
Quand on parle d’Analalava, certains pensent à un endroit arriéré, loin de la modernité. Un village oublié où les vieux retraités prennent leurs vacances. Alors que, pendant la colonisation cette ville avait un rôle très important surtout dans le domaine de l’éducation. Ainsi, nombreuses familles issues de la classe modeste ont trouvé leur ascension sociale grâce à l’implantation de l’école régionale dans cette contrée.
Selon l’historien, Gabin Tsilavinjara ,spécialiste de la région « grâce au système de mérite appliqué à l’Ecole régionale d’Analalava, bon nombre d’élites profrançais émergent, issus des familles modestes à partir des années 1930. Dans les années 1950, l’amélioration du système scolaire devient une priorité de l’administration coloniale grâce à la revendication des élites loyalistes du PADESM et celles des nationalistes du MDRM. Alors, une grande réforme éducative est lancée en 1951 pour y parvenir. A la fin du régime colonial, l’Ecole régionale d’Analalava perd son statut après avoir formé des personnalités politiques de la Première République malgache, membres du PSD»

L’Ecole régionale d’Analalava (1905-1958): une école de second degré. L’une des priorités de l’administration coloniale a été l’installation d’écoles officielles dans tout Madagascar. Ce projet doit répondre aux contextes géographiques et historiques de la colonie. « La mise en place d’Ecole régionale d’Analalava constitue un moyen d’accélérer la formation d’élites régionales et d’avoir des intellectuels capables de collaborer avec l’administration française » a expliqué l’historien Gabin Tsilavinjara.
En 1905, la ville d’Analalava devient un chef-lieu de province. L’école professionnelle créée en 1897, se transforme en Ecole régionale à partir de 1900. Cette institution est une étape pour accéder au Le Myre de Vilers où le recrutement est sélectif. Par voie de concours, une minorité d’élèves peut y accéder. Elle dispose de différentes sections dont toutes catégories sociales ont une chance d’être les élèves.
Après l’obtention du Certificat d’Etudes du Premier Degré, les élèves primaires passent le concours d’entrée à l’Ecole régionale d’Analalava. En effet, l’enseignement officiel est basé sur trois principes : d’abord pratique et professionnel destinés à satisfaire les besoins de la colonisation, ensuite, un enseignement laïc appelé à concurrencer l’enseignement confessionnel, enfin, un enseignement obligatoire. En principe, l’enseignement secondaire se divise en deux grandes sections à savoir l’enseignement général et professionnel. Le premier contient la sous-section normale et administrative. La sous-section normale forme les instituteurs et les institutrices (écoles officielles), tandis que la deuxième sous-section assure la formation des fonctionnaires comme les chefs de canton, les écrivains-interprètes, les secrétaires d’administration et les cadres spéciaux de l’administration. En ce qui concerne la section professionnelle, elle comprend aussi deux sous sections (agricole et industrielle). D’une part, la sous-section agricole forme les « contremaîtres agricoles » dont les fonctions principales consistent à prendre en charge l’encadrement des ouvriers agricoles. D’autre part, ce sont des hommes de terrain, ils travaillent dans les campagnes. Quant à la sous-section industrielle, elle forme les techniciens industriels focalisant son domaine sur le travail manuel comme l’artisanat, l’ouvrage bois, la mécanique, la machine.
Par ailleurs, la section professionnelle incarne une action basée sur la pratique tandis que l’enseignement général sur l’abstraction et la théorie. En outre, il existe dans cette section professionnelle, l’école ménagère pour les filles où la durée d’étude est égale à celle des garçons
Par ailleurs, ces différentes sections montrent que les élèves ont des choix variés. Pourtant, la sociologie scolaire de la région explique que les parents d’élèves préfèrent que leurs enfants choisissent la section qui mène au fonctionnariat ou à la bureaucratie. C’est la raison pour laquelle la plupart des élèves entrent dans la section administrative et normale. En plus, l’existence de l’école de ce genre est une chance pour la région d’Analalava. Par contre, suivre la section professionnelle signifie le retour à la vie paysanne qui demande de la force physique. En d’autres termes, le retour au village sans diplôme est une honte pour la famille, car dans la campagne, les travaux de champs et la garde des troupeaux les attendent. Or, les élèves préfèrent la vie citadine, milieu fascinant pour apprendre et adopter un nouveau mode de vie. (Gabin A. Tsilavinjara)
L’administration a besoin de main-d’œuvre qualifiée pour mettre en valeur les concessions agricoles. Un témoignage de Rajiabo, ancien élève de l’école d’Analalava relève que « ceux qui n’obtiennent pas la moyenne requise de 12/20 sont contraints de suivre la section professionnelle, l’une des causes de l’abandon scolaire ». Face à cette situation l’Ecole régionale est réputée comme être une formatrice d’élites politiques, collaborateurs de l’administration.
L’Ecole régionale d’Analalava, une zone reculée. En réalité, cette école est créée dans le contexte historique et géographique des régions du Nord-ouest de Madagascar. Ces deux contextes jouent un rôle important dans l’implantation des écoles supérieures régionales au début de l’ère coloniale. Elle est fondée durant la période de « la pacification » de Joseph Simon Gallieni en 1901. La position géographique accorde une large faveur à la région d’Analalava. Dans son territoire, il existe des cours d’eau, qui sont presque navigables et des baies favorables à l’accostage. D’un côté, l’administration coloniale, faute des infrastructures routières, depuis son implantation, choisit les côtes pour faciliter les communications maritimes et fluviales. Analalava figure parmi les régions qui répondent à ces projets. Quatre grands fleuves parcourent la région d’Analalava, il s’agit de Maevarano, de Sofia, de Mangarahara, de Droa, de Loza, qui la relient avec la région d’Androna district de Mandritsara. L’éloignement des chefs-lieux de district par rapport aux cantons, favorisent les difficultés pour les parents des élèves, surtout durant les saisons de pluie. Cette situation provoque des frustrations de la part des « Sojabe » et des anciennes élites « tsimihety » qui demandent la création d’Ecole supérieure chez eux à Mandritsara en 1929. Or, l’administration n’est pas encore prête pour ce projet. Cet éloignement géographique exige des sacrifices de la part des « ray aman-dreny » et des enfants. Philibert Tsiranana révèle l’avidité et le zèle de ses parents sur sa scolarisation à Anjiamangirana dans l’ouvrage de Didier Galibert. C’est la raison pour laquelle le futur président de la Première République malgache évoque cette question scolaire dans ses discours dans les années 1950. Parfois, il accuse « l’administration de partialité du pouvoir colonial en faveur des Hautes Terres centrales. »
A la veille de l’indépendance de Madagascar, toutes les grandes institutions créées depuis l’époque de Gallieni perdent peu à peu leurs privilèges régionaux.
Propos recueilli par Iss Heridiny