
Dans un pays où le football suscite une passion débordante, comme en témoignent les marées humaines lors de la CAN 2019 ou du CHAN 2024, le chemin vers la professionnalisation reste semé d’embûches. Fenosoa Razafimamonjy, ancien joueur et désormais certifié en marketing sportif par la prestigieuse Northwestern University, incarne l’espoir d’une transformation. Fort de son expérience sur le terrain et de ses nouvelles compétences, il propose une vision ambitieuse pour faire rayonner le football malgache. Dans une interview exclusive, il partage ses idées pour surmonter les obstacles structurels, engager les supporters et réformer la gouvernance des clubs.
Fenosoa Razafimamonjy n’est pas un novice dans le monde du football. Ancien joueur ayant évolué dans des clubs comme Ajesaia, St Michel, Masinda ou FC Ravinala, il a vécu de l’intérieur les failles du système malgache. « Les clubs souffrent d’un déficit d’identité forte et cohérente », explique-t-il. Sa certification en marketing sportif lui a permis de maîtriser des outils modernes : stratégies de marque, optimisation de la visibilité sur les réseaux sociaux et structuration d’offres attractives pour les sponsors. « Les Malgaches s’attachent rapidement à une idée ou un esprit. Avec des messages réguliers et bien ciblés, on peut créer un lien émotionnel fort entre les clubs et les fans, ce qui attirera naturellement les partenariats ». Pour Fenosoa, le marketing sportif est une réponse concrète aux besoins des clubs malgaches. En s’inspirant de modèles internationaux, il propose de valoriser les joueurs et les équipes à travers des campagnes d’image et des partenariats stratégiques, à l’image de ce qui se fait avec des initiatives comme Foot Gasy. « Des clubs européens ou du Golfe pourraient parrainer nos équipes, comme Génération Foot au Sénégal », suggère-t-il.
Un manque de structuration
Le football malgache reste englué dans un statut amateur, et Fenosoa pointe du doigt un problème central : le manque de structuration. « Les clubs dépendent souvent de la puissance d’un seul dirigeant, sans statuts clairs ni vision à long terme », déplore-t-il. Contrairement aux clubs européens, dont certains prospèrent depuis des décennies grâce à une organisation solide, les équipes malgaches ont une durée de vie limitée. « On se cache trop souvent derrière l’excuse ‘tsy mbola mety eto izany’ (ça ne marche pas encore ici). Pourtant, avec une meilleure visibilité médiatique et des contenus adaptés, les choses peuvent changer ». Pour surmonter cet obstacle, Fenosoa insiste sur la nécessité de professionnaliser les structures. Cela passe par la formation des dirigeants et l’adoption de modèles de gouvernance modernes, où les rôles sont clairement définis : un président financier (actionnaire), un président administratif pour la vision stratégique, et un directeur sportif pour les décisions techniques. « J’ai vu des présidents donner des consignes aux coachs, comme si un banquier dictait un traitement à un médecin. Cela n’a pas de sens dans un football professionnel », s’indigne-t-il, citant l’exemple du Real Madrid où les décisions sportives restent l’apanage des experts.
Engager les supporters
L’enthousiasme des Malgaches pour le football est indéniable, mais il reste sous-exploité. Fenosoa voit dans le marketing sportif un levier pour transformer cette passion en engagement durable. « Lors de la CAN 2019 ou du CHAN 2024, les rues étaient noires de monde. Il faut capitaliser sur cet élan », explique-t-il. Il propose des initiatives concrètes : storytelling autour des clubs, valorisation des matchs et des identités locales, billets de fidélité, promotions et produits dérivés. L’exemple de Fosa Juniors à Majunga, où une dynamique positive existe déjà, pourrait servir de modèle. « Les réseaux sociaux et le marketing digital sont des outils clés pour engager les fans et mobiliser les communautés », ajoute-t-il.
Transparente et durable
Pour Fenosoa, la gouvernance actuelle, souvent centralisée autour de propriétaires uniques, est un frein majeur. « Il faut imposer des règles claires : publication des comptes, audits réguliers, limitation des conflits d’intérêts », insiste-t-il. Il prône des modèles associatifs ou hybrides, soutenus par une instance indépendante pour garantir la transparence et sanctionner les abus. Cette réforme est, selon lui, indispensable pour bâtir un football malgache crédible et pérenne. Fenosoa Razafimamonjy ne se contente pas de diagnostiquer les problèmes, il propose des solutions concrètes. Pour améliorer les conditions des joueurs, il suggère de structurer les clubs comme des entreprises, avec des revenus diversifiés via les sponsors, les droits TV et les partenariats. « En 2008, mon premier salaire était de 50 000 Ar, alors que les cadres touchaient 250.000Ar. Aujourd’hui, le football doit devenir une carrière viable », a-t-il affirmé. Attirer des investisseurs étrangers et renforcer la ligue professionnelle sont également des priorités pour élever le niveau du championnat et offrir des opportunités aux talents locaux.
Recueillis par Heriniaina Samson