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mardi, juillet 1, 2025
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Augustin Rakotoarison : « Il faut croire qu’il y aura  un « boom de famadihana » dans les années à venir »

« Actuellement , la famille éprouvée ne peut pas ni toucher, ni voir la dépouille. Voire même organiser les cérémonies funéraires susmentionnées. Donc nous confrontons à une sorte de déracinement culturel ». Augustin Rakotoarison.

Augustin RAKOTOARISON, 36 ans, a fait ses études en Histoire et en Anthropologie sociale et culturelle. A présent,  il  prépare sa  thèse de doctorat en sciences sociales à l’Université de Toliara. La préservation de la biodiversité, l’unité et la réconciliation  nationale sont ses principaux engagements. Il a également effectué  des recherches  anthropologiques  sur les migrations et la construction identitaire dans le contexte migratoire  chez les Mahafaly,  les Zafimaniry et chez les Sakalava Vazimba dans le Tsingy du Beanka à Maintirano.

La situation  actuelle n’a pas laissé indifférent cet anthropologue de terrain. Suite à la crise sanitaire.  Interviewé par l’équipe de MIDI Madagasikara, Augustin Rakotoarison a donné son opinion vis à vis de cette situation.

 

MIDI Madagasikara . Quelle est  la conception de la mort chez les Malagasy?

Augustin Rakotoarison. les Malagasy conçoivent la mort comme la disparition de l’ « aina »,  » aigny » , la vie. Quand quelqu’un agonise,  on dit « manary aina izy », » miala aina izy », littéralement ce terme évoque que la vie lui  a quitté ou qu’il est sur le point de prendre la vie. Après cette étape, on dit  qu’un tel est mort. Ensuite, la famille éprouvée   procède à la toilette funèbre et à l’annonce de la mauvaise nouvelle à la famille « havana » , aux amis « namana » et alliés.  Dans les systèmes de pensée des Malagasy, la mort est le contraire de la vie. Il y a toujours cette opposition binaire chez nous.

Pour les Malagasy, le mort « faty » ou le trépas est une source de malheur , de la ruine. Donc, les vivants ne peuvent pas cohabiter avec le mort.  Chez nous , la mort n’est pas une rupture, c’est une continuité vers le monde des ancêtres. Ce n’est pas que tout  mort peut y accéder.

 

MIDI Madagasikara . Quelle est l’importance du fasan-drazana? Peut-on mourir en paix sans être enterré dans le tombeau familial?

Augustin Rakotoarison. Pour les Malagasy, le fasan-drazana est inséparable avec le tanindrazana. Le fasan-drazana est un des éléments constitutifs du tanindrazana. Ici le tanindrazana englobe  les biens matériels qu’ immatériels légués par les ancêtres à leurs descendants. L’adage » velona iray trano, maty iray fasana » exprime les vœux les plus chers et le plus intime de tout un chacun d’être enterré ou inhumé dans le tombeau familial qui se trouve au tanindrazana. Le fasan-drazana tient une fonction de  rassembleur car tous les membres de la famille éparpillés à travers le territoire national  devraient un jour y être enterrés. Ainsi,  le châtiment le plus sévère et le plus cruel pour nous, c’est ce qu’on appelle «  very faty » c’est à dire, sa dépouille est portée disparue; par exemple la mort causée par un crash d’avion ou quelques choses de ce genre. Les Malagasy ont trouvé une solution pour les portés disparus en érigeant une pierre au tanindrazana.

 

MIDI Madagasikara. Actuellement,  les Malagasy traversent un moment difficile. Les morts ne sont pas enterrés dans leur  tombeau ancestral. Est- ce  que la famille du défunt  se  considère déracinée voire même  désacralisée?

Augustin Rakotoarison. Écoutez, actuellement, nous traversons un moment difficile. Nos ancêtres avaient aussi connu de périodes difficiles durant la peste en 1930. Dans cette situation exceptionnelle, il y a toujours de mesures exceptionnelles. Le pouvoir central a décrété  que le mort de Covid-19  ne peut pas être enterré dans le fasan- drazana. Les Malagasy se trouvent devant une situation très dangereuse et très difficile. Dangereuse parce que si on organise la veillée funèbre et rituelle qui devront  être effectuées, la famille éprouvée risque d’être contaminée. Cette dernière  ne digère pas et n’accepte pas dans leurs systèmes de pensée qu’un de ses membres ne peut pas être inhumé au tanindrazana avec les rituels qui vont avec. Si la dépouille ne peut être enterrée au tanindrazana , l’ accession au monde des ancêtres sera un enjeu. Pour pallier à tout cela, il faut que la société trouve une solution adéquate et acceptable.

 

 

MIDI Madagasikara. La situation des années 1930 est-elle  comparable à celle d’aujourd’hui?

Augustin Rakotoarison.  Oui , c’est pareille , car les parents ne pouvaient pas aussi enterrer les proches dans le fasan- drazana. Et pour éviter que le défunt ne soit pas inhumé dans le tombeau familial, les parents faisaient tout le moyen possible pour qu’on puisse avoir la dépouille. Soit ils soudoyaient les agents de l’administration, soit ils cachaient la dépouille. A cette époque, l’épidémie de peste devient politisée aux yeux des colonisés. Ces derniers pensaient que l’administration coloniale voulait contrôler tout, même la dépouille mortelle. Je pense que peut- être les colonisateurs ont déjà compris que pour ceux qui contrôlent les défunts , les ancêtres contrôlent aussi les vivants, comme le cas du contrôle des reliques royales dady.

Bref , la situation de la peste de 1930 est identique à celle que nous traversons actuellement. Même les recours aux soins sont  pareils. Nos ancêtres avaient recouru à la médecine traditionnelle. Nous utilisons les plantes médicinales d’une manière ou d’une autre en l’occurrence le ravintsara, le kininimpotsy en bain de vapeur (evoka). Le procédé de l’evoka fait partie de nos patrimoines immatériels médicinaux.

 

MIDI Madagasikara. Vue la circonstance actuelle, il y aura un boom de « famadihana » après quelques années?

Augustin Rakotoarison. Le famadihana est une cérémonie périodique. Mais le cycle est rompu par la situation d’urgence sanitaire décrétée par le pouvoir. Cette cérémonie est pluridimensionnelle, que ce soit sur le plan social, économique ou culturel. Sur le plan social, c’est l’occasion pour tous les membres d’un groupe de se reconnaître, de se familiariser. Sur le plan économique : le famadihana nécessite beaucoup de préparations budgétaires. C’est l’occasion pour les vivants de côtoyer les défunts d’une manière rituelle. Donc, si le famadihana est suspendu jusqu’à nouvel ordre, il faut croire qu’il y aura un boom dans les années à venir.

Propos recueillis par Iss Heridiny

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