Dans son bilan économique (voir notre édition d’hier) de ces 55 années d’Indépendance, le Pr Hery Ramiarison pense dans cette deuxième partie que les régimes successifs n’ont jamais réussi à briser le cercle vicieux principal en s’attaquant aux causes sous-jacentes, c’est-à-dire les facteurs déterminants de la croissance économique. Le net recul est là « Du défi de Développement au défi de Survie ».
Midi: Les tentatives pour briser les cercles vicieux de la pauvreté ont apparemment échoué. Quelle est la cause principale ?
Pr H. Ramiarison : A mon humble avis, la raison principale de nos échecs réside dans notre choix politique qui ciblait prioritairement les cercles secondaires. Par conséquent, très peu d’attention, sinon aucune n’a été accordée au cercle principal. Ce mauvais choix découle de notre vision habituelle du développement qui se fixe comme objectif ultime « la réduction de la pauvreté et l’atteinte des OMD», qui amènent le gouvernement à agir en priorité sur les symptômes, plutôt que sur les causes sous-jacentes du sous-développement ; et dont les acteurs principaux sont les pauvres eux-mêmes. Dans ce cas de figure, on peut arriver à des résultats positifs à court terme, mais ceux-ci risquent de disparaître quelque temps après, car le cercle principal demeure intact avec le goulot d’étranglement des investissements. Ces derniers temps il y a une forte tendance à croire que les crises politiques, souvent qualifiées de cycliques, sont à l’origine de nos échecs économiques et de lutte contre la pauvreté (c’est le cercle vicieux de l’instabilité politique susmentionné). Mais en réalité, c’est plutôt les résultats économiques décevants qui produisent les conflits sociaux qui se transforment très vite en crise politique, renforçant davantage les cercles vicieux de la pauvreté. Certes, les activités économiques se résument essentiellement à la chasse aux rentes de situation car le climat des affaires ne permet pas l’essor des activités directement productives, source de croissance et de prospérité économique.
Midi : Si les régimes successifs ont appliqué de mauvaises politiques économiques, y a-t-il des solutions possibles pour ne pas refaire les mêmes erreurs que par le passé ?
Pr H. Ramiarison : Le régime de Didier Ratsiraka, par exemple, s’est illustré par 16 années de stabilité politique à travers le Front National pour la Défense de la Révolution (FNDR), mais il n’a pas réussi à briser le cercle vicieux principal pour diverses raisons. La pauvreté, qui en résultait, était source de troubles sociaux, entraînant la crise politique de 1991 qui ne faisait qu’appauvrir davantage la population. Sous Ravalomanana, les priorités ont été les OMD, et grâce au soutien des bailleurs de fonds, le pays réussissait à améliorer considérablement son Indice de Développement Humain (IDH) en 2008. Mais cela n’empêchait pas l’explosion sociale et la crise politique qui s’ensuivait quelques mois plus tard. Le régime transitoire, quant à lui, priorisait la résolution de la crise politique sans pour autant aboutir à des résultats concrets, étant donné qu’aucun effort n’a été fait pour briser le cercle principal. Et nous connaissons tous les résultats économiques de cette période. La crise politique est souvent motivée par une lutte pour l’appropriation des rentes ; et sa résolution consiste donc essentiellement à redistribuer ces rentes (portefeuilles ministérielles, marchés publics, etc.) parmi les protagonistes. Ce qui est loin d’être une solution pérenne et dont le risque de dégénération est élevé, surtout qu’il n’y a plus rien à distribuer en absence de croissance économique. Les régimes successifs, dans leur stratégie de lutte contre la pauvreté, ont donc tendance à agir sur ces cercles secondaires et accordent ainsi une faible importance aux véritables moteurs de la croissance économique et aux obstacles majeurs à la promotion des investissements. Leurs actions favorisent plutôt les activités de chasse aux rentes. Ce qui est encore malheureusement le cas aujourd’hui.
Midi : Comment expliquez-vous que la situation économique soit catastrophique et les institutions mauvaises ?
Pr H. Ramiarison : Les échecs cumulatifs font que la situation socioéconomique est devenue de plus en plus catastrophique tandis que le nouveau régime issu des élections doit en permanence faire face à des conflits sociaux et politiques. Comme ses prédécesseurs, le régime actuel semble plutôt plus préoccupé par la stabilité politique, et oublie l’essentiel qu’est la croissance économique inclusive. Il ne saisit pas la nécessité impérieuse d’agir en premier lieu sur les principaux déterminants des investissements productifs, c’est-à-dire les facteurs sous-jacents, permettant la création des richesses, une condition préalable à la réduction de la pauvreté. Le 5% de taux de croissance économique prévu dans la loi de finances 2015 ne sera donc pas atteint, étant donné l’absence d’une véritable stratégie de promotion des investissements productifs, le climat des affaires étant très défavorables ainsi que l’atteste notre mauvais classement dans le doingbusiness.org. On est maintenant au 163e rang sur 189 pays, soit une régression de 15 places par rapport à l’année dernière. Une faible croissance signifie une faible création d’emplois productifs, marginalisant ainsi une frange importante de la population active dont plus de 90% exercent actuellement des emplois informels très peu rémunérateurs. Leurs conditions de vie se détériorent et ils constituent naturellement un foyer important de tension sociale qui pourra exploser à tout moment. Ce qui oblige le gouvernement à adopter une approche au cas par cas dans la résolution des problèmes sociaux et économiques actuels, alors qu’une approche systémique est plutôt la meilleure pour casser le cercle vicieux de la pauvreté. Il y a de forte chance que les solutions proposées soient inefficaces. En outre, la qualité de nos institutions, minées par la corruption, ne cessent de se dégrader et inquiètent à plus haut point nos partenaires internationaux. Le pays est désormais classé état fragile dans la mesure où l’indice de qualité de ses institutions (CPIA index) est de 3 sur une échelle de 6. Les études récentes menées par le FMI sur la performance fiscale et l’effort fiscal dans plusieurs pays corroborent cette situation. En effet, selon le FMI, le taux de pression fiscale de Madagascar devrait se situer à 15% du PIB et non pas à 10% actuellement, et pourrait même être porté à 17%. Ce qui sous-entend une mauvaise gouvernance dans la gestion actuelle de nos finances publiques. Tout cela implique que des réformes économiques et structurelles doivent impérativement être entreprises tandis que la croissance économique inclusive doit devenir la priorité des priorités. A défaut de réformes, les promesses de financement ne se concrétiseront pas, envoyant ainsi un signal négatif aux investisseurs potentiels. (A suivre dans la prochaine édition)
Recueillis par Z.R