- Publicité -
vendredi, juillet 4, 2025
AccueilEconomiePr Hery Ramiarison : « Supprimer le MID serait une grave erreur...

Pr Hery Ramiarison : « Supprimer le MID serait une grave erreur »

Pr-HeryLe Pr Ramiarison n’est plus à présenter. Il fait partie de ces éminents économistes de l’Université d’Antananarivo très écoutés pour la pertinence de leur point de vue. Il nous livre cette fois-ci son avis sur le taux de change. Interview.   

Midi : Certaines personnes lancent l’idée de décréter l’appréciation de l’Ariary en supprimant le MID, qu’en pensez- vous ?  

Pr Ramiarison : L’Ariary n’a cessé de se déprécier ces dernières années mais sa dépréciation est devenue plus importante depuis le retour à l’ordre constitutionnel. En effet, en 2014, la monnaie malgache a perdu presque 10% de sa valeur par rapport à l’Euro et le Dollar. Au mois d’août 2015, elle s’est dépréciée de 17% par rapport au Dollar mais a gagné 2,5% de valeur face à l’Euro. Mais cette appréciation face à l’Euro ne signifie nullement une bonne santé de l’Ariary étant donné que l’Euro lui-même s’est considérablement déprécié et une grande partie de nos transactions internationales sont libellées en Dollar. En outre, le Dollar et l’Euro ont perdu respectivement 10,42% et 5,02% de leur valeur depuis le mois de janvier 2015. Dans une économie de marché régie par le libéralisme, cette dépréciation rapide et importante indique une mauvaise santé de l’économie malgache qui continue de se détériorer. Cependant elle n’en est pas la cause. Elle en est le résultat. Par conséquent, décréter l’appréciation de l’Ariary, comme certains le recommandent, dans le contexte actuel n’améliorera guère la situation économique. Au contraire, cela pourra l’aggraver davantage. Il faut plutôt s’attaquer aux causes sous-jacentes de notre faible performance économique.

Midi : D’après vous, que faut-il choisir comme taux de change pour les besoins de l’économie ?

Pr Ramiarison : Bien que le taux de change soit considéré comme l’un des indicateurs de performance économique, il est avant tout un instrument de politique économique, parmi tant d’autres, à la disposition des dirigeants afin d’atteindre des objectifs de croissance et de développement. En général, on a le choix entre un taux de change fixe ou un taux de change flottant. Certains pays adoptent des régimes intermédiaires entre ces deux extrêmes. En tant qu’instrument, il doit être utilisé à bon escient et dans un contexte précis avec des objectifs précis. Son utilisation ne peut pas être généralisée et son efficacité est conditionnée par des conditions qui prévalent dans le temps et dans l’espace. Ceci dit, si le régime de change fixe peut fonctionner dans un pays, il ne le pourra pas forcément dans un autre. Il en est de même pour les autres régimes de change.

Midi : Dans notre pays, on a déjà mis en œuvre les deux, mais quel enseignement avez-vous tiré de ces expériences ?

Pr Ramiarison : A Madagascar, après de longues années de régime de change fixe et de « flottement dirigé », on était obligé d’adopter le régime de flottement libre en 1994, en espérant que celui-ci éliminerait la surévaluation du FMG – première cause de la pénurie de devise et des marchandises, du contrôle de change et de l’essor du marché parallèle où les cours du FF étaient 50% plus élevés que le taux officiel – , permettrait de donner les bons signaux nécessaires à la redynamisation des activités économiques , d’améliorer la compétitivité et d’atteindre une meilleure performance économique. La détermination du taux de change se faisait alors sur le Marché Interbancaire de Devises (MID), devenu MID continu depuis 2004. Le flottement et le MID rentrent donc dans le cadre du libéralisme économique (réclamé par les bailleurs) qui visait en premier lieu la stabilité macroéconomique pour un bon fonctionnement du marché incitant les investissements et garantissant ainsi une croissance forte. Vingt ans après, aucune amélioration majeure n’est réalisée sur le plan économique. La croissance est restée faible tandis que le taux de pauvreté n’a cessé de croître pour atteindre 92% actuellement. Peut-on alors attribuer cette situation au flottement et au MID ? La réponse à cette question est la même qu’à une autre question : Peut-on attribuer aux régimes de change fixe et de « flottement dirigé » l’échec économique des années 1980 ? A l’époque, on croyait que c’était le cas et on a adopté le flottement tout en espérant que le pays se développerait. Mais quel en est le résultat ? Aujourd’hui encore, certains pensent que le flottement et le MID sont à l’origine de notre faible performance économique et de la pauvreté ; et donc il faut revenir au système de parité fixe. A mon avis, le régime de change est un instrument qu’il faut utiliser seulement quand les conditions de son efficacité sont remplies. Ce sera donc une grave erreur de penser que le retour à la parité fixe, la suppression du MID et l’appréciation de l’Ariary à 100% résoudront nos problèmes dans un court délai, comme certains le prétendent. Les cauchemars des années 80 et 90 reviendront dans ce cas en force.

Midi : Que faut-il faire alors?

Pr Ramiarison : Il n’y a pas de solution miracle ! Les dirigeants ont à leur disposition un éventail d’instruments de politique économique (le taux de change, le taux d’intérêt, la fiscalité, le budget, la monnaie, etc….). Mais avant de faire le choix entre les instruments à utiliser et à combiner, il faut définir clairement notre vision de développement, les objectifs à atteindre et surtout les stratégies à adopter. Ce n’est qu’après qu’on choisira les instruments appropriés. En d’autres termes il faut un plan de développement (quinquennal) qu’on doit mettre en œuvre en utilisant les instruments appropriés. C’est ce qu’ont fait les tigres de l’Asie. A titre d’exemple, la Corée du sud dans les années 70 ne s’est pas fixée sur tel ou tel régime de change à appliquer car les conditions ne lui permettaient pas à l’époque d’utiliser l’un d’entre eux pour atteindre ses objectifs de croissance et de compétitivité. La Corée avait besoin de produire à moindre coût et d’exporter plus en même temps. Alors, elle a choisi d’appliquer ce qu’on appelle « les taux de change multiples » selon les besoins des secteurs d’activité priorisés. Leurs besoins ont été clairement identifiés à travers les plans de développement. Ces plans ont su mettre en exergue les priorités, les objectifs et stratégies clairs. Malheureusement, cela n’a jamais été le cas pour Madagascar, surtout durant ces trente dernières années. On s’est seulement fixé des objectifs de stabilité macroéconomique et de libéralisme en croyant à la magie de « la main invisible » alors que notre marché est caractérisé par des imperfections qui nécessitent une correction dans l’immédiat. Actuellement, le fait de se rendre compte de la nécessité d’un Plan National de Développement (PND) est déjà une bonne idée. Mais il nous faut un PND réaliste qui permet de corriger les échecs du marché, surtout ceux des marchés financiers et de change. Dans le PND actuel, tout est prioritaire, ce qui veut dire en fait que rien n’est prioritaire. On ne peut pas tout faire en si peu de temps. Ne serait-ce qu’au niveau de ses coûts, le PND actuel est irréaliste : 14 milliards de Dollars pour cinq ans, soit à peu près 3 milliards de $ par an. C’est largement au-dessus de notre capacité d’absorption. Même si on arrive à trouver la totalité de son financement, le risque de gaspillage et d’inefficience est très élevé. A mon avis, il faut à tout prix réviser le PND et y prioriser seulement trois secteurs, à savoir le tourisme, l’agrobusiness et la confection. C’est à partir d’un tel PND réaliste qu’on décidera du régime de change approprié, de la suppression ou non du MID, de la réévaluation ou la dévaluation de l’Ariary, du régime fiscal adéquat, du budget, etc… En d’autres termes, du choix des instruments.

Recueillis par Z.R

Suivez nous
409,418FansJ'aime
10,821SuiveursSuivre
1,620AbonnésS'abonner
Articles qui pourraient vous intéresser

29 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici