Peut-on se passer des bailleurs de fonds pour développer Madagascar ? Une question récurrente depuis des décennies à laquelle le Dr Aina Andrianavalona Razafiarison, Enseignant-chercheur, Dr en Economie (Antananarivo/Aix-Marseille), et Dr en Histoire (Paris I Panthéon-Sorbonne) et non moins consultant auprès du cabinet MCI, tente d’apporter des réponses.
Dans la rubrique économie du numéro 94 de la Revue MCI, il avance que le financement a toujours été et continue d’être la principale préoccupation de la problématique du développement à Madagascar. « Les bailleurs de fonds sont des acteurs incontournables de l’économie et à l’heure actuelle, il n’y a pas d’alternatives sérieuses et viables à cette situation », reconnaît le Dr Aina Razafiarison qui rappelle à titre d’exemple le cadrage macroéconomique du projet de loi de finances rectificative 2021 et dans laquelle le déficit budgétaire ne cesse d’augmenter. « En 2020, les institutions financières internationales ont débloqué l’équivalent de 4,5% du PIB soit 620 millions USD dont près de la moitié est apportée par le FMI pour pallier la baisse des recettes publiques et garantir le bon fonctionnement de l’Etat ».
Apport en devises
L’économiste reconnaît par ailleurs que du point de vue budgétaire et monétaire, les bailleurs de fonds sont incontournables car ils apportent des devises qui sont destinées à améliorer la balance des paiements. Cela limite tant bien que mal la dépréciation de l’ariary, et lutte ainsi contre l’inflation qui peut être la source d’une crise sociale. « Dans ce contexte, les financements des bailleurs de fonds multilatéraux sont non seulement nécessaires, mais particulièrement vitaux pour le fonctionnement même de la machine administrative, et la pérennité démocratique de l’Etat ». D’un autre côté, l’auteur rappelle à juste titre, que les Malgaches rêvent d’un affranchissement vis-à-vis des bailleurs de fonds. « Cela est tout à fait légitime et humain, car l’endettement est une forme d’asservissement et une perte de liberté » soutient-t-il. Un constat qui lui permet d’ouvrir la piste d’un amoindrissement de la dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds
Diversification
En effet, pour lui, le financement n’est pas nécessairement la condition première du développement. « Tout comme Madagascar des années 70, l’expérience coréenne du financement de développement fut liée au pétrodollar. Pourtant leurs trajectoires économiques sont totalement différentes, pour dire que les financements (sans toutefois s’y opposer) ne sont pas le sésame magique du développement ». Une manière d’expliquer que la diversification des financements extérieurs peut représenter une forme d’autonomie. La recherche d’indépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds institutionnels sous-tend deux postures totalement différentes. Il s’agit en premier lieu de rechercher d’autres sources de financements extérieurs à celles des bailleurs traditionnels. « Ce semblant de solution n’est qu’un avatar de la théorie du financement extérieur, il s’agit seulement de rechercher d’autres sources moins formelles. À une période, les dirigeants malgaches furent tentés par des financements parallèles mais n’ont fait qu’attirer les aventuriers et les escrocs de tout bord, et qui au final n’ont rien apporté au pays. L’autre approche consiste en un concept déguisé de troc entre infrastructures et ressources naturelles (mines, terrains…). C’est a priori séduisant dans le sens où les parties prenantes ne s’embarrassent pas des conditionnalités contraignantes des bailleurs classiques mais cette situation peut favoriser la prédation dont souffre déjà cruellement le pays. En outre, les investisseurs sérieux scrutent l’avis des bailleurs de fonds classiques ».
500 millions de dollars par an
La deuxième posture consiste à atténuer la prégnance des financements étrangers. « Si à Madagascar, la capacité d’absorption des crédits est estimée à 500 millions de dollars par an, les ressources sont largement suffisantes pour les couvrir si elles étaient exploitées de manière plus efficiente et moins anarchique. L’économie souterraine à Madagascar, les trafics, et le transfert de fonds à l’étranger ont une importance considérable et insoupçonnée qui ruine ce pays. Le fait des 73,5 kg d’or interceptés en Afrique du Sud fin 2020 et qui a défrayé la chronique, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Le document de Transparency international anti-corruption helpdesk estime que la production annuelle d’or de Madagascar s’élève à 15 tonnes pour une valeur d’environ de 450 millions de dollars, dont la part écrasante n’est pas recensée à Madagascar. Et ce n’est que l’or ! Le pays est condamné à quémander, mais en même temps, des milliards de dollars de ressources naturelles disparaissent. L’installation des comptoirs de l’or a pu permettre de mieux suivre la traçabilité de cette filière et de 2016 à 2018, l’exportation déclarée a été multiplié par 6 de 584 kg en 2016 à 3051 kg en 2018. C’est un début qui devrait être généralisé et repensé dans tous les secteurs, pour pouvoir rêver à plus d’autonomie financière, et s’affranchir d’un endettement oppressant ». Bref, le Dr Aina Razafiarison reconnaît que si les bailleurs de fonds institutionnels sont et resteront encore incontournables, une recherche de plus d’autonomie financière est en revanche une volonté humaine et légitime, car il y va de la dignité du pays.
Recueillis par R.Edmond