
Même les autorités locales sont impuissantes face à la grave situation à Sainte-Marie. Alors que la saison vient d’être fermée, des pêcheurs poursuivent dans la surpêche de concombres de mer.
La surpêche d’holothurie, appelée plus communément concombre de mer, persiste à Sainte-Marie, alors que la saison de pêche a été fermée, il y a déjà quelques semaines. Cette grave situation d’exploitation sauvage a commencé depuis le mois de juin, d’après les informations sur les lieux. « Cette surpêche d’Holothuries est opérée par des pêcheurs illégaux, provenant de Nosy-Be et Majunga. Ils utilisent en toute impunité des bouteilles de plongée, qui sont pourtant formellement interdites », a témoigné notre source. A la demande d’un groupe de personnalités de l’île conduit par le nouveau Maire de Sainte-Marie en personne, une mission d’évaluation – composée d’autorités locales et de militaires – a été menée au début du mois de décembre. Et le constat est sans ambiguïté catastrophique : il y a péril en la demeure.
Scandales. De nombreuses embarcations ont été prises en flagrant délit. D’après les témoignages, un bateau arrive, en une journée, à remonter à lui seul jusqu’à 250 kg de concombres de mer en cette période qui, officiellement, est fermée à ce type de pêche. En somme, il s’agit d’une tragédie écologique. Les renseignements collectés en amont de cette mission ont notamment permis d’identifier les différentes zones sur lesquelles ces pirates d’un nouveau genre sont actifs. Certes, les forces de l’ordre ont pu saisir ces derniers temps quelques matériels de plongée sous-marine, dont des bouteilles de plongée, des sacs comportant des palmes, des masques et tuba mais aussi des fusils de chasse, etc. Les opérations menées jusqu’ici sont très loin de permettre l’endiguement de ce phénomène, qui est en train de ravager le fonds marin de Sainte-Marie et celui de la Côte-Est malgache en général. Les pêcheurs illicites se comptent maintenant par centaine, avec une pêche illégale menant à l’éradication rapide de toute forme de vie sur les récifs coralliens. En plus de la dégradation des ressources marines, les pêcheurs, sans papier d’identité et souvent en état d’ébriété, n’hésitent pas à squatter et à vandaliser les maisons environnantes aux zones de pêches et provoquent au passage une dégradation de ces lieux de vie. A cela s’ajoutent la corruption des responsables, l’insécurité qui peut devenir un problème sérieux sur l’île, etc.
Disparition. La loi est bafouée, et la société est en péril, à cause de la situation actuelle. Même si l’Ordonnance 93-022 stipule que la pêche de concombres de mer est strictement réglementée à Madagascar, la réalité est tout autre sur le terrain. Les holothuries (concombres de mer, détritivores) sont aujourd’hui en phase de disparition avancée, pour cause de surexploitation aussi aveugle qu’illégale. Les impacts sont importants car ces animaux assurent l’oxygénation des océans. Se nourrissant de détritus et de sédiments, ils gardent le récif propre et sain pour le bien-être de la faune et de la flore mais aussi des populations environnantes. Mais les pilleurs semblent, du moins pour l’instant, ne reculer devant rien pour rendre florissant le marché des concombres de mer qui « promeut l’hégémonie des pays d’Asie en matière d’art culinaire ». En outre, la méthode pour se procurer ces espèces s’avère de plus en plus destructrice pour l’environnement, particulièrement l’espace halieutique.
Antsa R.
Le biologiste-environnementaliste indépendant, Rakotondrazafy Andry Malalan’Ny Aina nous livre son avis. Interview.
Midi Madagasikara. 200 à 250 kilos de concombres de mer sont illégalement pêchés chaque jour dans les eaux de Sainte-Marie. Que pouvez-vous dire ?
Andry Rakotondrazafy. Cette information est alarmante. Avec la situation actuelle du pays (sortie de crise, survie sociale, situation économique, les problèmes de gouvernance, etc.), l’ampleur de la surexploitation des ressources naturelles touche presque toutes les espèces ayant de près ou de loin des attraits commerciaux. La biodiversité est devenue une manne sans protection, la gestion durable s’éloigne de plus en plus de notre réflexe écologique. Cette situation me rappelle tout de suite les nombreux cas du même genre pour ne citer que la faune et la flore : le cas des bois précieux, la pêche illicite des requins, des tortues marines, les cas d’exportation illicite des caméléons et autres espèces d’amphibiens et reptiles, tortues terrestres, l’exportation de viande de tortue, le cas des crocodiles, etc. Nous sommes encore loin des objectifs tant fixés par la convention CITES signée et ratifiée par Madagascar depuis presque 40 ans maintenant. Le problème de l’exploitation illicite des ressources naturelles n’est pas un nouveau sujet et pour preuves les articles de loi existent bien, depuis 1960, pour régir ces activités mais la volonté d’agir est-elle présente ? La politique menée par l’Etat est-elle adéquate ? Il faut aussi admettre que plusieurs facteurs pourraient favoriser ces activités tels que le manque de niveau d’éducation de la population, le manque de conscience collective envers ce que nous pouvons appeler gestion durable et conservation des ressources naturelles, la pauvreté et autres. Les gens n’ont pas conscience que seule une poignée de personnes bien placées en profite et pourrait être à l’origine d’une énorme catastrophe écologique irréversible si ces activités continuent.
Midi. Comment expliquez-vous qu’après l’Ouest, Sainte-Marie, à l’Est, soit devenu le site de prédilection de ces brigands de la mer ?
Andry R. La collecte des holothuries est bien connue dans la partie ouest de Madagascar depuis des décennies, voire depuis la période coloniale et les documents historiques l’attestent. La côte ouest est la zone de prédilection pour la collecte de ces espèces et ceci est lié de près aux activités des populations côtières qui vivent de la mer. L’expansion et l’envergure que prend le commerce illicite pourrait être l’origine actuelle de l’implantation de ces collecteurs le long de la côte est. L’hypothèse première est que les zones de l’ouest sont devenues de plus en plus saturées et surexploitées que le rendement n’arrive plus à croître à l’exponentiel et que l’exploitation de nouvelles zones littorales serait la première option. La seconde hypothèse est que la zone côtière de l’ouest est devenue de plus en plus surveillée, d’où une migration dans les zones littorales moins surveillées. Les moyens que les braconniers mettent en place indiquent que des soutiens financiers et logistiques sont derrière ces activités, et que des commanditaires sont prêts à investir dans les activités totalement illicites. Ces brigands sont donc plus ou moins organisés et ont leurs propres ressources.
Midi. En quoi cette pêche illicite provoque-t-elle un danger pour l’équilibre marin et la biodiversité marine ?
Andry R. Cette pêche illicite présente deux aspects dont l’impact serait significatif sur la population d’holothurie. D’abord, le fait d’utiliser des bouteilles de plongée augmente la probabilité de capture des concombres de mer. Par la suite, le fait de collecter les animaux pendant la période de reproduction (durant l’été austral) constitue une menace, étant donné que les concombres de mer sont des animaux dont la croissance est plus ou moins lente car leur reproduction suit un rythme assez lent. Ainsi, avec le rythme de collecte actuel, la population n’arrivera certainement pas à sa vitesse de régénération naturelle. La population d’holothurie va subir une décroissance progressive, voire son extinction dans le temps. Le rôle des concombres de mer dans l’écosystème marin est non négligeable car bien qu’on les voie comme des grands vers de terre (mais affiliés aux substrats marins), ils sont détritivores et filtreurs. Le récif corallien a besoin de ces animaux filtreurs et détritivores pour nettoyer le fond marin. Sans les holothuries, la prolifération des algues et d’autres détritus risquerait d’asphyxier les organismes marins comme les coraux. Ce qui a pour résultat la diminution du récif corallien et la perte progressive des organismes liés au récif. On parlerait d’un dérèglement irréversible et la disparition de plusieurs espèces vivant autour de cet écosystème.
Midi. Quelles seraient selon vous les solutions qui pourraient empêcher que cette pêche ne prenne plus d’ampleur ? Une sensibilisation suffirait-il ?
Andry R. Les solutions pourraient se présenter à différents niveaux qui intègrent non seulement les localités concernées, mais aussi d’autres acteurs au sein des institutions, et même étatiques. Il serait difficile de proposer des solutions exactes et exhaustives au problème. Néanmoins, on peut parler de quelques exemples de solutions qui pourraient être suggérées et à prendre en compte dans un cadre beaucoup plus élaboré, en considérant les acteurs touchés de près ou de loin par ce domaine. Des solutions à court terme : la sensibilisation de la population locale, des pêcheurs, l’application des lois en vigueur, la poursuite des fraudeurs, les enquêtes sur terrain sur les sites potentiellement concernés… Des solutions à moyen et long terme : élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la pêche illicite, identification et intégration des acteurs pouvant contribuer dans le domaine (telles que les ONG de conservation, de développement durable, de gestion des ressources naturelles, etc.), importance des études et recherches scientifiques, la promotion de l’élevage d’holothuries (holothuriculture). Ce dernier par exemple permettrait non seulement de diminuer la collecte des holothuries sauvages mais aussi de repeupler le littoral. Comme j’ai dit, ces solutions ne sont pas exhaustives et il serait plus judicieux de mettre en place un plan de travail beaucoup plus élaboré pouvant intégrer les différents aspects et facettes de cette problématique.
Recueilli par Antsa R.
Une forte réaction étatique s’impose. L’exploitation illicite de concombres de mer aux alentours de Sainte-Marie doit être rapidement stoppée. Selon les spécialistes, de ces régulateurs de la population des mers dépend la survie de plusieurs autres espèces. Pour la société civile, l’heure est grave et un ensemble de mesures radicales s’impose dans l’immédiat, pour mettre fin à ce fléau dans les meilleurs délais. Les plus hauts dirigeants de l’Etat doivent ainsi prendre le leadership et assumer pleinement leur responsabilité, les actions doivent être bien coordonnées, le centre de surveillance de pêche renforcé, un système de suivi rigoureux est à mettre en place et les sanctions doivent être exemplaires. On sait en outre que ceux qui opèrent à Sainte-Marie proviennent essentiellement de la côte nord-ouest de Madagascar où ils ont toujours leur base. Il est également connu de tous que les commanditaires chinois résident même dans le pays et sont aisément identifiables. Alors pourquoi ne pas traiter le mal à la racine ? La balle est ainsi dans le camp public qui doit saisir à bras le corps ce dossier. Il est aussi appelé à sensibiliser davantage la population sur les risques que génère ce scandale.
Antsa R.
Pétition. Pour les fervents défenseurs de la biodiversité marine et pour ceux qui souhaitent apporter leur soutien dans la lutte contre cette pêche illégale, une pétition circule actuellement sur internet (www.peche-illegale-madagascar.org) pour inviter tout citoyen à s’engager et rejoindre la cause en quelques clics.