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mercredi, mars 12, 2025
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Anjanamasina : Premier asile d’aliénés de l’empire colonial français

Une personne sur deux qui entre au 18 va y mourir, c’est un lieu d’une grande violence. 

« 18, dans les années 1910, était une institution modèle pour les colons. En 1912, il y a une rencontre en Tunis, en Tunisie, qui réunit l’ensemble des médecins aliénistes, donc des médecins psychiatres francophones et dans cette réunion, on fait de l’asile d’aliénés d’Anjanamasina le modèle qu’il faudrait dupliquer dans les autres colonies, ce ne sera pas le cas finalement ». Une description qui illustre l’importance de l’asile d’aliénés d’Anjanamasina durant la période coloniale. En effet, au mois de décembre 2024, Raphaël Gallien a soutenu sa thèse de doctorat qui a pour titre, Délire la situation coloniale. Une histoire sociale et politique de la folie sur les Hautes Terres de Madagascar (1863 – années 1950), et qui fera très prochainement l’objet d’un ouvrage. Elle explore la complexité des dynamiques coloniales à travers un prisme rarement  étudié : celui du délire. A partir d’une analyse minutieuse des archives de l’asile d’aliénés d’Anjanamasina à Madagascar – ouvert en 1912 et premier asile d’aliénés de l’empire colonial français -, la thèse interroge la manière dont des paroles jugées délirantes révèlent les tensions inhérentes à la société coloniale. 

La thèse fait du délire une clé de lecture permettant de décrypter les subjectivités, les inégalités  sociales et les recompositions politiques dans un contexte marqué par des phénomènes de résistance, d’adhésion, d’invention ou de détournement des hiérarchies sociales. Ainsi, plutôt que de réduire le délire à un simple symptôme psychiatrique, il s’agit de le considérer comme une forme d’expression à part entière, à la fois individuelle et collective, émergeant à l’aune des fractures historiques, sociales et culturelles provoquées par les bouleversements coloniaux. En tout cas, Raphaël Gallien, à travers les différentes parties de sa thèse, essaie de montrer les enjeux sociaux et politiques qui conduisent à l’installation du modèle asilaire occidental, la nécessité de comprendre pourquoi ces énoncés sont considérés comme délirants par les contemporains et de comprendre certains événements historiques immédiats dont font trace les délires.  

Un colon interné après avoir réclamé vouloir devenir gouverneur

Un Français qui, au début du XXème siècle, a été envoyé au 18 parce qu’il a laissé un certain nombre de lettres assez délirantes où il se met à se réclamer gouverneur ou chef d’entreprise, quelqu’un de très puissant. Il explique dans ses lettres qu’il envoie à tous les grands propriétaires de Nosy Be qu’il va mieux gérer la colonie. Il trouve qu’il y a trop d’injustice, que le racisme est trop présent et qu’il serait un meilleur gouverneur ou un meilleur patron.  « Pour toutes ces raisons, il est envoyé au 18. Dans cet endroit, la frontière est parfois mince entre ce qui est de la folie ou pas », a expliqué  Raphaël Gallien. Il laisse des lettres qui sont totalement décousues et qui partent dans tous les sens. « C’est quelqu’un qui est en souffrance psychologique », a-t-il expliqué, en indiquant que l’internement peut concerner des colons. « Les colons n’est pas un bloc homogène, il y a une hétérogénéité et que cela est quelque chose qui trouble l’ordre colonial parce que le colon il doit incarner l’ordre, la propreté et la raison et là on a quelqu’un un peu tout l’inverse, le désordre, l’errance, l’irrationalité », a-t-il soutenu.

Délire narcissique d’un jeune instituteur malgache

Un jeune instituteur qui est interné en 1928, c’est-à-dire quelqu’un qui a grandi sous la colonisation française car il a 30 ans. C’est un instituteur qui enseigne près d’Ambohidratrimo. Tout se passe bien pour lui jusqu’à un matin où à l’âge de 28 ans, il arrive avant tout le monde à l’école et il demande aux élèves, au directeur de l’école et à ses collègues qui arrivent après lui de s’agenouiller devant lui et de reconnaître son autorité. Ça dégénère pour lui et pour cette raison, pour délire narcissique et pour mégalomanie qu’il est envoyé au 18. Dans son internement, il va laisser une dizaine de lettres que lui, il intitule dissertation, où il essaie de montrer au médecin ses connaissances du français, du savoir médical français. Il associe des lettres, il essaie de décrédibiliser le savoir Betsileo par exemple, il essaie de décrédibiliser un certain nombre de mythes ou le rapport des ancêtres à la religion traditionnelle. C’est quelqu’un qui est pris entre deux héritages. Il a cru pendant la première partie de sa vie qu’il pourrait se hisser à la hauteur des Français en travaillant, devenant instituteur, en défendant d’une certaine manière les valeurs coloniales. Et puis, il écrit dans un certain nombre de ces lettres que finalement il n’a jamais eu « la dose de réconfort », il n’a jamais eu la reconnaissance attendue et donc il tombe dans la folie. Il va mourir au 18 en quelques mois parce qu’il est épuisé. Dans sa dernière lettre il a dit, « j’ai dépensé la totalité de ma force d’homme ». 

1947, une guerre psychologique 

« Quand je suis arrivé au 18 en 2019, le directeur de l’hôpital qui aujourd’hui est à la retraite, m’avait dit qu’il avait eu des alternés politiques au 18 sous la colonisation française », a souligné Raphaël Gallien, avant d’indiquer qu’aucun dossier ne fait état de l’existence de ce phénomène tout en voulant savoir si la psychiatrie avait servie à faire taire des gens comme ce qui était par exemple le cas dans d’autres pays.  « Ça ne veut pas dire que cela n’a pas existé. Ça veut dire que peut-être le discours médical invisibilise cette question politique », a poursuivi Raphaël Gallien.  En revanche, des dossiers des gens, même s’il est difficile de savoir quelles sont leurs implications sur 1947, existent. Au moment de l’insurrection de 1947, moment parmi les plus violents  et douloureux de l’histoire contemporaine du pays, le délire se fait le lieu d’expression de la terreur  profonde induite par la pression coloniale. La torture pratiquée par l’armée française s’y trouve directement nommée, le délire permettant de saisir la portée d’un conflit qui, au-delà des premières lignes de combats, constitue aussi une guerre psychologique à l’échelle d’un pays tout entier. Des gens ont été probablement torturés par les Français et la torture les a détruits psychologiquement et ils finissent à l’asile. Dès 1947 – 1948, des dossiers inscrivent qu’il est devenu fou parce qu’il a subi la torture des Français. « Il y a très peu de documents outre les documents classifiés militaires où la torture est formulée en tant que telle. C’est-à-dire, au sein de l’asile on avoue qu’on pratique la torture suite à des événements comme 1947 ». 

Dossier réalisé par Julien R.

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