
Le Conseil d’Administration du Fonds Monétaire International (FMI) n’aura aucune raison de refuser le Programme économique de Madagascar, si le Gouvernement réussit à mettre en œuvre les mesures préalables, selon Patrick A. Imam, représentant résident de l’institution à Madagascar. Interview.
Midi Madagasikara (MM). Quelle est la situation réelle du réengagement du FMI envers Madagascar ?
Patrick Imam. Deux engagements de Facilité rapide de crédit (FRC) ont été effectifs depuis la fin de la Transition. Cet instrument inventé en 2004 est dédié aux pays qui doivent se focaliser sur l’immédiat, comme sauver des vies, construire rapidement des routes, etc. La première FRC pour Madagascar a été accordée en juillet 2014. Comme les réformes n’ont pas encore été effectives, nous avons proposé une deuxième FRC, approuvée en novembre 2015. En parallèle à cette dernière, il y avait le Programme de référence qui mettait clairement des débuts de réformes. On peut citer l’amélioration des recettes, de la qualité des dépenses, la révision des prix à la pompe de carburants et des tarifs de la Jirama. Ce sont des petites réformes qui allaient dans la bonne direction, mais n’étaient pas en profondeur. L’idée c’était de créer un palmarès de réformes. Le Gouvernement devait démontrer qu’il est capable de mener des réformes sur une période de six à huit mois, en continu. Cela est chose faite, entre septembre 2015 et mars 2016. On a pu affirmer au Conseil d’Administration du FMI qu’on a en face un Gouvernement qui a la capacité et la volonté d’entreprendre des réformes en profondeur. Entre mars 2016 et la mission récente du FMI à Madagascar, on a négocié pendant trois mois de manière continuelle sur les réformes à entreprendre dans les 12, voire les 36 mois à venir.
MM. Selon vous, le Programme économique est-il bien solide pour être approuvé ?
Patrick Imam. Il y a les mesures préalables à réaliser et l’assurance des financements pour l’année courante. Madagascar a encore un petit gap à fermer dans son budget. Il y a trois manières pour le faire. D’abord c’est d’augmenter les recettes, mais nous pensons que ce que le Gouvernement fait actuellement est déjà très ambitieux. On est peut-être sur la bonne voie, mais nous pensons que ce n’est peut-être pas la bonne manière de faire. La deuxième option c’est de réduire les dépenses, mais là non plus, nous ne pensons pas que ce soit la bonne manière de faire. Le Gouvernement fait déjà des efforts énormes pour contenir les dépenses, mais pour nous, il faudrait au contraire dépenser plus. La meilleure manière pour nous, c’est de demander à d’autres bailleurs de fermer ce gap. Le ministre des Finances a déjà cité la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale et l’Agence Française de Développent. En ce qui concerne les mesures préalables, il y a la réduction des subsides, la soumission à temps de la loi de finances rectificative et la transparence dans le marché public. Pour le cas de la Jirama, par exemple, un des engagements de l’Etat c’est de faire augmenter les tarifs. C’est un préalable. Ce sera fait avant l’examen du Conseil d’administration. Pour la Jirama, il y a le plan PAGOSE mené avec la Banque Mondiale. L’idée pour le FMI c’est que les subventions n’augmentent pas au-delà des 300 milliards d’Ariary, c’est-à-dire au-delà du niveau actuel ; et qu’il n’y ait pas de nouvelles surprises. Il faut arrêter l’hémorragie de la Jirama. Ces subventions doivent être réduites petit à petit pour arriver au point zéro, et utiliser les moyens épargnés dans ce cadre, pour l’éducation et la santé. C’est primordial pour nous.
MM. Si le programme économique est approuvé, y aura-t-il encore d’autres conditionnalités ?
Patrick Imam. Si tout est mis en œuvre et que les mesures préalables sont réalisées, le Programme économique sera soumis au Conseil d’Administration le 29 juillet. En principe, il n’y a aucune raison pour que le Conseil n’approuve pas le programme. Selon mon expérience, c’est presque une certitude que le Programme sera accepté. 48 heures après cet examen, Madagascar obtiendra entre 45 à 48 millions USD qui seront immédiatement décaissés à la Banque Centrale de Madagascar. Le Gouvernement s’est engagé à entreprendre plusieurs réformes entre 1er juillet et fin décembre 2016, notamment l’augmentation des recettes. Il y a d’autres engagements mais ces informations seront certainement rendues publiques en juillet par le Ministère des Finances. Il y a également l’amélioration de la qualité des dépenses, du climat des affaires, et la Gouvernance. Toutes les réformes dans le cadre du FEC concerneront ces quatre volets. Il n’y aura pas d’autres surprises.
MM. Les intérêts pour le remboursement de la FEC sera-t-il encore à taux zéro après 2016, la date limite indiquée jusqu’ici ?
Patrick Imam. Avec la FEC, le bénéficiaire ne paie rien pour les 5 premières années. Mais c’est ensuite à repayer entre la 5e et la 10e année, mais toujours avec un taux d’intérêt zéro. Cet instrument est conçu pour soutenir les pays fragiles et à bas revenu. Pour le cas de Madagascar, l’idée est de débloquer 310 millions USD en 7 tranches avec un premier décaissement de 45 millions USD, prévu en fin juillet ou début août. Ensuite les autres décaissements se feront tous les six mois avec la même somme de 45 millions USD, sous certaines conditions. En mois de juillet, le document va être public et il indiquera les différentes réformes que le Gouvernement doit entreprendre tous les six mois.
MM. Quels volets du PND (Plan national de développement) la FEC va-t-elle prioriser ?
Patrick Imam. En effet, la FEC se base sur le PND. Ce n’est pas un programme séparé. La FEC se base surtout sur les axes concernant la gouvernance, la macroéconomie et la croissance économique. Il faut préciser que le Programme économique est inspiré du PND et que nous opérationnalisons à travers la FEC. C’est le programme du Gouvernement et non du celui du FMI. Dans le passé, il y avait l’impression, et c’était peut-être le cas, que le FMI imposait des réformes au pays, mais là ce n’est pas le cas car il s’agit d’une initiative des dirigeants malgaches. Et le FMI les soutient dans cette démarche.
MM. A quelle évolution de coopération peut-on s’attendre après la FEC ?
Patrick Imam. Après celle-ci, les dirigeants peuvent demander à continuer avec une nouvelle FEC. Il y a beaucoup de pays qui ont réussi mais qui veulent poursuivre dans cette même voie avec le FMI car c’est une sorte de gage vis-à-vis des autres bailleurs de fonds et du secteur privé. Il y a des pays qui veulent faire des réformes. Bien qu’ils n’ont pas besoin d’appui financier, ils veulent le support opérationnel du FMI. Théoriquement on pourrait avoir un deuxième FEC, qui appuie de nouveau les réformes du Gouvernement. L’alternative, c’est que Madagascar devient un pays comme les autres, et on aura, dans ce cas, une consultation annuelle, appelé l’article 4, qui est à moyen terme. Et en même temps, on offre l’assistance technique régulière au Ministère des Finances et à la Banque Centrale. Dans ce cas, il n’y aura pas d’appui financier mais un appui sous forme de consultation annuelle et d’assistance technique régulière.
MM. Qu’espère le FMI de ces différentes réformes menées aujourd’hui par le Gouvernement malgache ?
Patrick Imam. Il n’y a pas de bâton magique. Ce sera une série de petites batailles qui, individuellement ne semble pas changer les choses d’une manière importante, mais d’une manière cumulative, auront des impacts substantiels pour le pays. L’année prochaine, le Malgache moyen commencera à voir que les choses changent. Les problèmes actuels sont enracinés depuis des décennies. Il faut beaucoup de temps pour les résoudre. Ces problèmes sont avant tout politiques et non techniques ou économiques. Il faut donc une stabilité politique qui permettrait une implémentation des réformes. Il appartient aux malgaches de le faire.
MM. Les dirigeants misent sur le partenariat public-privé (PPP). Avez-vous un indicateur pour déterminer l’efficience de cette stratégie ?
Patrick Imam. Le PPP peut être un bon moyen de s’en sortir. Mais ce n’est pas une solution miracle. On ne veut pas que les gains soient privatisés et les pertes mis sur le dos du Gouvernement. Il faut le structurer de manière efficiente là où les risques et bénéfices sont bien partagés.
MM. Et pour la privatisation ?
Patrick Imam. Le FMI n’est pas dogmatique. On n’est ni pour ni contre. Des cas indiquent qu’il y a des entreprises publiques qui réussissent et d’autres non. La question est liée au bon management. Pour Air Madagascar, des améliorations sont constatées, et on se demande pourquoi cela ne se produit pas avec la Jirama. Dans le monde, les compagnies aériennes font en général des alliances que ce soit formelles, informelles ou en actionnariat. Mais c’est à l’Etat Malgache de prendre sa décision. Le FMI ne veut pas s’exprimer là-dessus.
MM. Les autres bailleurs se réfèrent au FMI pour coopérer avec Madagascar. Quels sont vos critères pour affirmer que le pays mérite ou non des appuis ?
Patrick Imam. Certes, ce n’est pas que nous avons plus d’expertise que les autres, mais le FMI a certains critères qui sont implicitement ou explicitement les mêmes que ceux des autres bailleurs. Donc si le Gouvernement passe nos critères, il passe aussi ceux des autres et vice-versa. On est le « canary in a mine ». On n’a pas de critères fixes ou absolus, mais cela dépend du pays. Les solutions proposées sont basées sur les maux du pays. Il n’y a pas de copié collé. Madagascar est l’avant dernier en Afrique, en termes de recettes fiscales. Le taux de pression fiscale est aux environs de 10%, contre 13%, avant la Transition. Ce pays a aussi de faibles dépenses, à cause des faibles recettes. Et pourtant, l’Etat doit dépenser plus, mais aussi dépenser mieux. Il y a aussi la mauvaise gouvernance, le climat des affaires difficiles. Nous prenons tout cela en compte. La Transition a eu des impacts très négatifs sur les Institutions à Madagascar. C’est l’une des raisons des difficultés énormes d’aujourd’hui.
MM. Quelques mots pour conclure ?
Patrick Imam. Le FEC n’est pas un but en soi. Ce n’est pas le début de la fin. C’est la fin du début. Les grandes réformes en profondeurs vont commencer maintenant. Si sa préparation a duré deux ans, c’est que le Gouvernement a pris du temps pour avoir un programme opérationnel qui s’attaque en profondeur aux problèmes du pays. Souvent, les coûts des réformes se voient directement mais les bénéfices s’aperçoivent plus tard dans le futur. Il ne faut pas s’attendre à des miracles car la transformation va se faire en plusieurs années.
Recueillis par Antsa R.