après avoir organisé durant l’année 1990 (16-19 août) le premier rassemblement de toutes les Forces vives de la nation.

Sous la houlette de figures comme Monseigneur Armand Gaétan Razafindratandra (EKAR) et le pasteur Richard Andriamanjato (FJKM), le FFKM devient le principal médiateur entre l’opposition regroupée dans le Comité des Forces Vives (CFV) et le régime Ratsiraka. Il joue un rôle central dans la mise en place de la Conférence nationale de 1991, puis dans la formation de la Transition vers la Troisième République.

La médiation du FFKM aboutit à la signature des Accords de Panorama en octobre 1991, qui instaurent un gouvernement de transition dirigé par Albert Zafy. Cette implication directe dans la refondation des institutions malgaches est l’un des actes politiques les plus marquants de l’histoire du FFKM.

Une autorité morale ambivalente:Durant toute la décennie, le FFKM poursuit son engagement en appelant régulièrement au respect de la démocratie, à la transparence électorale et à la justice sociale. Toutefois, son rôle suscite parfois des critiques. Certains l’accusent de partialité politique, notamment en raison de l’implication personnelle de certains de ses dirigeants dans des partis ou mouvements politiques.

Malgré cela, son autorité morale reste reconnue par une large part de la population. Le FFKM continue de jouer les médiateurs dans plusieurs crises, notamment lors des tensions électorales de 1996 et de la transition après la destitution du président Zafy. L’engagement politique du FFKM dans les années 1990 a façonné son image d’« Église engagée », mêlant foi et responsabilités civiques. Depuis, bien qu’il ait parfois adopté une posture plus réservée, le FFKM reste un acteur attendu en période de crise, tant pour son rôle de médiation que pour son rappel constant aux valeurs éthiques dans la gestion des affaires publiques.

Le FFKM et la fin du régime Ratsiraka en 1991:La première crise majeure ayant placé le FFKM au centre du jeu politique est celle de 1991. Face à un pouvoir autoritaire incarné par Didier Ratsiraka, et à une opposition regroupée dans la mouvance Hery Velona Rasalama, le pays est plongé dans une crise profonde. Les Églises, jusque-là en retrait des affaires strictement politiques, décident alors de s’impliquer activement.

Le FFKM organise des séries de dialogues et de négociations entre les forces en présence. C’est dans ce cadre que naît l’Accord de Panorama (octobre 1991), un compromis arraché sous l’égide du FFKM, qui établit une transition vers une nouvelle République. Ce processus mène à la chute du régime Ratsiraka et à la mise en place d’un gouvernement de transition dirigé par le professeur Albert Zafy. Le rôle du FFKM lors de cette période est salué comme une médiation exemplaire, fondée sur la neutralité, le dialogue inclusif, et l’autorité morale.

Crédibilité en jeu pendant la crise de 2002

La crise post-électorale de 2002, opposant Didier Ratsiraka et Marc Ravalomanana, plonge le pays dans une paralysie institutionnelle avec deux capitales, deux présidents proclamés, et des tensions régionales extrêmes. Le FFKM tente de jouer un rôle de médiateur, même si son influence est plus contenue que dix ans auparavant. Certaines Églises membres, notamment la FJKM (à laquelle appartient Marc Ravalomanana), sont accusées de partis pris, ce qui affaiblit temporairement la crédibilité œcuménique du FFKM. Malgré tout, le Conseil œcuménique reste un espace de concertation important, et contribue à apaiser les tensions en appelant régulièrement à la paix et à la réconciliation nationale.

Profil bas pendant la crise de 2009:L’un des épisodes les plus complexes de la politique malgache contemporaine est la crise de 2009, qui voit le renversement de Marc Ravalomanana et l’arrivée au pouvoir d’Andry Rajoelina par voie non constitutionnelle. Dans un premier temps, le FFKM reste discret, tandis que d’autres médiateurs comme la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) prennent les devants. Mais face à l’impasse politique, le FFKM lance, en 2010, une initiative de médiation malgacho-malgache, parallèlement au processus mené par la SADC. Cette démarche vise à réinstaurer un climat de confiance en réunissant les anciens présidents autour d’une même table. Bien que ces efforts ne débouchent pas immédiatement sur un accord politique global, ils permettent de recentraliser le dialogue sur le plan national et de poser les bases du retour progressif à un ordre constitutionnel, avec la tenue de l’élection présidentielle de 2013.

Les assises nationales et les initiatives du FFKM après 2013:Le retour à la légalité constitutionnelle avec l’élection de Hery Rajaonarimampianina en 2013 n’a pas mis fin aux tensions politiques. Le FFKM, soucieux de la réconciliation nationale, organise à partir de 2015 les “Assises nationales”, une série de dialogues réunissant des responsables politiques, de la société civile et des institutions religieuses.

Ces initiatives visent à poser les fondements d’une véritable réconciliation durable, dans un pays où les crises successives ont laissé des fractures profondes entre les acteurs politiques. Le FFKM y plaide pour une réforme institutionnelle, un équilibre des pouvoirs, et une justice indépendante.

Le FFKM face à la crise électorale de 2018 et ses suites:Lors des élections de 2018, le FFKM observe une posture plus critique. À plusieurs reprises, il met en garde contre des dérives autoritaires et des manipulations institutionnelles. Il appelle les candidats et les institutions à garantir la transparence du processus électoral, sans pour autant pouvoir empêcher la polarisation entre Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana. Après la victoire de Andry Rajoelina, le FFKM lance des appels au dialogue, dans un contexte de tensions post-électorales.

La situation depuis 2023, entre désillusion et vigilance morale:L’élection présidentielle de novembre 2023, boycottée par les principaux candidats de l’opposition, replonge Madagascar dans une nouvelle crise de légitimité. Le FFKM, bien qu’ayant perdu une partie de son influence médiatique, continue de jouer un rôle d’alerte. Il publie des déclarations appelant à la restauration de la confiance entre gouvernants et citoyens, à l’instauration d’un véritable dialogue national, et à la consolidation de l’État de droit. Toutefois, son autorité morale se heurte à la fragmentation du paysage politique et religieux, et à la méfiance grandissante des acteurs politiques à l’égard de toute médiation religieuse.

Julien R. et Rija R.

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