
Une nouvelle étude publiée par l’ONG TRAFFIC sur l’exploitation du bois à Madagascar met au jour une situation complètement hors de contrôle dans ce secteur. Depuis fin 2008 et début 2009, les forêts qui abritent les espèces de bois précieux font l’objet d’un pillage en règle. Les mesures prises ont montré leurs limites et n’ont été en aucun cas efficaces. Des centaines de milliers d’arbres sont abattus dans les aires protégées, bien que celles-ci bénéficient d’un statut particulier de protection. Faut-il rappeler que Madagascar abrite des centaines d’espèces endémiques de bois de rose (Diospyros) et de bois d’ébène (Dalbergia), dont beaucoup suscitent une forte demande, en particulier en Asie, en raison de leur aspect attrayant et propriétés hautement durables pour être sculptés en meubles, en instruments de musique, ou autres produits, tous à forte valeur ajoutée.
Complètement hors de contrôle. C’est ce qui résume la situation concernant l’exploitation de bois précieux à Madagascar mis en évidence dans une nouvelle étude de l’ONG TRAFFIC(1)
publiée dans le cadre du projet SCAPES(2) sur la préservation des ressources naturelles de Madagascar. Cette situation hors de contrôle résulte de plusieurs facteurs, en particulier l’instabilité politique qui a prévalu il n’y a pas si longtemps, la mauvaise gestion du gouvernement, le manque de contrôle des exploitations forestières et une incapacité à imposer des sanctions punitives contre les trafiquants bien connus. Il y a prédominance d’une situation à « zéro contrôle » sur la gestion des ressources en bois précieux à Madagascar de mars 2010 à mars 2015, selon cette étude.
Décalage les déclarations et leur mise en oeuvre
Au moins un million de rondins, soit environ 152 000 tonnes, auraient été exportés illicitement durant cette période durant laquelle 350 000 arbres ont été abattus illégalement à l’intérieur des aires protégées. Les produits illicitement exportés s’acheminent vers des destinations incluant la Chine, la Malaisie et l’île Maurice, selon l’étude. Ces constats ont pu être établis sur la base d’informations et données collectées à partir des documentations mais également par le biais de la consultation de différents acteurs et des enquêtes au niveau local.
Selon toujours le rapport, la politique de gestion de bois précieux se caractérise par un décalage entre les décisions de gestion (les déclarations politiques et les engagements internationaux) et leur mise en œuvre sur le terrain.
Recommandations à divers niveaux
Le rapport émet un certain nombre de recommandations adressées au gouvernement, en particulier au Ministère de l’Environnement, de l’Ecologie et des Forêts (MEEF) auquel il est vivement proposé, entre autres, la promulgation du décret d’application de l’Ordonnance n° 2011-001 sur les infractions liées au bois de rose et au bois d’ébène ; au Ministère de la Justice et au Ministère des Finances, ainsi qu’au Bureau Indépendant Anti-corruption (BIANCO), au Service de Renseignement Financier (SAMFIN), mais également aux partenaires de l’administration forestière et aux organismes de recherches. Parmi les questions clés figurent la mise en œuvre rigoureuse de la législation existante, la réalisation d’évaluations des ressources-clés et la formation de base sur l’identification des espèces.
« Madagascar est déjà confrontée à une forte pression internationale pour résoudre la situation », indique WWF Madagascar. Lors de la réunion en Afrique du Sud en septembre 2016 de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), le secrétariat de la convention a demandé à Madagascar de mettre en œuvre un plan d’action sur le bois. « Un manquement à démontrer des progrès suffisants dans l’audit des stocks d’espèces de bois précieux saisis et à prendre des mesures d’application adéquates contre l’exploitation forestière illégale, pourrait entraîner l’imposition de sanctions commerciales sur le pays ».
Mobilisation de ressources
Récemment, Madagascar est également devenu membre de l’Organisation Internationale des Bois Tropicaux (OIBT) et est signataire de la Déclaration de Zanzibar sur le commerce du bois et la Stratégie de la Communauté de développement de l’Afrique australe sur l’application de la loi et la lutte anti-braconnage (LEAP). Ces forums et la Stratégie menée par l’Union africaine sur la lutte contre l’exploitation illégale et le commerce illicite de la faune et de la flore sauvages en Afrique offrent d’excellentes opportunités à Madagascar pour rechercher de l’aide financière et technique auprès des banques de développement et de la communauté internationale pour améliorer la transparence et la gouvernance dans le secteur du bois dans le pays et constituent une reconnaissance par le pays de la nécessité d’une approche régionale plus concertée et coordonnée pour arrêter le braconnage et le trafic de produits illicites d’espèces sauvages.
Ils ont dit
Nanie Ratsifandrihamanana, directeur pays de WWF Madagascar : « Madagascar envoie le signal que le pays comprend la nécessité d’une réforme dans la gestion de ses ressources en bois, mais ces accords doivent être accompagnés par une action forte au plus haut niveau du gouvernement ».
Roland Melisch, de TRAFFIC International : « La mauvaise gouvernance et la corruption ont mené à une situation anarchique sans aucun contrôle sur la récolte de bois, provoquant « une ruée vers les bois » avec comme conséquence l’abattage généralisé d’arbres de bois de rose et de bois d’ébène dans des aires protégées partout à Madagascar, et il faudra des années pour que l’environnement puisse se remettre. Cette étude récente devrait aider le gouvernement de Madagascar à comprendre les problèmes qui ont conduit à cette situation catastrophique et à commencer le long processus pour atténuer la crise de mauvaise gestion qui a suivi. »
Dossier réalisé par Hanitra R.
Sources : WWF Madagascar – ONG TRAFFIC
(1) L’Ile aux bois : Le commerce de bois de rose et de bois d’ébène de Madagascar.
(2)Un projet financé par l’USAID qui a pour but de lutter contre le commerce illégal des ressources naturelles de Madagascar par le renforcement des capacités des parties prenantes malgaches. Lancé en 2013, le projet est mis en œuvre par un consortium de quatre ONG à savoir WWF, Wildlife Conservation Society, Conservation International et TRAFFIC, en collaboration avec la société civile et le gouvernement.