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vendredi, novembre 29, 2024
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Traite des personnes : « De nouvelles formes d’exploitation émergent »

Madagascar a récemment célébré la journée mondiale de la traite des personnes. Emmanuelle Renault et Johan Andria Ramandimbison, tous deux Associate Crime Prevention Officer de l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) ont accordé une interview à Midi Madagasikara pour parler de la situation de la Grande Ile.

Emmanuelle Renault, Associate Crime Prevention Officer.

 Midi Madagasikara (M.M) : Pouvez-vous définir ce que l’on entend par traite des personnes ?

Emmanuelle Renault (E.M) : La traite des personnes constitue un crime d’exploitation. C’est un crime qui bafoue la dignité humaine et prive les victimes de leurs droits les plus fondamentaux. Les victimes sont maintenues par leur bourreau dans des situations d’exploitation.

La définition internationale de la traite des personnes fait état de la combinaison de trois éléments : Actes, Moyens et Finalité. L’acte est le fait de recruter, transporter, transférer, héberger ou bien accueillir quelqu’un. Cet acte est commis par le biais d’un moyen, qui peut être : le recours à la menace, la force, l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité pour une finalité qui est toujours l’exploitation. Les formes d’exploitation sont diverses et variées et ne se limita pas à : l’exploitation sexuelle, le travail forcé, la servitude, le prélèvement d’organe, la mendicité forcée…

Tout un chacun peut être victime de traite des personnes mais les femmes, les enfants et les personnes en situation de précarité sont plus vulnérables à ce crime. La traite des personnes existe dans tous les pays du monde.  Une personne peut être victime de traite dans son pays, dans sa ville, dans son village. Il n’y a pas besoin d’avoir de déplacement pour parler de traite des personnes.


MM : Pouvez-vous nous expliquer la différence entre immigration irrégulière et la traite des personnes ?

Johan Andria Ramandimbison (J.R) : L’immigration irrégulière est souvent facilitée par des criminels que l’on surnomme des « passeurs ». Ces derniers commettent un crime que l’on appelle trafic illicite de migrants. Lequel désigne le fait de faciliter l’entrée irrégulière, sur un territoire, à une personne qui n’est ni ressortissant de ce territoire ni résident permanent. Les passeurs facilitent cette entrée irrégulière afin d’en obtenir un avantage matériel ou financier.  Le trafic illicite de migrants est un crime contre l’Etat, puisqu’il bafoue les lois qui régissent les conditions d’entrée et de résidence dans ledit Etat. Dans le cas de trafic de migrants, il n’y pas d’exploitation du migrant. Il faut ainsi retenir que dans le cadre du trafic illicite de migrants, il s’agit d’un acte volontaire et l’individu y consent, contrairement à la traite. Le trafic illicite de migrants et la traite des personnes sont parfois liés car les migrants constituent un groupe vulnérable à la traite des personnes. 

Johan Andria Ramandimbison Associate Crime Prevention Officer.


M.M : Avez-vous des statistiques récentes sur la traite des personnes à Madagascar ? 

E.M : La traite des personnes est un crime se déroulant dans la clandestinité, ainsi il est difficile d’obtenir des données statistiques fiables. Cependant on estime, qu’il y a aujourd’hui dans le monde, entre plusieurs centaines de milliers, voire quelques millions de victimes de traite des personnes. Cependant, l’ONUDC, ou l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, dans son rapport mondial bi annuel, a pu observer quelques tendances : un recul du nombre d’identification de victimes, ce qui signifie que moins de victimes ont été secourues. L’impunité a augmenté, c’est-à-dire que moins de criminels ont été condamnés pour leurs crimes. De nouvelles formes d’exploitation émergent, notamment en ligne. Les réseaux criminels sont mieux organisés et exploitent leurs victimes plus longtemps et de manière plus violente.

M.M : Quelle partie de Madagascar est la plus touchée  par ces questions ?

J.R : La situation socio-économique à Madagascar et la grande précarité sont des facteurs de vulnérabilité à la traite des personnes. Cependant, la fiabilité des statistiques ne permet pas de dire quelles sont les régions les plus touchées.


M.M : Pourquoi donc axer la formation et les actions dans le Nord-Ouest, notamment sur Nosy-Be ?

E.M : L’ONUDC commence la mise en œuvre d’un projet visant à lutter contre la traite des personnes et l’exploitation sexuelle commerciale des enfants, notamment dans le cadre du voyage et du tourisme. Le projet se concentrera particulièrement sur les villes d’ Antananarivo et de Nosy-Be car elles disposent d’aéroports internationaux et sont donc plus vulnérables à ces crimes.


M.M : Le tourisme sexuel est-il  lié à la traite des personnes ?

E.M : Le tourisme sexuel est défini comme étant un type de tourisme pratiqué par des personnes qui voyagent afin d’avoir des relations sexuelles à caractère commercial avec les personnes habitant sur le lieu de destination. La question du consentement est cruciale pour déterminer si le tourisme sexuel constitue de la traite des personnes. En effet, lorsque les individus (voyageurs ou touristes) paient pour avoir des relations sexuelles avec des mineurs de moins de 18 ans alors cela constitue de l’exploitation sexuelle commerciale des enfants, un mineur ne pouvant pas donner de consentement. Il peut également s’agir d’exploitation sexuelle commerciale lorsque les touristes ou voyageurs paient pour avoir des relations sexuelles avec des individus majeurs, dans le cas où ces individus majeurs ne sont pas consentants et sont forcés d’avoir des relations sexuelles. Il s’agira de traite des personnes. Enfin, les touristes ou voyageurs peuvent avoir des relations sexuelles marchandes avec des travailleurs du sexe qui sont consentants et ne sont pas contraints à avoir des relations sexuelles. Dans ce cas, il s’agira de tourisme sexuel mais pas de traite des personnes.


M.M : Quelle est la mission de l’ONUDC en matière de traite des personnes ? Comment travaillez-vous ? Avec qui ? Avez-vous un bilan provisoire pour mesurer la performance des actions ?

J.R : L’ONUDC travaille avec les Etats Membres, à leur demande, pour renforcer leur capacité à lutter contre la traite de personnes. Les actions de l’ONUDC visent notamment à renforcer la criminalisation du phénomène de traite. Pour ce faire, il y a la coopération avec les Etats Membres afin de renforcer leur cadre normatif lié à la traite des personnes. L’ONUDC organise des formations pour les praticiens de la justice pénale afin qu’ils puissent lutter plus efficacement contre ce crime. L’ONUDC s’attèle également à renforcer la coopération judiciaire entre les Etats étant donné que la traite est souvent organisée par des réseaux criminels opérant dans plusieurs juridictions.

L’ONUDC vient de débuter son action à Madagascar et a soutenu la rédaction de la politique publique malgache en matière de traite des personnes ainsi que de son plan d’action national de lutte contre la traite des personnes.


M.M  : Quid du financement ?

E.M : Les activités sont financées par les contributions volontaires des différents Etats Membres et organisations régionales. L’ONUDC reçoit des financements de l’Union Européenne, des Etats Unis d’Amérique, du Japon, de la Norvège, de la France, de la Suède, du Royaume Uni, de l’Allemagne pour ne citer qu’eux.

M.M : Les sensibilisations et les formations sont-elles suffisantes ?

J.R : Les sensibilisations et les formations sont nécessaires mais pas suffisantes. En effet, pour lutter de manière durable et efficace contre la traite des personnes, il faut une réponse holistique qui englobe les différentes raisons permettant aux criminels de commettre ce crime. Il est indispensable notamment de lutter contre les facteurs qui rendent les individus vulnérables à la traite des personnes, tels que la pauvreté, le manque d’opportunités professionnelles, le changement climatique etc. Ensuite, les populations doivent être informées de l’existence de ce crime afin qu’elles puissent s’en prémunir – c’est là qu’interviennent les campagnes de sensibilisation. Il faut également former les acteurs du monde judiciaire tels que les forces de l’ordre et les magistrats afin qu’ils puissent enquêter et engager des poursuites à l’encontre des auteurs de ce crime. C’est pourquoi les formations sont nécessaires. Mais pour que celles-ci soient pleinement efficaces, les acteurs du monde judiciaire doivent disposer de moyens financiers et matériels afin d’appliquer les connaissances qu’ils ont acquises. 

M.M : Comment s’est passé la célébration de la journée mondiale contre la traite des personnes à Madagascar ?

E.M : Chaque année, le 30 juillet marque la journée mondiale de la lutte contre la traite des personnes. Cette journée est l’occasion de mettre en lumière ce fléau qui persiste et montrer une solidarité avec les victimes. Cette année, le Bureau Nationale de Lutte contre la Traite des Êtres Humains malagasy a organisé une célébration à la Primature. Cette cérémonie fut l’occasion de rappeler aux participants le rôle que tout un chacun a à jouer dans la lutte contre ce crime. Que ce soit les membres du Gouvernement afin qu’ils puissent mettre en œuvre des politiques publiques adaptées, que ce soit les associations qui doivent porter assistance aux survivants et les aider à se réinsérer, que ce soit les médias en mettant la lumière sur ce fléau et en partageant l’information au plus grand nombre.

Recueillis par Narindra Rakotobe

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