
A l’occasion de la journée mondiale de la propriété intellectuelle, Dr. Zo Aina Fanomezantsoa ANDRIAMAMPIANINA spécialiste des droits de propriété intellectuelle et des ressources bio-culturelles s’est exprimé et a donné son avis à propos du savoir traditionnel . La journée mondiale de la propriété intellectuelle est célébrée chaque année dans le monde entier le 26 avril sous l’égide de l’OMPI ou Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle. Pour cette année 2020, le thème de la célébration est « Innover pour un meilleur avenir vert ». Selon notre spécialiste, « Les savoirs traditionnels constituent aujourd’hui un nouveau domaine de la propriété intellectuelle. Ils présentent des enjeux majeurs dans le contexte actuel de l’épidémie du coronavirus qui sévit la population mondiale ».
La propriété intellectuelle et les ressources bio-culturelles sont des domaines assez méconnus du grand public. Pouvez-vous nous donner des amples explications sur ces notions ?
Je confirme, ces domaines sont assez méconnus du grand public. Pourtant, tout le monde est en contact permanent avec la propriété intellectuelle puisqu’elle est quasi-présente dans tous les objets que nous utilisons quotidiennement, dans nos smartphones, nos ordinateurs, nos voitures, nos vêtements etc. Dès lors que nos actes d’achats sont motivés par la notoriété d’une marque donnée nous sommes des acteurs passifs du système des droits de propriété intellectuelle. Techniquement, la propriété intellectuelle se subdivise en deux branches principales. La première est la propriété industrielle qui protège les inventeurs dans le domaine du commerce, de l’industrie et de la technologie. Les brevets, les marques de commerce et les signes distinctifs sont par exemple des propriétés industrielles.La deuxième branche c’est le droit d’auteur. Il est destiné à protéger les œuvres de l’esprit originales des artistes dans des domaines divers tels que la littérature, les arts plastiques, la peinture…On parle de propriété intellectuelle puisque les titulaires de ces droits jouissent d’un droit intellectuel sur leur création ou invention de la même manière qu’une personne jouit d’un droit de propriété sur sa voiture ou sa maison par exemple. En ce qui concerne les ressources bio-culturelles, la notion résulte de la contraction entre la biologie et la culture. Par exemple, les ancêtres malgaches ont développé des savoirs en matière de pharmacopées traditionnelles en utilisant les plantes médicinales locales. Ces savoirs constituent aujourd’hui un nouveau domaine de la propriété intellectuelle. Ils présentent des enjeux majeurs dans le contexte actuel de l’épidémie du coronavirus qui sévit la population mondiale. Dans ce cadre, plusieurs études scientifiques ont démontré que des remèdes traditionnels à base de plantes médicinales seraient efficaces pour lutter contre le covid 19. Pour les pays qui détiennent ces plantes, principalement des pays du continent africain, l’épidémie du covid 19 est une opportunité d’affirmer leur image de marque et de gagner une place sur l’échiquier géopolitique mondial..
Outre, les pertes humaines considérables dans certains pays, cette crise sanitaire a aussi impacté fortement l’économie mondiale. Dans le domaine des droits de propriété intellectuelle, selon vous quels sont les enjeux de cette épidémie ?
Comme tout évènement célèbre : « Je suis Paris », « L’Eclipse », « Alefa Barea »…, nombreux sont ceux qui ont fait usage de l’épidémie du coronavirus pour promouvoir leurs produits. Depuis le début de l’épidémie au début du mois de mars 2020, environ une centaine de marques de commerce utilisant l’initial COVID 19 ou le nom coronavirus ont été enregistrées à travers le monde. Par exemple les marques ANTI-COVID, I SURVIVE COVID 19, MY CORONA…Ces marques concernent des produits divers, les boissons alcooliques, les lignes de vêtements, les articles de sport… La majorité de ces marques opportunistes comme l’affirme un analyste dans le domaine est d’origine européenne, américaine et chinoise. Mais en Afrique, on constate aussi de plus en plus l’utilisation du nom du virus pour promouvoir des produits divers. L’épidémie a aussi provoqué des guerres de brevets entre des entreprises chinoises concernant des matériels utilisés dans le dépistage du virus. Ces litiges risquaient même à un certain moment de bloquer la campagne de dépistage dans les pays concernés. Il faut savoir aussi que le secteur pharmaceutique est l’un des secteurs dans lesquels les demandes internationales de brevets explosent. Actuellement, l’enjeu majeur est de trouver le vaccin et le remède contre le covid 19. Chaque pays avance dans leur recherche certainement mais discrètement. L’une des spécificités de cette épidémie mondiale du coronavirus c’est la solvabilité quasi-certaine de la demande puisqu’elle est localisée en grande partie dans les pays développés. Le pays qui découvrira en premier le vaccin et le remède tant attendus en disposera d’un monopole de droit et aura une bonne perspective économique post-covid 19 du moins dans ce domaine.
Actuellement, les débats font rage sur la reconnaissance internationale des remèdes traditionnels à base de plante médicinale pour lutter contre le coronavirus. Quel est votre point de vue sur cette question ?
Quand nous parlons de reconnaissance internationale des savoirs traditionnels liés à l’utilisation des plantes médicinales, il y a au moins deux manières de voir les choses. La première concerne la reconnaissance de la qualité d’innovateur traditionnel des détenteurs originaires de ces savoirs, généralement une communauté traditionnelle. Cette première forme de reconnaissance s’appuie sur la fonction écologique de ces savoirs, c’est-à-dire, leur contribution dans la préservation et l’utilisation durable de la diversité biologique. Dans ce cadre, le droit international reconnaît un certain nombre de droits aux détenteurs originaires de ces savoirs. Ils ont le droit de les exploiter, d’en contrôler l’accès et l’utilisation par un tiers et de participer aux bénéfices qui peuvent en résulter. Il appartient à l’Etat d’assurer le respect de ces droits par sa législation nationale. Ce qui est déjà le cas à Madagascar depuis 2017. La deuxième forme de reconnaissance des savoirs traditionnels concerne leur fonction technique,c’est-à-dire, la capacité d’un remède traditionnel de pouvoir guérir une maladie par exemple.Sur ce point, l’Organisation mondiale de la santé reconnaît l’importance des remèdes traditionnels dans le système de santé des pays du Sud. Cela pour des raisons économique et financière afin de permettre aux populations les plus pauvres d’accéder aux soins. En fait, ce sujet dépasse le cercle des droits de propriété intellectuelle, mais,il mérite quand même d’être invoqué puisqu’il est question de défendre la diversité bio-culturelle du pays.
Quelle stratégie de propriété intellectuelle proposer-vous pour protéger les ressources bioculturelles malgaches au niveau international ?
Nous avons parlé tout à l’heure des droits des détenteurs originaires des savoirs traditionnels dans le cadre de la convention sur la biodiversité. Il faut savoir que cette convention internationale vise à protéger les savoirs traditionnels en tant que tels. Par contre, les produits dérivés de ces savoirs peuvent être protégés par les droits de propriété intellectuelle dès lors qu’ils remplissent certaines conditions en fonction de l’outil de propriété intellectuelle visé. Par exemple, on peut breveter un produit s’il répond aux critères classiques de brevetabilité dont la nouveauté, l’inventivité et l’application industrielle. Mais,on peut aussi utiliser une marque pour promouvoir et protéger le produit. Une autre manière de protéger son produit consiste à garder secret les composants de celui-ci. Mais ce choix stratégique est risqué dans la mesure où l’avancée actuelle de la science et de la biotechnologie, en particulier dans le domaine médical permet aux concurrents de déterminer et de synthétiser facilement les composants d’un produit à partir d’un simple échantillon. Le risque de se faire voler et d’être devancé par les concurrents est donc très élevé. Néanmoins, il est possible de limiter ces risques par des techniques contractuelles assez complexes. Enfin, les indications géographiques constituent également un outil potentiel pour protéger les produits dérivés des savoirs traditionnels. Ces dernières permettent de lier la qualité spécifique d’un produit naturel ou non avec l’environnement spécifique de son lieu d’origine. Il faut rappeler que Madagascar dispose d’une multitude de produits typiques et endémiques qui méritent d’être protégés par le biais des indications géographiques.
Selon vous, quelles perspectives pour les ressources bio-culturelles malgaches après l’épidémie covid 19 ?
Comme je l’ai mentionné au début, cette épidémie mondiale va permettre aux ressources bio-culturelles des pays africains de s’affirmer sur la scène internationale et de conquérir le marché mondial. Mais bien entendu, tôt ou tard, l’épidémie arrivera à son terme et la vie reprendra son cours normal. Les pays qui ont su se positionner pendant l’épidémie grâce à la valorisation de leurs ressources bio-culturelles auront intérêt à préserver leur image de marque pour pouvoir conquérir d’autres marchés potentiels. Après le déconfinement global et l’ouverture des frontières, il est certain que l’on assistera à une explosion de la demande mondiale, entre autres dans le secteur du tourisme, de la santé et du bien-être. Grâce à la diversité des ressources bio-culturelles de Madagascar dont le taux d’endémicité est à hauteur de 80%, le secteur de la santé et du bien-être malgache fondé sur ces ressources connaîtra une forte augmentation sans précédent de la demande. Le pays sera également en tête de liste parmi les destinations incontournables pour le tourisme culturel et le tourisme écologique voire le tourisme d’affaires pour explorer des partenariats dans l’exploitation de nos ressources bio-culturelles endémiques. Mais tout cela ne va pas de soi, les entreprises auront intérêt à respecter les normes internationales et la qualité doit être le mot d’ordre. A rappeler qu’en matière de concurrence internationale, la règle est simple : « innover ou disparaître ». Dans une perspective d’émergence, l’Etat malgache doit soutenir et prioriser les innovations fondées sur les ressources bioculturelles endémiques de Madagascar afin de construire « un meilleur avenir vert pour le pays ». Autrement, il serait dommage pour Madagascar d’avoir survécu au coronavirus et de disparaître le jour d’après!
Propos recueillis par Iss Heridiny