
Elle avait 14 ans, il en avait 18. Un viol, une grossesse, un avortement forcé. Aujourd’hui, c’est elle qui est poursuivie. Enquête sur un système judiciaire qui retourne la violence contre ses victimes.
Le drame de Fanantenana (prénom d’emprunt) est sur toutes les lèvres depuis son passage sur une chaîne de télévision privée et largement partagé sur les réseaux sociaux. Selon son récit, le 25 mars 2025 dans les ruelles d’Andravoahangy, alors qu’elle rentrait de l’école, l’adolescente de 14 ans a été entraînée par la ruse vers la maison d’un de ses copains, un jeune homme de 18 ans. Ce qui a suivi est une brutale agression sexuelle, commise dans le silence d’une maison déserte.
Les faits
Son calvaire ne s’est pas arrêté au jour du viol. Durant un mois, la jeune fille s’est murée dans le silence, terrorisée. Lorsqu’elle finit par confier ses doutes sur l’absence de ses règles à son agresseur, celui-ci utilise la manipulation : « Si tu refais l’amour avec moi, tes règles reviendront ». Un second viol, sous prétexte de « remède », qui aggrave son état.
Lorsqu’elle tombe enceinte, le jeune homme lui impose dix pilules abortives. Le processus tourne au drame médical : fièvre, hémorragies massives, nausées. Fanantenana finit aux urgences, entre la vie et la mort, victime d’une fausse couche provoquée dans des conditions atroces.

Ses parents, alertés par son état, découvrent l’horreur. « En juillet 2025, ils portent plainte contre le jeune homme pour viols répétés », confie l’avocat de la famille à la station télé. Mais l’enquête patine. Des mois passent sans avancée tangible. Et puis, coup de théâtre : les parents du violeur contre-attaquent. Plainte contre Fanantenana pour avortement illégal, impliquant même une sage-femme qui aurait « aidé » la jeune fille. La victime devient accusée. À 14 ans, elle se retrouve piégée dans un labyrinthe judiciaire où les rôles s’inversent. « Dans une affaire comme celle-ci, toute personne a le droit de porter plainte et de rapporter sa version des faits comme elle l’entend », explique un responsable au sein de la PMPM. « Cependant, il revient à l’enquêteur de mener à bien l’investigation méthodique et impartiale pour la manifestation de la vérité, et surtout, d’assurer une bonne procédure. »
Quelques chiffres
Le cas de Fanantenana n’est pas isolé. Les cas de violences sexuelles sur mineures explosent dans la Grande Ile. Un rapport de l’UNICEF, publié en 2024, annonce que 11,5 % des filles et femmes âgées de 15 à 19 ans ont subi une forme de violence sexuelle. Le service central de police des mœurs et de la protection des mineurs (PMPM), quant à eux, avance des chiffres ahurissants : 692 cas ont été traités en 2023, dont 325 cas de détournement de mineures et 293 viols. En 2024, ce chiffre a chuté à 357, avec 223 viols signalés, suggérant peut-être un effet dissuasif de la nouvelle loi, mais aussi une sous-déclaration persistante. En effet, en 2024, le Parlement a adopté une loi controversée autorisant la castration chimique ou chirurgicale des violeurs d’enfants, une mesure draconienne saluée par certains comme un rempart, mais critiquée pour son caractère répressif sans prévention réelle. Appliquée dès 2025, elle a déjà conduit à des condamnations historiques, comme celle de Da-willy, le violeur d’une enfant de 6 ans, condamné à la perpétuité et à la castration chirurgicale en juillet dernier.
Pour l’avortement, il représente la deuxième cause de mortalité maternelle, derrière les hémorragies post-partum. Et la pratique est fortement réprimée par la loi, en l’occurrence par l’article 317 du Code pénal, chez nous. Selon des estimations de Marie Stopes International, trois femmes meurent chaque jour des suites d’un avortement spontané ou provoqué, un chiffre glaçant qui n’a pas faibli. Les grossesses précoces touchent environ une adolescente sur trois avant 18 ans, avec un taux particulièrement élevé dans les zones rurales et touristiques.

Voix féminine
Nous avons rencontré Tselany Déborah, une juriste spécialisée en droits humains et leader féminine : Présidente de l’association Facha (Femme Antesaka pour le changement). Elle nous a fait part de son avis sur cette plaie qui ronge notre société. « Le viol sur un enfant est un crime gravissime, réprimé sévèrement par notre Code pénal », martèle-t-elle d’une voix ferme, mais empreinte de compassion. « Comme il s’agit d’une infraction contre les mœurs impliquant une victime qui est toute jeune, en tant qu’Association œuvrant contre les violences faites aux femmes, nous préconisons une prise en charge complète de la victime conformément aux textes en vigueur. Mais nous ne nous immisçons pas dans les rouages de la justice ; nous lui faisons confiance. » Sur l’avortement, elle tempère : « La problématique sur ce phénomène social, c’est que plusieurs femmes/familles ont recours à cette pratique pour des raisons X ou Y ( légitime ou pas). Mais comme c’est interdit, l’avortement est pratiqué dans la clandestinité exposant la femme à des dangers parfois fatal ou, dont les conséquences sont irreversibles. Pour l’heure, l’Association FACHA ne se prononce pas encore sur sa position. Mais ce qu’on peut dire, c’est que si l’Etat veut garder l’interdiction, il faudra des mesures d’accompagnement en termes de planning familial, d’éducation sexuelle et de sensibilisation. Et si l’Etat se sent dépassé par les évènements, il faudrait peut-être accepter une ouverture en légiférant sur l’ITG (interruption therapeutique de la grossesse) ou un arrêt médicalisé de la grossesse (AMG), seulement pour des motifs thérapeutiques ou pour des cas de viol». Et face aux deux plaintes croisées ? « Nous réitérons notre volonté de faire confiance à la Justice. Mais n’oublions pas : un enfant est impliqué. Les lois spécifiques applicables aux enfants devront être appliquées. »
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Chez nous, où la pauvreté ronge plus de 75 % de la population, les grossesses précoces, l’avortement, menacent l’avenir d’une génération entière. Et ces drames se multiplient. Il est temps que chacun prenne sa part de responsabilités. Renforcement des centres d’écoute, formation des différentes entités (juges, policiers, etc) aux traumatismes des mineurs, et surtout, l’éducation : que ce soit à l’école ou à la maison. Car derrière chaque statistique, il y a une vie volée qui mérite plus qu’un dossier poussiéreux.
Mickael Rasamoelina



