C’était le 9 avril 1984. Tout paraissait calme. Oui, le calme avant la tempête. « J’avais 29 ans à l’époque. À 6 heures, j’allais acheter du pain, mon train-train quotidien. Je n’allais pas imaginer que ce serait si tragique », se souvient une dame de 70 ans.
Vers 9 heures 30, tout a changé, le vent s’est mis à souffler dans tous les sens. Les habitants d’Antsiranana ne s’attendaient pas au pire, ils pensaient que la saison du Varatraza a commencé. Ensuite, une pluie assez violente a arrosé la partie septentrionale de la Grande-Ile. « Mon voisin et moi avons discuté chez lui. Lorsque nous avons entendu la pluie torrentielle, comme si on versait de l’eau sur le toit, nous nous sommes regardés droit dans les yeux… Je voulais directement rentrer chez moi, alors une fois qu’il a ouvert sa porte, il avait l’impression que le vent l’emportait. Et il m’a conseillé de rester là et d’attendre que ça cesse ! », a témoigné Ndriandahy.
Le bilan est lourd. Hormis les maisons ruinées, des centaines de sinistrés, une dizaine de morts a été constatée. Les rizières d’Andranofanjava, d’Anivorano ont été ravagées. Kamisy n’a épargné personne. La ville d’Antsiranana a perdu son charme. Le somptueux Hôtel des mines en est un exemple. Construit en 1907 par le Français Alphonse Mortages, ce monument historique a été fortement secoué. Et jusqu’ici, aucune réhabilitation n’a été envisagée.
Moment périlleux
L’ intempérie a aussi accentué une crise qui était déjà ressentie à la fin des années 1970. Les deux chocs pétroliers ont provoqué des difficultés économiques dans les pays nouvellement indépendants comme Madagascar. Bien que la politique d’ajustement structurel ait été établie par le gouvernement de la Deuxième République, le niveau de vie de la population demeure à la limite du seuil de la pauvreté. Dès lors, les produits de première nécessité se faisaient rares. « Il n’y avait pas de savon, pas de riz, ni de sucre. Nous nous levions tôt, à 3 heures du matin pour grossir les rangs des Malgaches qui se mettaient à la file indienne pour acheter du riz pakistanais. Les gens étaient si nombreux que dès fois nous retournions bredouille à la maison… Donc, nous allons à l’école le ventre vide. Il m’arrive d’entendre mon ventre gargouiller. Au début j’avais honte, mais quand j’ai entendu le même son résonner successivement dans la salle de classe, je me suis dit qu’il n’y a pas que moi qui souffrait ! », raconte en riant Jean Jacques Ranaivohendry, un contemporain de l’époque. En effet, Kamisy a démenti l’adage célèbre souvent prononcé par les habitants Tavaratra de 1950 à 1970, « Diego tsy matin’ny mosary», littéralement, « Diego n’a jamais faim », en raison de son niveau de vie en dessous de la moyenne. Par dessus tout, bon nombre de jeunes se retrouvent au chômage. À part les petites entreprises qui sont obligées de réhabiliter leurs locaux dévastés, d’autres ont carrément fermé leurs portes. La ville autrefois industrialisée s’est agenouillée. Il a fallu une dizaine d’années pour recoller les morceaux cassés…
Le cœur endurci.
En effet, cette catastrophe naturelle a éveillé une réflexion régionaliste. Certes, l’État est venu au chevet des nécessiteux. Cependant, les aides ont été retardées à cause de l’éloignement géographique. Cela a forgé davantage le comportement des Diegolais. Ceux-ci, se croyant oubliés par le pouvoir central, se sont contentés des ressources dont ils disposent… Suite logique, le président de la République devient impopulaire. Le cyclone Kamisy a marqué le début de la fin de la Deuxième République.
Iss Heridiny