
Après la célébration du 55e anniversaire de l’Indépendance, chacun de nous ne peut s’empêcher de se poser la question sur ce qui a été accompli durant ces longues années. Au vu des conditions dans lesquelles vit la population, l’économiste Pr Hery Ramiarison a l’impression que rien de sérieux n’a été réalisé pour développer le pays. D’après lui, beaucoup de gens pensent même que les dirigeants trahissent le peuple en pillant les richesses nationales et en emprisonnant la population dans la pauvreté.
Bilan économique. En effet, selon cet universitaire économiste, personne ne conteste le fait qu’on vivait mieux dans les années soixante. Cette période, bien qu’elle soit qualifiée de néocoloniale, est une période de forte croissance économique génératrice d’externalités positives bénéficiant l’ensemble de la population. Un individu vivant sous la première République gagnait deux fois plus que chacun d’entre nous aujourd’hui. Le défi majeur du gouvernement de l’époque était le développement, étant donné que l’économie était au mieux de sa forme (beaucoup mieux qu’ont été les pays d’Asie qui sont aujourd’hui devenus des pays émergents), et qu’en plus le pays disposait d’énormes potentialités économiques qui n’attendaient qu’à être exploitées. Pour relever ce défi, le gouvernement s’est doté de son premier plan national de développement conçu en loi et promulgué en 1964. Le Pr Hery Ramiarison remarque en passant que la discipline, le civisme, le respect de la valeur républicaine et de l’éthique dans l’administration publique ont marqué cette époque. Le pays a mis en place de bonnes institutions garantes de la bonne gouvernance et du développement économique.
Malheureusement d’après lui, la lutte populaire de 1972 a mis fin à cet élan, et aucun des régimes qui se sont succédé n’a réussi à remettre l’économie sur le sentier de la croissance. Par conséquent, la population s’est trouvée petit à petit piégée dans des cercles vicieux de la pauvreté. Ainsi, depuis les quarante dernières années, le défi n’est plus le développement mais est devenu la survie. C’est la fameuse lutte pour la réduction de la pauvreté qui constitue désormais l’objectif ultime dans la vision de développement des régimes successifs.
Midi: Quels sont ces cercles vicieux de la pauvreté et comment se manifestent-ils ?
Pr. H.Ramiarison : Les cercles vicieux de la pauvreté sont de deux sortes. Il y a le cercle vicieux principal de faible croissance économique (et donc une faible productivité), entraînant un faible revenu et une faible consommation (pauvreté) qui, à son tour, réduit le niveau d’épargne et donc de l’investissement, affaiblissant davantage la croissance. A côté, il y a les cercles vicieux secondaires qui interagissent avec le principal. Il s’agit, par exemple, du cercle vicieux d’instabilité politique qui décourage l’investissement, et donc la croissance dont le faible revenu, qui en résulte, pousse la population dans le fossé abyssal de la pauvreté, générant ainsi des conflits sociaux qui viennent par la suite aggraver l’instabilité politique. Il y a également le cercle vicieux de faible capital humain et de la pauvreté. Pour s’échapper du piège de la pauvreté, il est impératif de briser en premier lieu le cercle vicieux principal en s’attaquant aux causes sous-jacentes, c’est-à-dire les facteurs déterminants de la croissance économique. C’est ce que les régimes successifs n’ont jamais réussi à faire.
Vietnam. En effet, cela fait quarante-cinq ans que la population vit dans la misère totale, et toutes les tentatives pour briser ces cercles vicieux ont toutes échoué, le taux de pauvreté s’élève à 92 % actuellement. C’est une situation honteuse et inacceptable, surtout pour l’économiste que je suis. En effet, bon nombre de pays asiatiques qui ont été moins performants que nous sur le plan économique il y a une trentaine d’années, et dont la plupart manquaient cruellement des ressources naturelles, ont réussi à briser ces cercles vicieux en si peu de temps et se hissent maintenant au rang des pays à revenu intermédiaire. C’est l’exemple du Vietnam dont le revenu moyen par habitant passait de 100 $ à la fin des années 90 à 1 960 $ en 2013 ; et dont le taux de pauvreté a connu une baisse considérable de 58,1 % en 1993 à 14,5 % en 2008. Ce pays n’est plus au stade de la croissance tirée par l’accumulation des facteurs (factor-drivengrowth), et est en train de réussir sa transition vers une nouvelle étape où la croissance est tirée par l’efficience (efficiency-drivengrowth). (A suivre dans une prochaine édition).
Recueillis par Z.R