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vendredi, juin 13, 2025
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Anja Rakotoarimanana : « Les chansons sont des productions artistiques mais aussi des productions sociales »

Historienne spécialiste en chanson à texte, Anja Rakotoarimanana explique l’histoire de la musique à travers les paroles engagées.  L’équipe de Midi Madagasikara a eu l’opportunité de discuter avec la jeune femme érudite.

Midi Madagasikara. Vous êtes historienne, spécialiste en « chansons à texte » depuis les années 1990. Cette époque était-elle une période charnière des artistes engagés ?

Anja Rakotoarimanana. Pour débuter cette interview, j’aimerai vous donner une citation de Lynskey « Une chanson à elle seule ne peut changer une loi ou renverser un régime, mais elle peut avoir une influence importante, même indirectement, sur des changements concrets ». Cela montre que la chanson occupe une place importante dans tous les domaines que ce soit culturel ou social et qu’elle affecte la masse populaire. Madagascar a trouvé, à travers des générations, l’évolution de la musique dans toutes ces couleurs.

Depuis l’Indépendance, la musique a évolué et le nombre des artistes a décuplé. On peut dire que les années 1990 ont été une période importante pour le monde musical car durant la deuxième République, l’État et son environnement ont monopolisé le pouvoir. Néanmoins, avec un vent de libéralisation, les artistes se sont engagés à dire fort ce qui n’allait pas et à dénoncer publiquement ce qui faisait mal au peuple. Cela a été constaté à travers les séries de « mondialisation » de Sareraka ou les promesses présidentielles non tenues à travers « Bemolanga » de Mahaleo répertorié parmi leurs chansons « Ny hira vokatry ny tany » soit les chansons du terroir. Sans oublier Ifanihy considéré comme le messie du « vazo miteny » (ou chanson à texte) dont les chansons sont de véritables petits scénarios qui racontent des tranches de vie pouvant nous interpeller, comme ce fut le cas pour « Lesabotsy ». Le terme « vazo miteny » a été évoqué pour la première fois à la Radio Nationaly Malagasy par Ifanihy. Toutes ces musiques ont décoré les années 1990 sans compter d’autres.

Les artistes osaient prendre des engagements à cette époque, ils ont osé dire tout haut ce que la société pensait tout bas. « Les chansons sont des productions artistiques mais aussi des productions sociales », selon Christian Delporte.

La première moitié des années 1990 a constitué un tournant dans la géopolitique en général et à Madagascar en particulier. Les jeunes qui ont vécu à cette période constituent-ils les générations conscientes ?

Anja Rakotoarimanana. Le vent de libéralisation et de démocratie qui circulait dans les années 1990 permet de poser un regard neuf sur l’avenir de la culture musicale. L’apparition d’un nouvel ordre économique, politique et social a insufflé à la culture musicale un vent de changement. Les mutations qui se produisent dans la société entraînent une modification du comportement des artistes en particulier envers leurs activités (selon Mireille-Mialy Rakotomalala ; Madagascar, la musique dans l’histoire).

Je pense que les jeunes qui ont vécu à cette période sont des générations non seulement conscientes, mais qui sont prêtes à prendre des risques et à s’engager dans l’espoir de contribuer au développement de la culture musicale.

Certains ont tendance à dire que la génération 2000 consomme la révolution de leurs aînés, êtes-vous de cet avis?

Anja Rakotoarimanana. En quoi est-ce mal que nos enfants s’épanouissent/dansent sur des conquêtes/victoires menées par leurs parents ?

Chaque génération a son propre combat. Nous avons connu la liberté de la culture musicale grâce à la révolution faite par nos aînés. Et cela a été fait pas à pas depuis l’Indépendance. La génération 2000 consomme la révolution de leurs aînés mais tout en construisant aussi leurs propres armures pour de nouvelles conquêtes.

Les chansons des années 1980-1990 sont souvent recyclées par la jeune génération, les “covers” dénaturent-ils l’originalité ?

Anja Rakotoarimanana. Madagascar a trouvé, à travers des générations, l’évolution de la musique dans toutes ces couleurs. N’oublions pas que la musique est rattachée à ce qui est tendance, ce qui est « en vogue », et cela est véhiculé à travers les médias. Si la génération d’aujourd’hui recycle les chansons des années 80-90, c’est parce que les médias ne les mettent pas en avant. Comment les jeunes peuvent-ils écouter et même connaître Sareraka si les médias ne les balancent pas ?

C’est pour cela que je pense que les “covers” n’enlèvent rien à l’originalité d’une chanson. C’est une autre manière de mettre simplement une pincée de piment pour améliorer le goût de la chanson, à condition que le “cover” soit réussi. L’origine est toujours là. Les éléments qui constituent une chanson sont la musique, le texte et l’interprétation. Souvent à travers le “cover”, elle touche l’interprétation et la musique. Donc, l’essentiel est là. Nous connaissons même des chansons qui sont devenues célèbres et admirées grâce aux “covers”. Alors, tant que le droit d’auteur est respecté, je trouve que le « cover » est une autre manière de revivre la chanson.

Pouvez-vous faire un regard croisé entre les textes des générations précédentes et celles d’aujourd’hui ?

D’après notre citation « samy manana ny hanitra ho azy », on ne peut pas comparer des textes dans des contextes différents. Les textes des chansons reflètent la réalité quotidienne, le ressenti et les besoins du peuple.

Là où il y a la guerre, les chansons peuvent évoquer la paix, la tristesse et la peur. Aujourd’hui, nous  en sommes à une période où le peuple est à la recherche de la foi, de quelque chose à quoi s’attacher car la pauvreté règne et devient profonde. Cela est reflété à travers les musiques évangéliques qui prennent de l’ampleur. Le peuple a soif de changement et cherche à croire en celui qui pourra soulager leurs peines, leurs famines et l’insécurité. N’oublions pas non plus le poids de la mondialisation/ de la modernisation.

Les textes engagés existent-ils de nos jours…?

Anja Rakotoarimanana. « Les chansons sont des productions artistiques mais aussi des productions sociales ». Ce qui montre que les inspirations des chanteurs dans leur chant proviennent de ce qu’ils voient dans la société. Donc, un texte peut être engagé si la situation le lui demande.

Mais prenons en compte tout d’abord le fait qu’un texte est dit “engagé” s’il défend un point de vue, ou fait valoir une position critique par rapport à la réalité du monde. Les textes évoluent selon le contexte et les besoins de la société. Par exemple, durant les années 70, qui ne connaissait pas le « aza misy miteniteny » qui évoquait l’exploitation des richesses de Madagascar par les grandes puissance ? Une époque où le vent de libéralisation et de démocratie qui a circulé dans les années 1990 a permis aux artistes, de poser un regard en quête de la liberté, dans la soif d’un changement de régime politique à l’époque. Prenons compte que « les mutations qui se produisent dans la société entraînent une modification du comportement des artistes en particulier envers leurs activités ».

Actuellement, le contexte est différent, nous sommes plus axés sur l’engagement social tel la dénonciation des violences basées sur le genre, souvent négligé mais présent et nous faisant mal. C’est le cas de la chanson de Shyn intitulée « Ampelany ».

Mais nous pouvons aussi voir à travers des chansons de Raboussa comme « Ohatran’lah ihany za » qui évoque le contraste existant dans la société. Et je pense que c’est le début d’une nouvelle conquête. Ce n’est pas parce que la thématique ou le secteur concerné change qu’on peut affirmer que les textes d’une chanson sont engagés ou non. C’est plus quand la chanson critique ou contredit un fait.

Propos recueillis par Iss Heridiny

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