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vendredi, décembre 27, 2024
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Amédée Andriamisa-Ramihone : « La diplomatie chirale, lien des nations désunies »

Le général Amédée Andriamisa-Ramihone, maître de conférences en science politique et diplomate de formation, issu des écoles française et américaine,  nous partage son point de vue, assez inédit et original, dans la mesure où il nous livre un nouveau concept de son cru : la diplomatie chirale. Cette dernière configure un nouvel ordre mondial, un système ago-antagoniste, d’après l’auteur. Entretien. 

Midi Madagasikara : Qu’est-ce que vous entendez par « diplomatie chirale » ? 

Amédée Andriamisa-Ramihone : À titre définitoire, la diplomatie est l’outil de mise en œuvre par excellence de la politique étrangère d’un État souverain, elle-même une des nombreuses politiques publiques au service de cet État. La diplomatie chirale est un néologisme conceptuel que nous avons inventé pour signifier une relation qui est dite chirale quand elle n’a pas recours à un axe de symétrie, mais plutôt à un plan dans son sens tridimensionnel. Par exemple, nos deux mains sont identiques par rapport à un axe de symétrie vertical en les posant côte à côte, mais elles ne le sont plus quand on les superpose l’une sur l’autre en terme de plan : elles diffèrent fondamentalement ! (les geeks se rappellent du masque, dans Photoshop, InDesign ou Illustrator…). Aucune diplomatie dans les Relations Internationales ne ressemble à une autre : elles diffèrent toutes les unes des autres ! Mitovy fa tsy sahala ! La diplomatie usitée par les États du monde ou les organisations internationales relève d’un homomorphisme imposé globalement par les Conventions de Vienne (1961 et 1963) dans l’ensemble, mais c’est le fond et le contenu qui constituent la différence : il n’y a plus d’isomorphisme ! C’est le principe de base de la diplomatie chirale !

M-M : Quid alors de la temporalité du Conseil de sécurité ?

A.A-R : Les évènements actuels qui se déroulent sous nos yeux trahissent cette situation martiale infirmant cette temporalité (révolue ou pas) du Conseil de sécurité. Un rappel historique de la fin de la GM II nous enseigne que le Conseil de sécurité « a la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale » (art.24, al.1). Les vainqueurs de 1945 disposant de moyens militaires nécessaires pour défendre l’ordre issu de la guerre voulaient également préserver leurs acquis. Fondamentalement, ils étaient alors les trois protagonistes des conférences de Téhéran (déc 1943), Yalta (fév. 1945) et Postdam (août 1945), à savoir (i) le Royaume-Uni qui n’a jamais plié devant l’Allemagne hitlérienne, (ii) l’Union soviétique avec son immensité territoriale et son climat rude, (iii) et enfin les États-Unis avec leur puissance financière et industrielle. À ce trio, la volonté des États-Unis a ajouté (iv) la Chine où l’armée japonaise s’est enlisée, ce qui leur fournissait alors un point d’appui stratégique en Asie, et enfin c’est « l’opiniâtreté de Churchill qui a imposé (v) la France à Roosevelt et Staline qui voient en cette dernière le vaincu de 1940 », dixit P. Moreau-Defarges. « Vae victis », « malheur aux vaincus » disaient les Romains après les Guerres puniques en vue de détruire Carthage (Carthago delenda est). Et avec un simple raisonnement par énantiodromie, cela signifie aussi « gloire aux vainqueurs ». Et les vainqueurs forment encore à ce jour ce qu’on appelle les permanents du Conseil de sécurité, ou « P5 ». Une hiérarchisation au sein du système-monde s’installe dès lors entre les États générant un système ago-antagoniste ! Et elle perdure malgré les velléités des autres États qui n’appréciaient pas cette subjectivité en posant la question de savoir « au nom de quel argument, plus de soixante ans après la guerre, les cinq vainqueurs garderaient-ils un statut particulier ? ». Plusieurs formules de révision du Conseil de sécurité ont été proposées et tentées, soit en augmentant le nombre des membres permanents, soit en adoptant la formule compliquée de Kofi Annan avec des membres semi-permanents, etc… Rien n’y fit ! Basiquement, la modification de la composition du Conseil de sécurité requiert une révision de la Charte des Nations Unies, selon l’article 108. Or cette révision nécessite, sinon exige, l’aval des deux-tiers des États membres de l’ONU, y compris les P5. Mission impossible ! D’ailleurs, pourquoi et comment concevoir qu’un membre permanent accepterait-il de se « saborder » ? Nous assistons là au premier ordre de la diplomatie chirale qui met en évidence cette inégalité formelle et institutionnelle (à tort ou à raison) entre les États-parties au système-monde !

M-M : Si ce n’est pas de plein gré, comment et quoi alors ?

A.A-R : Les membres permanents disposant alors chacun d’un droit de veto, cela les autorise à bloquer, voire stopper net, tout projet de décision du Conseil qui viendrait à leur déplaire. Ces P5 ne peuvent donc décider seuls car pour que le Conseil de sécurité décide, il faut que neuf des quinze membres (permanents + non permanents) adhèrent et soutiennent la décision, mais toujours est-il qu’ils peuvent bloquer le cas échéant !!! Le 22 février 2022, un membre permanent du Conseil de sécurité a envahi un État indépendant, au mépris de toute règle de droit ! Au-delà de tout affect pouvant biaiser analyse et réflexion, avec toute la neutralité axiologique requise, il appert que violation (material breach) a été constatée dans les faits, et cela nous interpelle, eu égard à la sécurité collective qui implique que la règle soit la même pour tous et que tous l’appliquent de la même manière (art. 51 de la Charte des Nations Unies). Mais que prévoit alors le Conseil de sécurité ? Aucun des 61 articles du Règlement intérieur provisoire du Conseil de sécurité (décembre 1982) ne fait mention des dispositions à prendre au cas où un État membre permanent vient à enfreindre la Charte. Pas plus qu’un membre non permanent ! Ce vide « juridique » ouvre la boîte de Pandore à toute exaction future … sans conséquence prédéterminée ! Et pourtant, le dernier vote de l’AG/ONU perçoit autrement la situation et reste éloquent dans la mesure où une condamnation de l’annexion a été plébiscitée par la plupart des États (band wagoning) au détriment d’un certain nombre de pays « underdog » ! L’on est en présence du deuxième ordre de diplomatie chirale, handicapant et ennuyant le système-monde qui reste perplexe dans sa bulle obsidionale !

M-M : Peut-on parler d’un nouvel ordre mondial qui fait son apparition ?

A.A-R : Qu’en pensent les « Next eleven » ? Et les IBAS, les CAIRNS (Canada, Australie, Argentine, Brésil…) ? Et la toute-puissance pontificale du Vatican ? (combien de divisions [dispose le Pape], questionnait Staline ?) Et aussi les P5 devenus P5+1 ou encore E3+3, càd UE3, France, Royaume Uni et Allemagne, avec 3 autres, États-Unis, Chine et Russie. Sans parler des autres « clubs » (tous les G, allant de G2 à G90) qui aimeraient revoir (à la hausse ou à la baisse) cette hiérarchisation monocritère d’il y a 60 ans, car subissant une castramétation intellectuelle doublée de la poliorcétique de pouvoir des puissants, des nantis, des riches, des permanents, etc…et aussi désireux de participer véritablement au système-monde selon des critères multiples de puissance (nucléaire, financière, industrielle, militaire, spatiale, économique, démographique, ressources minières, etc..) ! Et les récriminations et/ou gémissements continuent : pourquoi il devrait toujours y avoir cette dualité organisationnelle (des supérieurs et des inférieurs) et non une ochlocratie, utopique certes mais au moins égalitaire ? Cela semble ridicule et inepte, diront-ils, mais au moins cela a le mérite de tout remettre à plat…Le système-monde est un système dynamique non linéaire engendrant un système chaordique, au-delà de tout déterminisme, sachant que le chaos qui n’est pas du tout un désordre, mais de l’ordre dont on n’a pas encore trouvé le code !

Recueillis par Rija R.

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