Aventure : Deux jours et deux nuits sur la RN6 

Entre Maromandia-Befotaka, une dizaine de camions et une bonne quarantaine de Sprinter font une file. Devant se trouve une camionnette engloutie par un fossé boueux d’environ 1m75.  Une épreuve infernale par laquelle on doit passer. 

Samedi 24 février était un jour frustrant pour les conducteurs qui ont emprunté la RN6.

Prix de famine

Velo est l’un d’entre eux, chauffeur d’une  coopérative reliant Antsohihy-Ambanja, il débarque sur les lieux à 18 heures. Découragé, il soulage quand même ses passagers très inquiets. « Nous sommes obligés d’attendre notre tour… Après cette étape, il n’y aura aucun obstacle », dit-il pour détendre ses clients. Ceux-ci,  en écoutant le son du moteur de la camionnette ronflée pour se sortir de  la frange épaisse, préfèrent rester sur leurs sièges. 

À 21 heures, le temps n’était pas clément.  Une  pluie battante  a  enfoncé davantage les roues de la camionnette. Les mains des tireurs glissaient sur la corde.  Épuisés et énervés, ils désertent peu à peu les lieux. Les passagers-spectateurs, quant à eux, courent vers les petits stands installés au bord de la piste infernale. En effet, cette partie est réservée  à l’étalage des produits de commerce au micro-détail ainsi que les boissons alcoolisées. Les prix sont exorbitants. Le plat de riz coûte 6 000 Ar, les petits biscuits s’élèvent à 2 000 Ar, une petite bouteille de Coca vaut 4 000 Ar. Selon une vendeuse, cette foire en miniature a été initiée cinq jours avant. « Nous avons installé ces maisonnettes lundi. En fait, on fait ce genre d’activité durant la saison de pluies. Nous nous renseignons auprès des responsables des parcages, car ils sont très avisés. Une fois qu’il y a un embouteillage, nous débarquons avec notre matériel, installons par la suite des kiosques ». Alors, entre vendredi à 17 heures et samedi à 8 heures, un passager dépense environ de 25 000 ariary. Une somme qui, pourtant, lui aurait suffit de Diego à Tana si la route était praticable. Les transporteurs, de leur part, doivent rémunérer les tireurs. La force de ces  « sauveurs » vaut entre 5 000 et 20 000 Ar en fonction de l’effort qu’ils exercent. L’un d’entre eux explique, « si c’est un 4×4, deux ou trois  garçons peuvent le faire sortir du trou… Si c’est un Sprinter, alors il faut au moins six jeunes hommes costauds. Tandis que les camionneurs s’arrangent entre eux, souvent ils attendent que tous les véhicules passent ». Être tireurs est devenu un travail saisonnier dans la région Sofia. Les cultivateurs et les ouvriers s’y mettent pour gagner leur pain quotidien. Apparemment, la RN6 a spontanément créé de l’emploi pour les jeunes hommes robustes. 

Supplice

l’artère d’un pays. Elle permet la circulation des hommes et des marchandises. Les élèves en classe de CM1 connaissent par cœur cette leçon… La nationale 6 dément cette affirmation.  Les colis comestibles pourrissent,  les légumes sont couverts de moisissure. Tout est condamné à périr ! Georges Liva, un marchand  qui vient de démarrer sa modeste entreprise, était nerveux en regardant de temps en temps le coffre-arrière de son car. « J’ai apporté plus de 20 kilos de poissons d’Ambanja. Je vais les vendre à Tana. J’ai fait mes calculs, normalement ça devrait tenir jusqu’à 36 heures. Ça fait presque 7 heures que je suis là. Je suis perdu», confie t-il avec une voix désolée. 

La situation est plus encore plus inquiétante pour cette femme âgé de 62 ans. Victime d’accident vasculaire cérébral, sa fille aînée a décidé de  l’emmener  à Antananarivo. Malheureusement, elles sont obligées d’attendre. « J’ai réservé quatre places pour maman, pour qu’elle ait le minimum de confort. 1 200 kilomètres, c’est long. Normalement, nous devrions arriver à Ambodivona demain dans la soirée, afin de se reposer un peu, et aller chez le médecin  lundi matin… Je pense que nous débarquons à Tanà après demain », estime la jeune demoiselle.  Cela suscite une réflexion ! Pourquoi la famille a choisi la capitale qui se situe à 1 200 bornes de chez eux qu’Antsiranana qui se trouve qu’à 75 kilomètres d’Anivorano-Avaratra. Le Centre Hospitalier de Tanambao, ou l’hôpital manara-penitra n’est-il pas équipé ? Construit en 2009, inauguré en 2011, cet établissement ne parvient pas à résoudre les problèmes sanitaires de la région. Rien d’étonnant si l’espérance de vie d’un malgache ne dépasse les 70 ans.  

La Route Nationale 6 n’est plus depuis 2013. En l’espace de sept ans, elle est passée d’une route goudronnée de 5 centimètres d’épaisseur à une route secondaire impraticable. D’Antsiranana jusqu’à Ambondromamy  en passant par Ambanja et Port-Bergé, les voyageurs souffrent du mal de la route puisque les taxi-brousses ballottent comme des pirogues suivant les vagues d’une mer agitée…  La  Diana est isolée du reste de la Grande île. Les liaisons se font une grande partie de l’année uniquement par voie aérienne et l’administration de cette zone excentrique est évidemment  difficile. De plus, la destruction des infrastructures routières engendre la hausse des prix des denrées alimentaires dans la région. Certes des travaux ont été effectués entre Ambanja et Antsiranana, ce qui ne constitue guère la moitié. La population, pour sa part, éprouve leur grande déception envers le gouvernement actuel. Il semble que  la promesse présidentielle n’est qu’ une parole en l’air. 

Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres voies de communication impraticable à Madagascar. La frustration, l’anxiété ainsi que le désespoir se ressentent tout au long du trajet. À la mauvaise route s’ajoutent les malfaiteurs. Partout où ils vont, les malgaches ne se sentent pas en sécurité. Comme si chaque jour était le dernier.  Malgré ces difficultés, nos compatriotes gardent toujours le sourire en attendant… Oui, attendre, c’est le mot le plus prononcé dans la Grande-Île. La patience du petit peuple a malgré tout ses limites…  

Iss Heridiny