
Qui n’a pas dodeliné de la tête en écoutant cette chanson sortie en 2004, dans laquelle les deux membres d’Ampsy-Dyh Clan, l’un des collectifs de rap les plus suivis de l’époque, décrivent en 4 minutes 56 la galère de la population malgache ? Un morceau qui témoigne que le délestage ne date pas d’aujourd’hui.
Les deux paroliers ont pu élargir leur audience et mettre d’accord le public. Pour la première fois, les compatriotes des faritra ont découvert le mot « délestage ». Dès lors, ces rappeurs ont dépeint les difficultés rencontrées par les Malgaches. « Rien ne marche, il n’y a pas de développement sans la lumière », rappe S.L.I.M Jah Tino au premier couplet. Pour sa part, K’Ala Nord relate la vie quotidienne : « Nous broyons du noir tous les jours. Les malfaiteurs en profitent. Nos mets dégagent une odeur désagréable. Par-dessus tout, la vie est chère… Que voulez-vous que nous fassions ? Vous voulez que nous retournions à l’ère préhistorique ? », s’exclame-t-il. Les auditeurs ont ressenti la colère qui sortait de la gorge de K’Ala ainsi que la désolation exprimée par son frère Tino. De plus, ils étaient les artistes de leur génération à crever l’abcès. Force est de rappeler qu’à cette période, le réseau social Facebook n’était pas encore en place. Pourtant, en l’espace de deux semaines, « Delestazy » devient un tube. D’Antsiranana à Port Berger, en passant par Sambava et Maroantsetra, le refrain « ameza môtro oh » s’ancre dans les esprits.
La musique accompagne la révolution. Sous un autre angle, le premier mandat de Marc Ravalomanana a été marqué par deux vagues de protestations. La première, entre 2003 et 2004 : déchus, les pro-Ratsiraka s’opposent ouvertement au régime fraîchement instauré, mais n’ont pas réussi à gagner les oreilles d’une population lassée par la crise de 2002. La seconde, entre 2005 et 2006 : hormis la proposition de réconciliation nationale du Pr Albert Zafy, le délestage fut également à l’origine d’une manifestation rapidement matée à Diego-Suarez. Ensuite vient le mouvement populaire orchestré par Andry Rajoelina en 2009, cause de la chute de l’administration Ravalomanana. La coupure de l’électricité figure parmi les motifs. Hery Rajaonarimampianina s’est aussi heurté au même problème. Dès lors, Delestazy est remis au goût du jour. La chanson inonde de nouveau les ondes, notamment dans la région septentrionale. En 2024, un sit-in organisé par les jeunes d’Antsiranana s’est tenu à Bazary Kely. Coïncidant avec le 20ᵉ anniversaire de la sortie du péan, les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquelles était inscrit le refrain : « ameza môtro Diego » – éclairez Diego.
L’hardiesse
« Ampsy-Dyh a bien fait. Le groupe a produit un titre qui perce. L’audace de ces auteurs m’impressionne. Faut-il oublier que le pouvoir durant lequel la musique a été diffusée était autoritaire ? En parallèle, Tino et K’Ala, à mon humble avis, étaient encore étudiants à l’Université. Ils auraient pu être recalés ! », a remarqué Renaud Miandry, un fan. Fondé par 12 jeunes hommes mélomanes et poètes de rue dans la seconde moitié de l’année 2003, Ampsy-Dyh Clan a, dès sa création, tracé sa voie dans la conscientisation. Pour eux, la définition du rap : rime d’attitude positive. « Nous sommes les pionniers du rap conscient dans notre localité. Ce qui ne nous a tout de même pas empêchés de composer des mélodies envoûtantes incitant nos inconditionnels à se détendre un peu. Toutefois, ces derniers nous ont connus à travers nos textes tranchants », a fait savoir Max Styl, l’un des membres. Après deux décennies, S.L.I.M Jah Tino, interrogé par un journaliste souhaitant savoir si lui et son ami avaient eu peur de la réaction du gouvernement, répond : « Nous avons dit ce que le peuple a vécu et ce qu’il vit en ce moment. Nous assumons toutes les paroles que nous avons écrites. Et le pire dans l’histoire, c’est que ce fléau continue de paralyser l’économie de notre pays ». En dépit des représentants étatiques du Nord tentant de censurer l’hymne contestataire, les animateurs n’ont hésité à aucun moment à le diffuser dans leurs émissions.
Actuellement, ces rappeurs ont atteint la quarantaine. Le train-train quotidien les a contraints à se disperser. Néanmoins, ils ont laissé leur empreinte sur la scène musicale. Ils ont craché la vérité sans retenue. Ils ont lutté afin que les compatriotes puissent jouir de leur liberté. Ils ont éclairé les petits frères dans l’intention de leur montrer le chemin…
Iss Heridiny




