Madagascar ne peut pas se passer de l’aide extérieure, selon Mamisoa Freddy Andriamalala, Economiste et Politologue, Professeur de Finances Publiques et de Politiques Publiques au Département Economie de l’Université d’Antananarivo. D’après lui, les 10,2 milliards USD de la Conférence des Bailleurs et des Investisseurs sont vraiment nécessaires pour promouvoir le développement. Interview.
Midi Madagascar (MM). Que pensez-vous de la capacité du régime à négocier avec les bailleurs et investisseurs. ?
Freddy Andriamalala (Freddy A). D’abord, c’est un grand succès pour le Président de la République et le Gouvernement, voire le peuple malgache d’avoir persuadé les bailleurs de fonds et les investisseurs internationaux ; et surtout d’avoir gagné leur confiance. Le Président de la République, lui-même en tant qu’économiste, connaît bel et bien le mécanisme de financement international et a donc mis à profit son habileté pour défendre l’intérêt de son pays.
MM : Croyez-vous en l’effectivité de la promesse de financement de 10,2 milliards de dollars ?
Freddy A. Par rapport au montant de l’Aide Publique au Développement (APD) reçue par Madagascar depuis le début de l’an 2000 ; la promesse de financement public pouvant atteindre 6,4 milliards de dollars pour une période de quatre ans est énorme.
A titre de rappel, l’APD est passée de 295,2 millions de dollars en 2002 (période de crise politique) à 605 millions de dollars en 2015 (dont aide multilatérale représentant près de 75% de l’APD) en passant de 850 millions de dollars en 2005, suite à l’effacement de la dette dans le cadre de l’Initiative des Pays Pauvres Très Endettés (IPPTE).
Le décaissement effectif de financement, surtout public se fait dans le cadre d’un processus souvent long et complexe. Les bailleurs fixent leurs directives et leurs propres modes de financement, bien souvent sans prendre en considération des besoins prioritaires exprimés par le gouvernement et la population. Ils accordent l’aide avec des conditions souvent difficiles à réunir. Ce sont des exigences qui sont devenues sources de pertes de temps et d’inefficacité.
Pour ce qui est des IDE, leur effectivité dépend du plan d’affaires de chaque investisseur et de l’environnement favorable à leur investissement dont leur sécurisation et leur viabilité.
MM. Comment faire pour accélérer le déblocage des fonds ?
Freddy A : Par rapport au contexte actuel et dans une perspective à court et à moyen termes, les bailleurs de fonds tant privés que publics et le Gouvernement malgache devraient prendre des mesures prioritaires pour rendre effective dans un meilleur délai la promesse de financement, à savoir :
– Les bailleurs de fonds devraient accélérer le décaissement de l’APD qu’ils accordent à Madagascar en diminuant les conditions exigées préalablement pour débloquer les fonds.
– L’afflux de l’APD et des Investissements Directs Etrangers (IDE) exigent un environnement favorable pour accroître leur efficience et efficacité. En effet, le gouvernement malgache devrait concrétiser d’une manière précise et drastique les mesures de gouvernance inscrites dans le Plan National de Développement(PND). Ces mesures vont permettre également d’accroître la motivation des opérateurs nationaux à allouer de manière optimale leur ressource dans des investissements productifs.
MM. Est-ce que le pays est toujours obligé de mendier auprès des bailleurs publics?
Freddy A. Ce n’est pas une question de mendicité. La recherche de financement international est plutôt basée sur un principe de complémentarité pour renforcer la dynamique interne du développement.
A Madagascar, comme vous le savez bien que l’épargne aussi bien publique que privée est très faible; elle ne permet pas d’assurer le besoin de financement en matière d’investissement à cause de la faiblesse du système productif. Les ressources internes mises à disposition de l’Etat sont conditionnées par la structure du système fiscal, qui reste toujours en déséquilibre, malgré les réformes en cours. En effet, depuis plusieurs années, les recettes douanières représentent en moyenne 50% des recettes fiscales totales. Environ 620 grandes entreprises paient près de 80% de recettes fiscales au niveau de la Direction Générale des Impôts (DGI). Environ 300 000 petits contribuables paient effectivement de l’impôt sur 4 000 000 agents économiques qui devraient être assujettis. A cela s’ajoute les fraudes fiscales et les activités informelles.
Le Projet de loi de finances pour 2017 qui vient d’être adopté fixe à 6 784 milliards d’Ariary (2 150 millions de dollars) le budget de l’Etat. Pour ce budget 2017, le Programme d’Investissement Public (PIP) sera financé par l’emprunt et la subvention extérieurs jusqu’à hauteur de 2 295 milliards d’Ariary (730 millions de dollars – soit près de 90% du montant total du PIP).
Au vu de ce contexte, les ressources domestiques ne permettent pas au Gouvernement de financer la tranche annuelle du PND. En d’autres termes ; le gouvernement ne peut pas financer avec ses propres moyens les grands programmes de développement, notamment les dépenses nécessaires pour financer les infrastructures économiques et sociales. Le gouvernement est ainsi contraint de recourir à l’emprunt extérieur pour financer son plan de développement. L’afflux de l’APD et des IDE va changer la structure du « diamant de l’espace budgétaire » du pays.
MM. Pour ce qui est des IDE, est-ce qu’ils apportent vraiment une croissance inclusive à Madagascar ?
Freddy A. Les IDE sont parmi les facteurs de la croissance. Ils permettent de produire des biens et services marchands, créent des emplois et accroissent le pouvoir d’achat de la population selon la demande effective.
L’histoire du développement montre que la croissance économique enregistrée par des pays émergents est propulsée en grande partie par les IDE. Par rapport aux benchmarks des certains pays, il faut créer un environnement propice aux IDE pour les attirer.
Il ne faut pas se contenter seulement des IDE européens. La diplomatie économique trouve actuellement sa place pour attirer plus de diversités en ce qui concerne l’origine géographique des investisseurs. Dans le contexte actuel, la Chine, devenue première puissance mondiale et grand réservoir des IDE, est un partenaire intéressant si l’Etat malgache a la capacité d’analyser et de communiquer à la population les coûts et les avantages qui en découlent. Parmi ces avantages, on peut citer la croissance propulsée par l’utilisation d’un plus grand nombre possible de mains d’œuvre.
MM. L’aide extérieure n’est-elle pas source d’endettement pouvant renforcer la pauvreté ?
Freddy A. En se référent aux motifs d’interventions passées des bailleurs de fonds dans l’économie des pays sous-ajustement structurel dont Madagascar, l’aide extérieure est source d’endettement et de pauvreté. A titre d’exemple, durant la deuxième République, l’endettement a été une des causes du renforcement et de l’intensification de la pauvreté à Madagascar. Les expériences dans plusieurs pays, surtout les pays très pauvres endettés montrent l’existence de lien causal entre dette et pauvreté (cycle infernal dette-pauvreté). La plupart de l’aide obtenue par Madagascar n’a pas été utilisée de manière efficiente et efficace. L’aide a été gaspillée. Résultats : faillite et vente à prix bradés des entreprises publiques. En effet, endettement et pauvreté s’enchaînaient.
MM. Quelle stratégie d’utilisation de financement international alors ?
Freddy A. La mise en œuvre effective d’une Politique nationale cohérente dans l’utilisation de l’aide extérieure et l’existence d’un cadre institutionnel pour la coordination de financement extérieur sont primordiales afin de s’assurer que les intérêts de la collectivité à tous les niveaux (nationale, régionale, communale, etc.) soient bien identifiés et respectés dans le cadre des politiques publiques.
Ainsi, le moment est venu pour repenser la gestion de financement international au développement si on veut sérieusement réduire la pauvreté dans notre pays. .
Mais il ne faut pas se contenter de recevoir une somme colossale de financement international. Le gouvernement devrait tenir compte de la stabilité institutionnelle et de la soutenabilité de la dette.
Côté négatif, les conditions des bailleurs de fonds étrangers érodent la souveraineté nationale, mais leurs apports sont nécessaires pour promouvoir le développement. L’aide extérieure est donc un mal nécessaire.
Recueillis par Antsa R.