Interview avec Mamisoa Freddy Andriamalala, économiste et politologue professeur des Universités et Consultant.
Midi Madagascar (MM). D’après vous, le système politique actuel constitue-t-il un frein pour promouvoir le développement à Madagascar?
Andriamalala Mamisoa Freddy (AMF). On peut dire que les manquements constatés dans la Constitution actuelle sont des obstacles au développement de Madagascar. Ces manquements sont indiqués par leurs conséquences qui empoisonnent les vies économique, sociale et politique , chose que le pays vit dès le début de la IVe république. Le système de valeur et de croyance malgache est menacé ; il y a des difficultés dans la mise en place d’un gouvernement stable et efficace en raison de la marchandisation des décisions politiques perpétrées par certains élus lors du processus de décision ; la stabilité politique est inquiétante ; il y a également la recrudescence de l’insécurité liée à la faiblesse de la capacité de l’Etat, le dysfonctionnement manifeste de l’administration suite à des revendications syndicales excessives et souvent politisées ; l’aggravation de la corruption solidement implantée, etc.
- MM. Quel est l’origine de ces manquements ?
AMF. L’origine des manquements peut être liée à l’impasse de l’argument institutionnaliste dans l’élaboration de cette constitution en vigueur. Nombreux sont ceux qui voient dans les constitutions malgaches qui se succèdent ce qui a été proposé de plus parfait pour servir le développement et pour assurer une stabilité politique durable et une alternance démocratique. Il reste à faire prévaloir cet aspect du développement dans le processus de décision visant à réviser la Constitution pour qu’il devienne une possibilité réalisable. Malheureusement, à Madagascar, des politiciens entourés des techniciens armés de modèle technocratique sophistiqué séduisant ont utilisé le mot « développement » pour élaborer une constitution. Ce modèle, souvent basé uniquement sur l’analyse institutionnaliste en raison de son formalisme juridique a déjà montré ses limites dans la Constitution actuelle. Il s’agit d’une Constitution marquée par l’influence du Droit orienté vers la description de structure juridique du pouvoir et des institutions même si elle introduit le mot « développement » à sa présentation formelle. C’est le plus grand tort qui ait jamais été fait au changement de la constitution en 2010. C’est devenu actuellement une source d’instabilité politiques et de confusion et une cause de défiance. Bref, les manquements constatés dans la Constitution actuelle et dans le système politique malgache sont liés à la trop grande distance de méthode d’élaboration de la loi fondamentale par rapport à la réalité concrète du pays.
- Avez-vous de méthode nouvelle pour réviser ou changer la Constitution ?
AMF. La révision ou le changement pertinent de la constitution n’est pas seulement une argumentation juridique et institutionnaliste. Au contraire, il faut la prise en considération des autres aspects des relations institutionnelles du pouvoir et l’accent sur la réalité et l’attention prêtée au terrain. Ce renouveau de révision s’agit d’un refus de construire un modèle de constitution à prétention universaliste fondé sur le juridisme seulement. Il s’inscrit dans une logique empiriste et ne suit pas une seule école de pensée.
- Quel est le système politique que vous jugez pertinent pour développer Madagascar ?
AMF. Les éléments de réponse à cette question me permettent de vous dire ouvertement qu’un régime présidentiel fort pour créer un Etat efficace est pertinent si on veut vraiment du développement pour Madagascar. Un régime présidentiel ne se traduit nécessairement pas en une concentration du pouvoir entre les mains d’une seule institution. Par rapport à la culture et à la pratique politique actuelles, un régime présidentiel fort est plus pertinent pour créer un Etat efficace. Faut-il rappeler que dans un régime présidentiel fort, le Président de la République n’est pas responsable devant le parlement. Le chantage et le marchandage politique fréquemment pratiqués par certains élus par exemple dans la mise en place d’un gouvernement vont disparaître. Le Président de la République pourrait mettre un gouvernement stable et efficace pour mieux répondre aux besoins exprimés directement par la population et mieux fournir les biens et services collectifs indispensables à la promotion du développement.
- Que pensez-vous de l’idée des partis politiques sur la mise en place d’un Etat fédéral ?
AMF. On est convaincu que dans une démocratie, la liberté d’opinion est parmi les indices fondamentaux si elle ne porte pas atteinte à l’ordre naturellement préétabli. Je respecte l’idée de certains partis politiques de transposer le système politique fédéral dans notre pays. Par contre, il faut dire que leur projet n’est pas prouvé selon le critère « pertinence » du point de vue évaluative ex ante. L’expérience que j’ai vécue durant mes plusieurs années de séjours d’études dans un pays fédéral très développé me permet de dire qu’un système fédéral réussi est lié à une trajectoire politique, à une culture politique et surtout à un niveau de développement économique du pays qui le pratique. Bref, j’insiste sur le fait que la mise en place d’un régime présidentiel fort sans dérive autoritaire pour créer un Etat efficace devrait être le cœur-même du débat sur la Constitution malgache.
Recueillis par Antsa R.