En ce 22 mai, il y a cinquante ans, qu’est ce qu’il pouvait avoir en tête ? Que le pays ne serait d’abord jamais plus le même que les lendemains verront un enseignement plus enclin à « dire » les réalités malgaches, que plus de jeunes auront accès à l’éducation avec des écoles primaires, des collèges et des lycées qui s’ouvriront jusque dans les contrées lointaines…Et en sourdine, que les parents s’appesantissent moins sur ta vie, que la religion édictera moins de règles dogmatiques et que les autorités seront moins obscurantistes, que la France ne soit plus la seule référence dans tous les domaines et ainsi de suite…
Il ne savait pas que les militaires adoubés, il y a tout juste cinq jours après le pic de sa révolution, allaient rester des dizaines d’années à la tête de l’État. Il ne savait pas que son combat allait être phagocyté par un officier de marine qui allait mener en bateau le pays pendant un quart de siècle, par un chirurgien dépourvu de bistouri, par un vacher qui allait téter tout un peuple de yaourt parfumé et s’accaparer de tout le fourrage, par un jockey à l’allure de Lucky Luke qui enfourchera tout le monde comme son jolly Jumper. Jeune de 1972 si tu savais !
Aujourd’hui, à 70 ans, voilà qu’on te reproche d’avoir enfanté la genèse de tous les malheurs actuels au point que ceux qui ont 20 ans en 2022, regrettent le prétendu temps béni des colonies et rêvent tous de la France. Les moins jeunes t’en veulent d’avoir créé cette habitude de révolution de et par la rue, d’avoir dénaturé la démocratie. Bref, que mai 72 a été une erreur.
À eux, tu peux leur dire que l’histoire a montré qu’un changement voulu dans un domaine engendre une déstabilisation de tous les pans de la société. L’économique en état de délabrement actuel, n’est pas due à la faute des « soixante-douzards » : que tu n’avais pas demandé les nationalisations pour y mettre à leurs têtes parents, amis incompétents et frustrés, que tu n’avais pas voulu des investissements de pacotilles, que tu ne projetais pas de faire l’aumône aux banques internationales et que tu ne revendiquais pas un appareil d’Etat dépravé et prédateur de la nation. En politique : que tu vomissais les bourrages d’urnes, les soit-disant brassages ethniques pour mieux différencier sournoisement les Malgaches les uns des autres et que les autorités civiles, militaires et même religieuses interfèrent dans l’arène politique…
Tu diras à tes enfants de répéter à tes petits enfants que le Lycée français de Tana (le lyfr) hébergé au début chez les catholiques et qui fête avec fierté ses cinquante ans aujourd’hui n’a pas été voulu par tes (vrais) camarades de lutte mais par ceux qui ont été contre vous, vos adversaires, les nostalgiques du néocolonialisme, la bourgeoisie « compradore », mot que ta naïveté d’alors ignorait.
M.Ranarivao
