
« Doranga » ou boxe traditionnelle du peuple vezo, renaît sous les yeux d’une ville entière.
Pendant des décennies, cette pratique avait disparu des rassemblements populaires, éclipsée par le football, le basket et la modernité. Aujourd’hui, le doranga attire de nouveau les regards, transformant chaque combat en véritable fête culturelle
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Retour aux sources : quand le doranga façonnait les Vezo
A Madagascar, deux formes de boxe traditionnelle sont pratiquées : le « moraingy » des côte-Ouest et Nord-Ouest de l’Île et le « doranga », dans le Sud et plus précisément à Toliara. Mais elles se distinguent par leur origine, leur style et leur contexte culturel. Si les techniques de combat du moraingy sont principalement à base de coups de poing, mais également de coups de pied pour mettre l’adversaire au sol. C’est ainsi qu’on le compare souvent au style de combat du kick-boxing. Le doranga, quant à lui, se pratique uniquement à coups de poing le rapprochant de la boxe anglaise, dans le but de respecter son adversaire et surtout de ne pas trop le blesser indiquent les initiateurs de ce sport traditionnel. Si le gagnant du combat est appelé « fanorolahy » dans le moraingy, le héros est nommé « ajarangy » dans le doranga.
Chez les Vezo, le doranga n’était pas qu’un sport. C’était une épreuve initiatique, un rite de passage pour les jeunes garçons, un symbole de bravoure et de cohésion communautaire. « Un homme devait connaître le doranga pour être respecté », raconte Bedomongo, 78 ans, qui se souvient des combats nocturnes après la pêche. Les jeunes y apprenaient à encaisser les coups, à maîtriser leur peur et à gagner leur place dans la société.

Chaque geste, chaque frappe, chaque cri de la foule formait un rituel collectif, où la culture et l’identité vezo se transmettaient de génération en génération.
Au-delà de son aspect sportif, le doranga est un rituel social, souvent lié à des fêtes ou à des événements communautaires. Les rôles, comme celui des ajarangy, s’inscrivent dans une logique de transmission générationnelle, de hiérarchie sociale, et de symbolique guerrière.En clair, le doranga est une pratique qui remonte à plusieurs siècles, enracinée dans les rites de passage masculins. Dans une société où la pêche et la mer dictaient le rythme de la vie, la boxe traditionnelle représentait l’école du courage et du respect. Organisés souvent en fin de journée, ces combats étaient accompagnés par des chants et des danses, renforçant la cohésion de la communauté.

Rinho Soafilira : l’homme derrière la renaissance
Si le doranga refait surface, c’est grâce à Rinho Soafilira, natif d’Anketrake et candidat aux dernières législatives de Toliara. Depuis trois ans, il relance cette tradition, convaincu qu’elle est essentielle pour préserver la culture vezo et masikoro.
Dimanche 7 septembre à Anketrake, pour la troisième édition du doranga, Toliara a vibré. Plus de 15000 spectateurs étaient présents pour les finales après plusieurs semaines de combats éliminatoires. Les chants traditionnels accompagnaient les affrontements, transformant le spectacle en un événement où sport et musique ne faisaient plus qu’un.
« Comme le Doranga est un jeu et une passion des peuples vezo et masikoro, j’ai le devoir de faire revivre cette tradition ancestrale, bien ancrée dans la peau du peuple vezo », explique Rhino Soafilira. « Ce sport de combat à mains nues est une source de rassemblement pour toute une ville, pour tout un peuple. »
Les « ajarangy » qui se sont révélés lors des finales de cette 3e édition sont Bonita, François, Guillaume et Zisy et ils ont été acclamés et portés en héros par les « mpanenty » ou spectateurs et ont reçu respectivement des trophées et des primes par les organisateurs.

Zisy, jeune combattant de 20 ans, témoigne : « Le doranga est ma fierté. C’est ce qui me relie à mes ancêtres. Je me bats pour eux et pour l’avenir de notre culture. Ainsi un événement comme celui-ci mérite de se perpétuer et pourquoi pas tous les dimanches comme le racontait mon grand-père. »
Dans un discours vibrant, en marge de cet événement sportif et culturel, il a appelé les autorités à soutenir la construction d’un stade culturel. Le doranga mérite un lieu officiel, comme le football ou le basket. C’est une reconnaissance de notre patrimoine et un signe fort pour notre jeunesse, a-t-il martelé.
Rinho Soafilira ne se limite pas à l’organisation de combats. Son initiative soulève des questions d’identitaires et culturelles : comment institutionnaliser le doranga sans le dénaturer ? Comment en faire un outil de rassemblement identitaire et de valorisation du patrimoine ?

C’est la ferveur populaire, Toliara vibre
La foule ne s’est pas contentée d’être des «mpanenty » ou spectateurs. Les habitants ont chanté, dansé, encouragé les combattants avec une ferveur contagieuse. « On dirait une fête plus qu’un combat », confie Fiadana Joëlle, 26 ans, étudiante. « Je comprends pourquoi mes parents étaient si fiers du doranga. »
Chaque victoire déclenche des cris de joie, chaque défaite est accueillie avec respect. Pendant plusieurs heures, la ville a retrouvé le souffle des grands doranga d’antan, dans une atmosphère où tradition, identité et spectacle se mêlent.
Mais le défi est réel : le doranga doit-il rester spontané et populaire, ou être encadré pour durer ? Entre fierté identitaire et valeur culturelle, Toliara se trouve à la croisée des chemins.
Dossier réalisé par Francis Ramanantsoa




