
Le Docteur économiste Rakoto David, doyen de la Faculté DEGS, non moins membre du Conseil d’Administration du CREM (Cercle de Réflexion des Economistes de Madagascar) nous explique comment mobiliser Madagascar vers un objectif de développement effectif. Interview.
Midi Madagasikara (MM). Selon vous, quels éléments conditionnent le développement économique effectif ?
Dr. Rakoto David (RD). Un vrai développement économique nécessite une prise d’initiative nationale, systémique et financière. Chaque élément de la société (instances officielles, opérateurs économiques, sociétés civiles, universitaires, simples citoyens, politiciens, …) devra être responsabilisé et toutes les mesures économiques et extra-économiques (structurelles, sociales, institutionnelles, culturelles,…) pouvant accompagner cette mobilisation devront être initiées. Dans cette disposition, le recadrage des accords financiers internationaux formels et informels et la réadaptation des lois bancaires et financières sont nécessaires. L’importance de la qualité des institutions, de l’orientation sur le marché, avec un équilibre approprié entre marché et Etat, et d’une attention sur la distribution des revenus sont à souligner ainsi que l’importance de la Banque Centrale dans la dynamique de la prise d’initiative financière avec à ses côtés la création d’une banque commerciale et de développement omnipotente. Cette dernière devant prendre la forme de société par actions et pouvant procéder à une ouverture de compte auprès de la Banque Centrale. Elle devra être crédité aussitôt de fonds nécessaires souverains et gratuits et couvrir le maximum de zones géographiques afin d’encourager l’usage des monnaies scripturales (pour honorer les salaires des employés, les loyers et toutes autres charges). L’objectif étant de faire en sorte que tout adulte aura son compte bancaire. Sur la base de la nouvelle banque de développement, encourager les créations de sociétés variées avec comptes ouverts auprès de la banque commerciale : société immobilière et de collecte de matériaux, société de collecte alimentaire, société de collecte de produits miniers (dont or et pierres précieuses), société de transport, etc.
MM. Quand on parle de développement, on ne peut écarter les objectifs de croissance. Qu’en pensez-vous
RD. Etant entendu qu’il n’existe pas un ensemble de politiques garantissant une croissance soutenable, les pays pauvres devraient être libres de choisir l’ensemble qui leur convient le plus, l’essentiel c’est de bien diagnostiquer les obstacles à la croissance. Les instances dirigeantes du pays devront prendre conscience de l’importance des politiques financière, monétaire, et budgétaire prudentes. Mais politique budgétaire prudente ne devrait pas signifier équilibre budgétaire tous les ans ; des politiques anti- cycliques sont plus efficientes et soutenables. C’est là l’une des reproches du Fonds Monétaire International (FMI) dans son intervention dans les pays pauvres ; le FMI n’a pas vraiment mis l’accent sur la croissance et la réduction de la pauvreté, mais reste sur la macro- stabilisation, conformément à la « culture professionnelle » de son personnel. Sur le plan budgétaire par exemple, l’accent est mis sur la bonne gouvernance fiscale, et non sur le financement de la croissance.
MM. Pouvez-vous parler de notre monnaie et de comment favoriser la création de richesses pour aboutir à cette croissance soutenable ?
RD. L’exercice du pouvoir régalien de création monétaire par les pays pauvres est justifié par le fait que les dispositions du système financier international ne fonctionnent pas bien ; l’aide publique internationale est insuffisante, et les pays pauvres restent coupés des flux financiers privés ; les dispositions internationales actuelles sont asymétriques en ce qui concerne les mouvements de capitaux et du travail. La création de bourse de valeurs, pendante de l’éclosion de sociétés par actions est une nécessité. En se référant à la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo et celle des dotations factorielles de Hecksher, Ohlin et Samuelson, il faut mettre à profit les avantages naturels du pays par le biais de la mobilisation de la population pour une plantation vivrière massive à la fois vivriers à récolte rapide : maïs et plantes alimentaires pérennes ou semi-pérennes (manioc, canne à sucre) pour garantir l’approvisionnement alimentaire afin de transcender toutes perturbations éventuelles dans une révolution économique ; l’objectif étant la suppression de toute famine brute dans un meilleur délai . Dans ce cas, il faut organiser en aval la collecte. Dans la foulée, il faut aussi le lancement de mouvement de pléthore identique pour les produits agricoles industriels et d’exportation.
MM. L’économie est un sujet vaste, qu’en est-il des autres volets importants comme le budget de l’Etat, le chômage, de l’industrie, etc. ?
RD. Pour ce qui est du Budget de l’Etat, il faut l’augmenter jusqu’à environ 40% du PIB, financé à titre principal non par les impôts, mais par un choix financier dynamique, déficits financés par méthodes multiples de recyclage financier.
En ce qui concerne le problème du chômage, il y a lieu de mettre en œuvre des moyens (budgets conséquents pour des subventions de toutes sortes par exemple) afin que les secteurs économiques, les services sociaux et les secteurs publics procèdent à des recrutements massifs.
Pour le secteur social, il s’agit de garantir des formations adéquates à tous les jeunes, d’assurer de logement et de loisirs à toutes les familles.
Par ailleurs, le secteur industriel ne doit pas être en reste, il faut amorcer l’industrialisation tous azimuts : industrie lourde suivant des conditions concrètes (expérience du Japon). Les activités de recherche devront par la suite être vigoureusement soutenues par l’ouverture d’instituts de recherche et d’ateliers variés. Un accent particulier est à mettre sur l’électronique et l’informatique. La formation, la mobilisation et la responsabilisation systématique des chercheurs ainsi que leur dotation prioritaire de moyens d’initiative sont primordiales.
MM. Certes, vos explications d’expert sont complexes. Pouvez-vous simplifier vos suggestions pour un pays en développement comme Madagascar ?
RD. D’une manière générale, on doit : asseoir une préférence de monnaie scripturale sur la circulation de billets de banque et financiariser l’économie (ouverture de guichets de banque partout, de comptes bancaires à tous citoyens …) ; maîtriser les finances extérieures ; « consommer nationaux » ; conquérir des marchés extérieurs sur la base de collecte pléthorique de produits agricoles, asseoir le monopole d’Etat en matière de collecte des minéraux précieux pour garantir la monnaie et les importations obligatoires ; et enfin, les négociations commerciales multilatérales doivent promouvoir le développement.
Il s’agit alors pour les pays en développement, de compter de moins en moins sur l’aide publique et de plus en plus sur la mobilisation des ressources nationales et les apports de capitaux privés surtout nationaux pour le développement, une stratégie nécessitant le renforcement des capacités productives internes (« capabilities » selon Sen) ainsi que le développement de systèmes organisés et fonctionnels (« functionning » selon toujours Sen). Dans ce cas, le rôle de l’Etat en matière d’éducation et formation, de santé, d’appui au secteur privé, … pour pallier aux défaillances du marché est préconisé. Par ailleurs, l’Etat doit exercer son pouvoir régalien de création monétaire gage de sa souveraineté et source de développement tout en respectant les principes des équilibres macroéconomiques dans sa programmation monétaire pour éviter le phénomène de stagflation. La création monétaire ne signifie pas seulement la planche à billets, mais aussi le recyclage financier au sein d’un système qui s’organise (existence de marché financier fonctionnel comme les marchés à terme, secteur bancaire compétitif, etc).
Recueillis par Antsa R.