
Depuis le 25 septembre, la capitale et plusieurs grandes villes de Madagascar sont agitées par des manifestations d’ampleur inhabituelle. Ce mouvement de contestation, initié par les jeunes de la Génération Z (Gen Z), les étudiants et rapidement rejoint par d’autres catégories de la population, s’est cristallisé autour de revendications politiques majeures : la dissolution du Sénat, la dissolution de la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) et la démission du président de la République. Ces demandes, lourdes de conséquences institutionnelles, interrogent sur leur faisabilité juridique et sur les voies possibles de sortie de crise.
Au centre des contestations
Le Sénat, tel que prévu par la Constitution de 2010, est la chambre haute du Parlement. Ses membres ne sont pas élus au suffrage universel direct : un tiers est désigné par le président de la République, tandis que les deux tiers sont choisis par les élus locaux. Cette composition a nourri au fil des années de nombreuses critiques, notamment quant à sa représentativité. Les manifestants réclament aujourd’hui sa dissolution, mais la Constitution est sans ambiguïté : seule l’Assemblée nationale peut être dissoute par le président de la République, et ce, après consultation du Premier ministre et du président de l’Assemblée. Le Sénat, lui, ne peut être supprimé que dans le cadre d’une révision constitutionnelle, adoptée par le Parlement réuni en Congrès ou soumise à référendum.
Pointée du doigt
La HCC est également dans la ligne de mire des contestataires. Institution juridictionnelle indépendante, elle joue un rôle central dans la vie politique malgache : elle contrôle la conformité des lois à la Constitution, tranche les contentieux électoraux et constate l’empêchement du chef de l’État. Ses neuf membres, désignés pour sept ans non renouvelables par le président de la République, l’Assemblée nationale et le Sénat, ne peuvent être révoqués qu’en cas de décès, d’empêchement définitif ou de condamnation grave. La Constitution ne prévoit aucun mécanisme de dissolution de cette juridiction, qui ne peut être supprimée ou remplacée qu’au prix d’une révision constitutionnelle.
Sous pression
Parallèlement à ces deux revendications, la rue exige également la démission du président de la République. Ici encore, le cadre constitutionnel fixe des limites précises. Le chef de l’État peut bien sûr décider de quitter volontairement ses fonctions en adressant une lettre à la HCC. Il peut également être déclaré empêché définitivement en cas de faute grave ou d’incapacité, mais cette décision relève justement de la HCC. Dans les autres cas, la Constitution ne prévoit pas de mécanisme de destitution directe. La revendication populaire reste donc essentiellement politique et symbolique, exerçant une pression croissante sur le pouvoir exécutif.
Cadre juridique rigide
La question qui se pose aujourd’hui est celle du décalage entre la force des manifestations et la rigidité du cadre institutionnel. Ni le Sénat ni la HCC ne peuvent être dissous par un simple acte politique. Seule une réforme constitutionnelle, adoptée par le Congrès ou validée par référendum, pourrait répondre à ces demandes. Quant à la démission du Président, elle demeure à sa discrétion, sauf dans les cas exceptionnels où la HCC interviendrait.
Au fond, les manifestations révèlent une crise profonde de confiance dans les institutions. Le Sénat, la HCC et la Présidence sont contestés pour leur légitimité et leur rôle politique. C’est cette fracture entre institutions établies et aspirations populaires qui alimente la tension actuelle. Seule une réponse politique forte, inscrite dans le cadre constitutionnel, pourra déterminer si ces revendications resteront un cri de colère passager ou le point de départ d’une réforme de fond.
Jeremy R.